Kacey Musgraves – Deeper Well
MCA Nashville
2024
Thierry Folcher
Kacey Musgraves – Deeper Well
Quel beau voyage je vous offre aujourd’hui ! Ou plutôt, quel beau voyage nous offre Kacey Musgraves. Un joli cadeau qu’elle adresse au monde, complètement charmé que je suis devant tant de beauté, de douceur et de poésie. Il n’y a qu’à regarder la pochette et à plonger dans ce regard bienveillant, mais déterminé, pour comprendre qu’avec Deeper Well, il ne sera pas question de superficialité ou de médiocrité. Kacey chante : « I found a deeper well… », une expression difficile à traduire en français, mais vu le contexte, cela peut vouloir dire : « J’ai trouvé quelque chose de plus profond… ». Dans cette chanson titre, elle se met à nu et nous explique qu’à l’âge de 27 ans (elle en a 36 aujourd’hui), elle a constaté un grand changement dans sa façon de percevoir le monde et certains de ses occupants. La parole s’est libérée et, c’est sûr, elle en a profité pour régler quelques comptes. De ce fait, l’éventail de Golden Hour (2018) qui masquait sa bouche s’est métamorphosé en une fleur délicate qu’elle nous tend comme une offrande. « Deeper Well » est une chanson magnifique dont le clip tourné en Islande (ci-dessous) est profondément ancré dans un pastoralisme bienveillant et magnifié. C’est marrant, mais en le visionnant, j’ai tout de suite pensé à la pochette de Just A Diamond Day (1970), le premier album de Vashti Bunyan. En revanche, côté musique, les ressemblances sont plutôt minces. Plus d’un demi-siècle et un océan séparent ces deux aventures qui ne pouvaient, bien évidemment, pas sonner de la même façon. Cela dit, la voix folk, la guitare acoustique et l’ambiance champêtre raisonnent d’un esprit identique. Kacey chante divinement bien et confirme l’engouement grandissant qui se manifeste autour d’elle. La musique country/folk/pop américaine est aujourd’hui complètement saturée et se faire une place au soleil dans cet univers de plus en plus prisé relève de l’exploit.
Et pourtant, en l’espace de six albums et plusieurs récompenses prestigieuses – notamment un Grammy Awards pour Golden Hour en 2019 – la jolie texane est devenue un incontournable personnage de la musique populaire américaine, tous genres confondus. Deeper Well est donc son sixième disque solo et sonne comme un retour à ses racines country/folk. Une ambiance roots, bien plus présente que sur le précédent Star-Crossed (2021) aux allures popisantes, certes soignées, mais un peu froides. À une exception près, le trio de choc composé de Kacey Musgraves, Daniel Tashian et Ian Fitchuk est reconduit à la composition, à la production et à l’interprétation. Une équipe soudée qui nous régale et qui dégage un professionnalisme paré à toute épreuve (le mini concert sur Apple TV+ est éloquent de maîtrise et de camaraderie fusionnelle). Deeper Well se compose de quatorze titres pour un peu plus de quarante minutes. Le calcul est vite fait, ce sont des chansons assez courtes qui attendent l’auditeur et c’est peut-être là le seul reproche que l’on peut faire à ce disque. On le verra, mais certaines fins sont un peu abruptes et les parties instrumentales semblent sacrifiées par moments. C’est bien dommage, car vu le niveau des musiciens, on pouvait espérer des développements moins fermés et, pourquoi pas, revivre de beaux instants de flottaison comme sur « Slow Burn », le titre aérien qui ouvre Golden Hour. Mais bon, c’est chipoter pour pas grand-chose, vu la qualité d’écriture proposée. L’album débute par « Cardinal », une chanson dont la mélodie entêtante va s’installer durablement dans votre tête pour ne plus en sortir. Ici, il est question de la perte d’un être cher et de messages venus de l’au-delà. Les paroles sont perturbantes et en profond décalage avec une musique légère bien armée pour produire un tube imparable. La personnalité de Kacey n’est pas facile à cerner, mais le chemin qu’elle veut suivre aujourd’hui semble celui du changement, de la rédemption et de l’amélioration de soi.
Désolé, mais je ne vais pas trop m’appesantir sur une étude de caractère que, de toute façon, je ne maîtriserais pas. Je veux juste vous faire profiter de jolies chansons, parfaitement calibrées pour mettre le bras à la portière et rouler doucement sur les back roads du monde entier. Et grâce à la magie de ces ritournelles, il n’y a qu’à fermer les yeux (sauf si vous êtes au volant) pour entrevoir cette fascinante image. Sur Deeper Well, ils sont nombreux, les titres à s’y prêter. Aux côtés de l’imparable et entraînant « Cardinal », le classicisme mélancolique de « Too Good To Be True », le balancement organique de « Heart Of The Woods », le percussif « Jade Green » ou encore l’inclassable beauté de l’étrange « Anime Eyes » font (pour moi) partie des beaux rendez-vous capables de nous éjecter instantanément hors des lourdeurs actuelles. Sur ce disque, les faiblesses sont rares, et comme je le disais plus haut, seules quelques petites frustrations apparaissent parfois. La fin instrumentale de « Moving Out » par exemple, aurait mérité un plus long développement et ne pas mourir dans l’œuf comme c’est le cas ici. Mais ce serait dommage de s’arrêter à ce léger sentiment de contrariété, car vu la qualité des arrangements et de la mise en musique des chansons, la compensation est largement suffisante. Les guitares se chevauchent dans une danse d’arpèges merveilleux, et les petites trouvailles aux claviers amènent un surplus d’ornements très aguichant. Par ailleurs, l’écriture n’est pas linéaire et arrive à surprendre, à l’image de la fin chorale de « Sway », du parti pris celte de « Heaven Is » ou des sautillantes parties de piano de « Dinner With Friends ». Et puis, la poésie de « The Architect » risque fort de vous faire chavirer. Sur ce titre, Kacey voudrait connaître celui qui est à l’origine de tout, qui crée notre univers et qui façonne nos vies. On sent plus de perplexité que d’inquiétude dans cette prière légitime, que bon nombre d’entre nous a pu faire un jour ou l’autre. Il y a encore beaucoup à dire sur ce bel album qui passe comme un rêve et qui s’emploie à nous réconcilier avec un genre musical un peu fourre-tout par moment.
Avec Deeper Well, Kacey Musgraves a réussi à rendre abordable des messages plutôt forts et personnels en les enrobant d’une musique très accessible. De cette intimité sont nées quatorze chansons magnifiques que les fans de country/rock classique (mais pas que) sauront apprécier à leur juste valeur. Cet album est une vraie réussite, un sommet d’équilibre où chaque chose ne semble pas devoir prendre l’ascendant sur l’autre. Il y a ce qu’il faut de guitares, de chants, de breaks et de surprises pour qu’il reste captivant du début à la fin. Malgré un petit côté revanchard, les expériences de Kacey nous sont transmises en douceur, et les paroles de ses chansons lui sont sûrement bienfaitrices. Pour ma part, je veux bien les écouter sans hésitation, si cela se traduit par un album d’une telle qualité.
https://www.kaceymusgraves.com/