Neil Young – Hitchhiker
Reprise
2017
Neil Young – Hitchhiker
Un miracle ! On l’attendait depuis plus de 40 ans, et il arrive, sans tambour ni trompette. De quoi est-ce que je parle ? D’un album de Neil Young qui avait été rejeté par sa maison de disques en 1976 car considéré comme une accumulation de démos. On lui avait d’ailleurs suggéré de réenregistrer le tout avec un groupe. Hitchhiker est enfin édité… par cette même major, et sans retouches ! Comme quoi, il ne faut pas désespérer ! Déjà, il avait fallu attendre beaucoup de temps avant la réédition de certains de ses albums en CD : On The Beach (1974), American Stars & Bars (1977), Hawks & Doves (1980) ou encore Re-Ac-Tor (1981) n’ont vu le jour du numérique qu’en 2005. D’autres ne sont toujours pas ressortis officiellement comme Times Fades Away (1973) ou Journey Through The Past (1972). Il y a aussi ceux qui brouillent les pistes, comme Chrome Dreams (partageant des chansons avec Hitchhiker), prévu pour sortir en 1976 également mais qui restera dans les tiroirs. Young sortira finalement Chrome Dreams 2 en 2007, en compilant d’anciennes chansons de cet opus avec de nouvelles réinterprétations et des inédits. Alors le Loner n’est pas fou, il a réutilisé ses propres chansons dans d’autres sorties, et sur les dix titres que comprend Hitchhiker, seules deux sont vraiment inédits.
Ne s’arrêtant que pour fumer de l’herbe, boire de la bière ou prendre de la coke, Neil Young à la guitare acoustique et à l’harmonica a enchaîné en une nuit les morceaux, en compagnie de son ami, l’acteur Dean Stockwell (plus connu pour son rôle dans Code Quantum) et du producteur David Briggs, fidèle compagnon de route. Le résultat ? Un pur chef-d’œuvre, rien que ça. La fulgurance de l’inspiration de Young impressionne de bout en bout, et l’on ne peut s’empêcher de penser à ces phrases écrites dans ses mémoires où il dit n’avoir arrêté la drogue récemment que parce qu’il ne pouvait pas faire autrement et que son inspiration s’en ressentait. Ayant perdu des tas d’amis dans les années 70 à cause de la dope, l’album Tonight’s The Night (1975) en témoigne, on se demande comment Neil Young a tenu bon toutes ces années. Alors les mauvaises langues pourront dire qu’il avait arrêté un bon bout de temps entre Comes A Time (1978) et Freedom (1989). Et on ne leur en voudra (presque) pas…
Premier morceau, premier chef-d’œuvre. « Pocahontas », dévoilé en live sur Rust Never Sleeps (1979), prend toute son ampleur ici. Une chanson ultime du Loner, un classique absolu. Seconde titre, second chef-d’œuvre. « Powderfinger », contrairement à son live électrique avec Crazy Horse sur Rust Never Sleeps, joue une carte forcément plus intimiste. Il n’empêche, même dépouillé, la force de « Powderfinger » est intacte. « Captain Kennedy » et son jeu de guitare admirable est un hymne folk que l’on dirait écrit il y a un siècle. Similaire à la version parue sur Hawks & Doves, avec un son peut-être plus doux. Les inédits « Hawaii » et « Give Me Strength » témoignent de la vitalité et de la créativité du Loner, morceaux assez simples et efficaces. On a envie que ça dure !
« Ride My Llama », en moins de deux minutes, parvient à faire oublier sa version du live Rust Never Sleeps, tant elle est plus travaillée. Le fabuleux « Hitchhiker », exhumé en 2010 pour se retrouver sur Le Noise, touche beaucoup plus en acoustique, non seulement grâce à la voix plus jeune du Loner, mais aussi par le dynamisme du morceau. Sur Le Noise, il y avait un côté épique dû au traitement du son qui ici disparaît totalement. On s’immerge alors dans le morceau, on envisage le speed du narrateur sous l’emprise des différentes drogues de l’époque. Bluffant. « Campaigner », édité sur le best of Decade en 1977, avait été amputé d’une ligne. Rétabli dans sa version d’origine, il n’y a aucune autre différence. C’est une balade folk où Young a tendance à réhabiliter Richard Nixon, alors même qu’il l’avait fustigé dans « Ohio » en 1970. Quant à « Human Highway », elle apparaissait dans Comes A Time en 1978 mais avec un groupe. La version d’origine est typique de son auteur : une folk rafraîchissante, élégante, et déjà countrysante. Enfin, « The Old Country Waltz » fait passer Young de la guitare au piano. Très différente de la version country parue sur American Stars & Bars car enregistrée avec Crazy Horse, elle est bien mieux sans artifice.
C’est donc un bonheur que d’entendre ce Hitchhiker 41 ans après son enregistrement. La maison de disques à l’époque avait été exigeante, et finalement ridicule. Au vu de la profusion d’albums que Neil Young sortait à cette époque, il n’y aurait eu aucun souci à diffuser ces chansons, même sous une forme dépouillée. Bien au contraire ! Après Tonight’s The Night et le magnifique Zuma (1975), Hitchhiker aurait pu être une belle respiration. À la place, c’est Long May You Run avec son camarade Stephen Stills qui sortira en 1976. En tout cas, après le pas terrible Peace Trail sorti l’année dernière, cela fait du bien de réentendre un Neil Young au sommet de sa forme, celle qui écrit les légendes.
Fred Natuzzi