Lunatic Soul – The World Under Unsun

The World Under Unsun
Lunatic Soul
Inside Out Music
2025
Thierry Folcher

Lunatic Soul – The World Under Unsun

Lunatic Soul The World Under Unsun

Les raisons de chroniquer The World Under Unsun de Lunatic Soul sont nombreuses. La première est tout simplement liée à la qualité de la musique (une constante jamais démentie depuis le premier album éponyme de 2008). Ensuite, c’est pour répondre à l’annonce faite par le groupe, présentant cette sortie comme le dernier chapitre de The Circle Of Life And Death. Une histoire en huit albums sur un artiste solitaire voyageant entre la vie et la mort. Quand je dis groupe, je parle bien sûr de Mariusz Duda, l’immense bassiste-chanteur-compositeur et leader des Polonais de Riverside. Mais avec Lunatic Soul, peut-on réellement parler de projet parallèle ? Pour beaucoup, ce n’est pas vraiment le cas, tellement ses ambiances mélancoliques ont vite pris le dessus sur le rock plus tonique de Riverside. Question d’appréciation, bien entendu. Mais je suis persuadé que ces deux groupes possèdent autant de publics communs que de publics distincts. Une autre explication, plus personnelle celle-là, concerne Walking On A Flashlight Beam. Cet album de 2014 est de loin celui que je préfère et un titre comme « Gutter » est de ceux que je range parmi les plus belles réalisations progressives de ces dernières années. Les climats y sont divers, l’écriture inventive et l’interprétation particulièrement touchante. Tout ça pour dire que The World Under Unsun est peut-être le disque qui s’en approche le plus. À titre d’exemple, lorsque j’ai écouté « Loop Of Fate », c’est toute la magie de « Gutter » qui est remontée. Et pas seulement sur ce titre, car les mêmes sonorités et le même chant déclamé, sont très présents dans la totalité de ces 90 minutes d’excellente musique.

Effectivement, The World Under Unsun est très long ! En fait, il est double et se verra indubitablement confronté à la digestion parfois difficile de ce genre d’épopée à rallonge. Le problème (ou plutôt l’avantage) avec lui, c’est que tout s’enchaîne, rien ne tourne à vide et le temps passe très vite. Je peux même vous assurer que les bâillements et les yeux lourds n’auront pas l’occasion de se manifester. Par ailleurs, on apprend que dans la chronologie de l’histoire (bien torturée, il faut le dire), The World Under Unsun est à situer entre Walking On A Flashlight Beam et Fractured. Je ne sais pas si cette précision a de l’importance pour vous, car si c’est le cas, vous êtes certainement mieux informés que moi et rentrer dans les détails ne servirait à rien. Ou alors, c’est la musique qui vous motive et dans ce cas le partage sera beaucoup plus facile pour tout le monde. Ce que je peux dire, c’est que, malgré l’éclipse annoncée dans le titre, cet album est solaire, parfois lumineux et permet au voyageur de s’extraire de ses habituelles pensées toxiques. On adhère bien volontiers à cet exorcisme salvateur et on plonge tête première dans « The World Under Unsun », un morceau titre qui justement annonce la couleur. Mariusz chante : « But now I am primed, I crave to rise beyond confines… » (Mais maintenant, je suis prêt, j’ai envie de m’élever au-delà des limites…) comme une réaction à l’adversité et à un réel besoin de changement. La musique est aérienne, portée par un rythme de bambous électroniques soutenant à merveille le chant presque en prière de Mariusz. Comme à l’accoutumée, la batterie du fidèle Wawrzyniec Dramowicz venant renforcer, sur la fin, cette douloureuse et sublime confession.

Lunatic Soul The World Under Unsun Band 1

Le rock progressif, quand il prend cette tournure, devient absolument irrésistible. Ce n’est d’ailleurs plus une étiquette à afficher, tellement la musique s’exonère de toute forme d’enfermement. Mariusz Duda use de son talent, des possibilités techniques offertes et d’une belle sincérité dans sa démarche pour exprimer des états d’âme pas forcément très gais. C’est pour cela que la musique devient l’élément important et celui qui fédère le plus d’oreilles attentives. À présent, il va bien falloir s’y retrouver parmi ces quatorze morceaux aussi bien foutus les uns que les autres. Et surtout ne pas noyer celui qui aura la gentillesse de lire ces lignes. On passe donc aux boucles enfiévrées de « Loop Of Fate », morceau ressuscitant « Gutter » par moments et notamment celui qui voit surgir le saxo de Marcin Odyniec, la belle surprise d’un casting sobre, mais suffisant. Mariusz Duda fait partie de ces artistes qui forcent le respect, car en plus de l’écriture, il occupe la majorité des postes, y compris celui de la production. Et tout cela avec un savoir-faire qui impressionne. Les accents tendus de « Loop Of Fate » dissipés, c’est au tour de « Good Memories Don’t Want To Die » de prendre le relai, mais de façon aussi douce et bienveillante dans la musique que traumatisante dans le propos. Paradoxe à prendre en considération comme si le but principal était de mettre de la couleur et de la beauté dans les endroits les plus sombres. Pour « Monster », ce sera plus clair, car la cadence heavy se fondra idéalement dans cette chasse aux monstres qui hantent l’esprit du voyageur. L’ambiance est devenue guerrière, mais assez souple pour laisser entrer quelques belles phrases de clavier et de guitare. Puis, le single « The Prophecy », dans son traitement à l’identique, associera ce passage « de l’autre côté » avec assez de mesure pour être attrayant et presque apaisant. La qualité de l’écriture est ici remarquable de concision pour préparer l’auditeur à quelque chose de plus incertain et de plus alambiqué.

Ce sont donc les onze minutes de « Mind Obscured, Heart Eclipsed » qui feront basculer le disque dans le monde purement progressif des climats changeants et des surprises à répétition. L’occasion aussi de retrouver l’extraordinaire basse de Mariusz qui donne le tempo sur la quasi-totalité du morceau. Le retour du saxo de Marcin est également un joli moment de calme et de lumière dans ce périple tourmenté. Le premier disque s’achève avec « Torn In Two », un court appel à l’aide sur lequel le voyageur lance un « Stay with me… » qui sera bien sûr écouté. On reste donc avec lui pour repartir sur une deuxième galette tout aussi appétissante. Musicalement, il n’y a pas de cassure, on est dans la continuité. Cela dit, je dois bien admettre que le démarrage se fait avec un « Hands Made Of Lead » particulièrement hard, mais un peu répétitif à mon goût sur la fin. Il y a aussi les accents moyenâgeux d’Ayreon sur « Ardour » qui séduisent et le style de « Game Called Life » qui interpelle. Ce dernier titre, qui flirte un peu avec la Berlin School, est assurément un des plus originaux du disque et je me dis que s’il fallait en choisir un, ce serait peut-être celui-là. Et c’est vrai que « Confession », qui enchaîne juste après, en fait un peu les frais. Mais cela reste de très bon niveau, surtout dans les passages où le spectre d’Anathema fait son apparition. Un merveilleux fantôme que l’on aperçoit souvent tout au long de cette inquiétante virée. Le court instrumental « Parallels » a le mérite d’exister, ne serait-ce que pour lancer les dix minutes de « Self In Distorted Glass », l’autre moment épique tambourinant jusqu’à plus soif le mal-être de son héros. À tous ceux qui ne seraient pas à l’aise avec l’anglais, je peux leur dire qu’ils ne manquent rien et qu’au contraire, la musique et le chant en sont de la sorte sublimés. Cela dit, ce titre est lui aussi magnifique et les notes portent assez de dramaturgie pour bien se fondre dans l’histoire. La grande aventure du voyageur s’achève avec « The New End » et son constat apaisé (c’est marrant, mais par moments on dirait « Fields Of Gold » de Sting). Mariusz Duda chante avec plus de légèreté et permet ainsi de lâcher du lest et de finir sur une note d’optimisme (il était temps).

Lunatic Soul The World Under Unsun Band 2

The World Under Unsun de Lunatic Soul ou comment je me suis réconcilié avec le rock progressif en seulement 90 minutes de pur plaisir. L’histoire racontée sur ce disque est ce qu’elle est, mais il est courant de dire que le sombre et le gris sont plus inspirants qu’un bleu éclatant. Il y a du surnaturel et de la poésie chez ce voyageur, mais son vaisseau musical est malgré tout son meilleur argument. Mariusz Duda est incontestablement un des plus grands musiciens de notre temps. Quelqu’un qui trace sa route depuis le début des années 2000 avec une belle régularité dans la qualité et la sympathie. À son crédit, je n’ai pas le souvenir d’une sortie de route ou d’un projet bâclé. Après huit très bons albums, l’histoire du voyageur vient de s’achever, mais pas celle de Lunatic Soul, en tout cas je l’espère. Compte tenu des idées qui germent régulièrement dans la tête du leader de Riverside, l’avenir de son projet, qu’il ne supporte pas d’être nommé parallèle, sera d’une attraction encore plus intense. Il me tarde d’y être.

https://lunaticsoul.com/

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