Sharon Burch – Colors Of My Heart
Canyon Records
1999
Thierry Folcher
Sharon Burch – Colors Of My Heart
C’est en lisant Vingt Ans Auprès des Navajos, le récit initiatique de Lorenza Garcia, que j’ai ressenti un besoin évident d’aller au plus près des artistes Dinés (autre nom du peuple Navajo). Et en fouillant parmi les nombreux représentants de la culture amérindienne, c’est la voix de Sharon Burch qui m’a le plus fasciné et qui a réussi à coller parfaitement aux décors, aux ambiances et aux thèmes décrits dans le livre. Lorenza Garcia nous explique que, tout comme les peintures de sable, le chant et la musique possèdent des pouvoirs de guérison chez ce peuple indigène qui ne doit sa survie qu’à son obstination à préserver ses valeurs dans un monde où le folklore se teinte trop souvent de couleurs péjoratives. Néanmoins, je dois admettre que mon attirance pour les chansons de Colors Of My Heart vient peut-être (sûrement ?) de cette rassurante transposition folk qui privilégie la guitare acoustique, le violon et la flûte au martellement des tambours. Il n’en demeure pas moins que l’écoute de cet album n’est pas ordinaire. À moins que ce ne soit une forme d’autosuggestion, l’envoûtement est bien réel et les sensations qui naissent sont porteuses de couleur ocrée, de caractères sacrés et de valeurs familiales indestructibles. L’histoire de Sharon Burch n’est pas banale. Ses origines Navajo, elle les doit à sa mère et son parcours artistique à une éducation totalement investie dans la culture traditionnelle et dans l’apprentissage des coutumes anciennes. En plus de son rôle de conseillère à la First Nation Composer Initiative (organisation d’aide aux compositeurs amérindiens), elle a offert au monde, trois beaux recueils de chansons où la transposition contemporaine des us et coutumes de la civilisation Navajo est particulièrement bien rendue. Yazzie Girl en 1989, Touch The Sweet Earth en 1995 et Colors Of My Heart en 1999. Trois petits tours et puis s’en vont, car depuis, silence radio et plus rien ne la concernant.
Mais le plus étrange dans tout cela, c’est que la magie perdure et que le public s’intéresse encore à ces messages d’une sincérité et d’une profondeur incomparables. Les trois disques sont toujours réédités et continuent à bien se vendre, en partie grâce à la vitalité de Canyon Records, le label qui produit et distribue de la musique amérindienne à travers le monde depuis plus de soixante-dix ans. Colors Of My Heart fête donc ses vingt-cinq ans et devrait continuer à passionner les foules grâce à l’intimité de ces chansons anciennes que Sharon a reçues en héritage de sa mère et de son grand-père. La tradition d’un côté et les sensations folk classiques de l’autre. Pour bien situer la musique de cet album, je dirais qu’on navigue entre Vashti Bunyan et Devendra Banhart pour la partie folk et puis Mari Boine Persen pour le côté chamanique. Bien sûr, tout cela n’est donné qu’à titre indicatif, car Sharon Burch possède sa propre personnalité et ses petites histoires, si simples et si touchantes, n’appartiennent qu’à elle. Le premier titre intitulé « Wee Play » est très court et servira, pour sûr, de carte de visite à beaucoup d’entre nous. La jolie voix de Sharon, les paroles en langage Navajo et en anglais, les accords de guitare très propres et les quelques arrangements seront autant d’indications pour nous faire pénétrer dans son univers si particulier. Ici, il est question d’enfants qui jouent, qui vont à l’école et qui dansent dans une ronde à la fois naïve et universelle. Une sorte de comptine comme nous en connaissons tous et qui peut rapidement devenir entêtante. La façon de chanter et de psalmodier s’apparente bien évidemment aux mantras religieux capables d’ouvrir une brèche mystique entre la Terre, le Ciel et l’Univers.
C’est encore plus vrai avec « Pigeon Corn » qui suit juste après. L’histoire des pigeons qui picorent du maïs en toute liberté n’est qu’un prétexte pour entrer en transe et faire vibrer le corps et l’esprit avec des sonorités répétitives et profondes. À ce stade de la description, je ne sais pas si le lecteur habituel de Clair & Obscur sera tenté de continuer le voyage avec Sharon et de partager avec elle, le soleil de l’Arizona et du Nouveau-Mexique. Ce que je peux vous dire, c’est que les paysages de Dark Winds (la série télévisée, diffusée actuellement sur Polar +) apparaissent instantanément et vous tendent les bras pour vivre un grand moment de recueillement. Surtout que la suite du disque ne manque pas d’attraits, en particulier pour tous les nostalgiques des grandes heures de la culture folk nord-américaine. Je peux vous assurer qu’avec « We Are Here » et la chanson titre « Colors Of My Heart », l’écriture s’élève encore plus haut et fait souffler un vent de félicité plutôt ensorcelant. Ce sont deux odes à la nature qui installent l’Homme dans un rôle respectueux et protecteur. La communion est sincère et devient même une prière qu’il faut répéter sans cesse. La musique est merveilleuse de tendresse et devrait séduire sans peine nos oreilles formatées et exigeantes. La relation mère/enfant est puissante et les berceuses se veulent rassurantes (« Don’t Be Afraid », « Cradle Song »). « Tout est beau » martèle Sharon (« All Is Beautiful ») dont l’humilité et le remerciement envers Terre-mère et Ciel-père devrait servir d’exemple à certains « piètres personnages actuels ». Assurément, une des chansons les plus touchantes du disque. Cela dit, il est bien difficile de faire ressortir tel ou tel titre tellement les moments de grâce sont nombreux. « Sweet Dreams » par exemple, frôle le vertige par la musicalité de ses mots et les caresses de son violon ou de sa flûte. Cet album est riche et recèle encore bien des surprises dont on n’arrive pas à se lasser, vous pouvez me croire. Je voudrais juste finir avec le splendide « Earth Child ». Sharon chante : « I am the Sun’s daughter, I do believe in love and peace, with all the beauty that surrounds me » (je suis la fille du Soleil, je crois en l’amour et en la paix, avec toute la beauté qui m’entoure). Tout est dit.
J’ai toujours été fasciné par l’histoire mouvementée du continent nord-américain et grâce à la littérature, la musique et le cinéma, j’ai pu ouvrir une fenêtre sur ce vaste monde, aussi attirant que mystérieux. Et c’est tout naturellement que les chansons de Sharon Burch sont venues s’y installer et compléter la longue liste de mes repères favoris. En 2000, Colors Of My Heart a reçu la belle distinction du meilleur album de l’année au Native American Music Awards, une récompense amplement méritée qui aurait dû inciter Sharon à prolonger une carrière prometteuse. Mais ses occupations familiales et professionnelles en ont décidé autrement. Qu’importe, il nous reste la beauté de ces chants magnifiques destinés à vivre à nos côtés, encore très longtemps.
https://canyonrecords.bandcamp.com/album/colors-of-my-heart