PyT – Carnet d’un visage de pluie
PyT
Autoproduction
Pour certains d’entre nous, Pierre Yves Theurillat est associé à des souvenirs marquants des années 90. Flash back : en 1992 un (très) jeune groupe suisse sort, avec « Premier Février », un album de rock progressif intense, nerveux, encore trop sous la coupe de son mentor Marillion mais plein de promesses. A sa tête, un poète chanteur dont la voix ne fascine pas moins que les mots, Pierre Yves Theurillat. Quatre ans plus tard, une bombe éclate dans le paysage, « Vae Victis« , un des albums de rock majeurs des nineties, orchestrant une fusion rageuse de progressif et de metal avec des accents à la Red Hot Chili Peppers. Des textes d’une fulgurance poétique inégalée, évoquant Char et les grands surréalistes autant que la chanson francophone, des guitares ravageuses, des rythmes dantesques, une virtuosité collective impensable : un monument du rock, qui a en plus fort bien vieilli. Silence radio ensuite, après l’implosion du groupe. Retour de Pierre-Yves avec l’unique et très bel album de L’Escouade…Et nous voilà ce soir, comme chantait le grand Jacques.
Plus exactement, « Carnet d’un visage de pluie » est né d’une tentative de reformation de Galaad, hélas avortée. Du moins cela a-t-il permis au duo créateur Theurillat/Froidevaux de se retrouver musicalement autour de ces onze chansons rock, le guitariste de Galaad assurant également basse et claviers avec quelques invités. Evacuons les bémols : la section rythmique est ici quelque peu noyée sous un (réjouissant) déluge de guitares, et se contente d’accompagner discrètement. Tant qu’on est dans les points (relativement) faibles, quatre de ces onze morceaux sont chantés en anglais. On comprend très bien que PyT souhaite toucher un autre public et parler à d’autres gens. Ses paroles dans la langue de Shakespeare ne manquent d’ailleurs pas d’allure. Mais bon, quand on aime la poésie, ça frustre un peu…
Les textes de ce « Carnet » sont en effet dignes de leurs prédécesseurs, avec en prime la patine du temps et de la nostalgie, ce temps où « On n’avait pas peur de l’instant/On n’était pas accumulant/Des couperets inexorables » (« Un Temps Inoubliable »). Le temps, sujet aussi de « Tôt Ou Tard » (« l’espace et le temps conversent« ), parfois discret (« Et l’amitié du vent fera croire que le temps dure toujours« ), parfois destructeur : « Je ne suis qu’une ombre/Errante dans les décombres/Du vieux projet de vivre » (« Une Ombre »), parfois gardien de l’amitié (« Comme C’est Beau »), parfois pourvoyeur de hasard : « Fatum, qu’es-tu-pour qui te prends-tu ?/De se tromper de route on apprend tout sans doute » (« Rivière De Sentiments »).
Dans ces textes à la première personne, Pierre-Yves parle de la vie, de ses galères passées, de ce que nous sommes, et il est poète en ce qu’il parvient en quelques mots à nous atteindre, à nous rejoindre dans ce que nous sommes en profondeur : « Qu’est-ce qu’être grand quand on est dérisoire ?/Est-ce d’être franc dans nos histoires ? Ou d’avoir mal pour se croire fort ? » (« Veuillez Quitter Céans »). Entre nostalgie et émerveillement, il regarde le mystère de notre existence, un mystère qu’il célèbre en mots : « Je transbahute en inconsciences/la teneur d’un mystère me fait tenir debout« . Ou encore : « Un océan de vies/Qui pénètre l’espace est un « je sais » sur un « je suis » » (« Rivière De Sentiments »).
Il est émouvant de voir que ce qu’il y avait d’un peu péremptoire dans certains textes de « Vae Victis » est devenu méditatif et mesuré. Il n’en demeure pas moins une énergie rock, à laquelle le travail de Sébastien Froidevaux donne une dimension étonnante. Des guitares essentiellement électriques, des riffs tranchants, avec des soli plus planants où Séb nous rappelle qu’il fut (est ?) un disciple de Steve Rothery : l’ombre de « Forgotten Sons » plane discrètement ici et là sur « Rivière De Sentiments » et certains soli, sur « On The Air », « Un Temps Inoubliable », « Comme C’est Beau », entre autres, sont clairement de « l’école Marillion » – sans cependant manquer le moins du monde de personnalité. Un familier de « Vae Victis » entendra aussi de discrets échos de « Seul » dans « Veuillez Quitter Céans », ou de « Les Ondes » dans « On The Air ».
Mais la musique est bel et bien du rock au présent, intemporel dans son énergie et sa puissance. Onze pièces concises qui déménagent, sans temps faible, mais avec quelques chansons qui sortent du lot : « Un Temps Inoubliable » qui ouvre l’album de fort belle manière, « Veuillez Quitter Céans » et son final rageur, « Rivière De Sentiments »… C’est un superbe disque que « Carnet d’un visage de pluie », qui offre une symbiose trop rare entre esprit (vraiment) rock et poésie francophone. Magnifique !!!
Philippe Arnaud et Bertrand Pourcheron (9,5/10)
http://builtbyfrance.com/