Neil Young – Takes
Reprise
2024
Fred Natuzzi
Neil Young – Takes
Cela faisait longtemps que je n’avais pas fait un point sur Neil Young. Mais depuis le dernier, j’avoue que j’ai perdu le fil ! Comme à son habitude, des nombreux albums live extraits de ses archives sont sortis, il a réuni son groupe fétiche Crazy Horse et a réenregistré en concert les morceaux de Ragged Glory, puis les a fait paraître sous le nom de Fuckin’ Up, il a aussi exhumé des bandes de 1969 réunissant déjà Crazy Horse dans Early Daze. Et bien évidemment, le gros morceau, c’est la sortie du coffret Archives vol 3, réunissant… 17 cds et 5 blu rays ! Couvrant la période 1976 à 1987, ils regorgent de versions alternatives, live ou studio de chansons connues, mais aussi d’inédits, dont Summer Songs en 1987, version acoustique de nouveaux titres écrits à cette époque, ainsi que l’album perdu Johnny’s Island en 1982, possédant un feeling californien charmant, que Geffen avait gentiment demandé de laisser de côté pour travailler sur un meilleur projet. On a eu droit à Trans à la place, merci Geffen pour cela ! Ce qui fascine chez Neil Young, c’est cette facilité d’écriture. Tout est fluide, avec une patte bien à lui, que ce soit dans la country, la folk ou le rock. C’est donc un grand plaisir d’écouter ces archives truffées de bijoux. Mais celles-ci ayant un coût assez important, une compilation permettant de sortir quelques chansons en vinyle a vu le jour, il s’agit de Takes. 16 morceaux issus de différentes périodes sont présentées et permettent d’entendre Devo, The Ducks, The Royal Pineapples, The International Harvesters, Crazy Horse et The Gone With The Wind Orchestra, des formations qui ont donc accompagné Neil au cours de ces années. Le coffret se charge de réhabiliter la période « maudite » de Neil des années 80 que l’on redécouvre. Takes se compose d’un titre extrait de chaque cd composant le coffret, sauf un.
On commence par « Hey Babe » enregistré avec Nicolette Larson et Linda Ronstadt en 1977 pendant des répétitions. Une chanson acoustique de haute volée pour une folk superbe, contrastant avec la version country figurant sur American Stars ‘N Bars. L’orage Crazy Horse embraye ensuite avec « Drive Back » en live en 1976. Cette version de près de six minutes n’est pas meilleure que celle sur Zuma, mais permet quelques éclairs électriques typiques. « Hitchhiker » n’est que la chanson parue sur l’album du même nom. Pourquoi l’avoir remise ici, mystère. « Let It Shine » est une beauté tirée de Long May You Run que Neil avait enregistré en électrique avec Stephen Stills en 1976. Ici, il l’interprète seul en live au Japon, à l’époque où il ouvrait ses concerts avec des titres acoustiques avant d’accueillir Crazy Horse sur scène. En récréation en 1977, Neil avait l’habitude de jouer avec une formation appelée The Ducks. Ils faisaient des petits concerts dans lesquels Neil accompagnait à la guitare, mais n’était pas le leader. On peut comprendre qu’avec une sommité pareille, on lui laisse le lead de temps en temps et ce « Sail Away » en est le témoignage. Il figurera sur Rust Never Sleeps datant de 1979. Neil testait donc également ses nouveautés avec ce groupe. A noter la sortie de High Flyin’, issu des archives du loner, qui regroupe des enregistrements live de The Ducks. « Comes A Time », enregistré seul en 1977 avant sa parution sur l’album du même nom, est une splendeur Sa richesse mélodique rend son folk exemplaire, bien meilleur sans l’arrangement country du disque de 1978. Avant son concert à l’Union Hall de Nashville avec The Gone With The Wind Orchestra, les répétitions furent enregistrées. « Lady Wingshot », chanson inédite, est donc rendue avec cet orchestre et en duo avec Nicolette Larson. Un titre qui me convainc moins, avec sa rythmique à l’aspect militaire. En 1978, Neil décide de tester à nouveau ses créations en amont et offre au public venu le voir des avant-premières de morceaux mythiques, comme ce « Thrasher ». À croire que cela était suffisamment satisfaisant car il n’y a pas, à mon sens, de différence avec le « Thrasher » de Rust Never Sleeps.
Plus surprenant, c’est cette collaboration avec le groupe de new wave Devo. Repéré par David Bowie et Iggy Pop au milieu des années 70, Devo était influencé par la krautrock et a été le premier groupe américain à se produire sur scène uniquement avec des synthétiseurs. Pour la petite histoire, Alex Lifeson de Rush vient tout juste de rejoindre les rangs de cette formation à la guitare ! Young enregistre avec eux en 1978 « Hey Hey, My My (Into The Blue) » avec Mark Mothersbaugh au chant. Je dois dire que sur neuf minutes, cette version fait un peu mal. Le morceau surprend avec ce rythme accéléré et cette voix horrible. On dirait une tentative morte-née de mêler punk, new wave et rock ! Déstabilisant au possible, il est heureux que sur Rust Never Sleeps ait été retenue une version seulement rock, celle qui influencera nombre de groupes grunge dans le futur. On retrouve Crazy Horse sur « Bright Sunny Day », un inédit de 1978 plutôt sympathique mais anodin. « Winter Winds » date de 1980 et est aussi une chanson qui n’avait jamais vu le jour. Petite ritournelle country agréable comme il en a fait fréquemment. The Royal Pineapples font leur apparition sur « If You Got Love » en 1982. C’est un bon aperçu de l’album perdu Johnny’s Island dont je parlais en intro, et qui aurait pu convenir à ses acolytes Crosby, Stills & Nash. Neil a chanté ce morceau récemment sur Before + After en solo avec son pump organ. Pas du tout le même feeling ! « Razor Love » au début de l’année 1984, est joué tout au clavier. Elle a le mérite de mettre en valeur le chant de Neil, en retenue et émotion. On reconnaît très bien ce titre qui a finalement atterri sur Silver + Gold en 2000, dans une version arrangée organiquement. Une des plus belles chansons du loner. Neil avait sorti A Treasure, un live de 1984 avec The International Harvesters. On les retrouve en 1985 avec « This Old House » jouée live, chanson country par excellence. Elle se retrouvera sur American Dream en 1988 par CSN&Y dans une version ralentie avec de superbes harmonies vocales. Plus tôt dans l’année 1984 et avec Crazy Horse, « Barstool Blues » extraite de Zuma de 1975 est rendue avec la ferveur que l’on connaît et un chant plus ou moins juste, la chanson étant très haute vocalement. Enfin, « Last Of His Kind », enregistrée en solo en 1987, fait partie des Summers Songs, collection de morceaux destinés à être retravaillés plus tard. Une chanson engagée sur les fermiers, cause qu’il aura à cœur de défendre jusqu’à aujourd’hui. Elle ne sera jamais sur aucun album, mais jouée en concert notamment dans les Farm Aid.
Takes révèle donc un aperçu de ce que contiennent les archives de Neil Young. Un musicien dont l’inspiration semble sans fin. Encore une fois, c’est un voyage musical de choix pour les fans et rien que cette compilation de seize titres est suffisante pour prouver que même pendant les années 80, Neil est resté le même. Cette période a été source d’expérimentations de nouveaux sons, de nouveaux groupes et de collaboration. Les albums studios ne sont que le reflet du mercantilisme des maisons de disques. Ces témoignages montrent que s’il avait eu les mains totalement libres, nous aurions eu de très bons opus. Mais n’oublions pas non plus que Neil est aussi responsable du fait d’ « oublier » des pans entiers d’albums dans les tiroirs ! Vivement le volume 4 !