Jean-Pascal Boffo – Infinity Relooped
Autoproduction
2024
Thierry Folcher
Jean-Pascal Boffo – Infinity Relooped
Il y a tout juste vingt ans, Jean-Pascal Boffo publiait Infini, une œuvre avant-gardiste qui associait adroitement, boucles électroniques et courtes séquences répétitives à la guitare. Il est intéressant de revenir sur cet album, car il offre aujourd’hui une approche embryonnaire de ce que sera plus tard Infinity Relooped. Cependant, je ne peux m’empêcher de penser que les douze titres d’Infini n’avaient pas complètement atteint leur objectif et peut-être, pas entièrement satisfait leur auteur. L’idée d’Infini était bonne, la réalisation de qualité, mais cela manquait par moments d’un vrai décollage et de cette irrésistible impression kaléidoscopique qui met notre perception à rude épreuve. En vingt ans, il se passe beaucoup de choses, les idées mûrissent, la technologie progresse, le compositeur s’ouvre au partage et la création déborde du cadre musical proprement dit. Associer la musique à l’image (ou l’inverse) existe depuis toujours, surtout au cinéma et avec le succès que l’on connaît pour certaines B.O. L’association artistique de Jean-Pascal Boffo avec l’infographiste Fred Kempf fait partie de ces mariages heureux capables de faire d’Infinity Relooped, une œuvre audio-visuelle aboutie et parfaitement conçue pour nous extraire de notre quotidien pesant. L’histoire de ce nouvel album est parfaitement décrite sur le site de Jean-Pascal et plutôt que d’en faire une reproduction personnelle, je vous laisse la découvrir grâce au lien ci-dessous. En revanche, ce sont mes impressions et mon ressenti que j’ai envie de partager tellement l’effet, qu’a pu produire ce disque atypique sur mon organisme, est loin d’être anodin.
Tout d’abord, je dois vous avouer que ma première expérience avec les seize parties d’Infinity Relooped, s’est faite sans les images. Pour tout vous dire, j’ai du mal à me défaire de cette habitude qui consiste à me balader avec mon JBL étanche sur la tête et de faire en sorte que mon esprit ne soit pas accaparé par autre chose. Et je peux vous assurer que la musique seule vaut déjà la peine qu’on s’y attarde. Premier constat, la production est propre, dynamique et plus moderne que celle de 2004. La rondeur des boucles vous enveloppe instantanément et la qualité du travail d’enregistrement est tout bonnement magique. Mais bien sûr, je n’avais là qu’un petit bout (si je puis dire) de l’œuvre totale et c’était presque faire injure à tout le reste que de continuer ainsi, même si je le dis et le répète : « cette musique peut vivre toute seule sans problème ». Donc retour à la case départ, sur grand écran et avec une barre de son appropriée. Vous l’avez compris, il ne s’agit pas ici d’une simple musique de fond, mais bien d’un formidable moyen de transport qu’il faut prendre volontiers pour n’en redescendre qu’une fois le voyage achevé. Ceux qui me connaissent savent que je suis de la vieille école et que mon attitude face à la consommation musicale est celle d’autrefois, celle qui me faisait passer des heures avec Tangerine Dream ou Klaus Schulze sans défaillir ni penser à autre chose. Ça aide pour écouter Infinty Relooped. Les comportements d’aujourd’hui, je ne les blâme pas, mais ils sont trop souvent focalisés sur l’instant, le vite consommé, le vite oublié. Tout ça pour avertir qu’une attitude méditative (les yeux ouverts, cette fois) est absolument nécessaire pour bien apprécier cette création.
Sur cet album, chaque partie est précédée d’une courte phrase musicale en complet décalage avec le reste. Il faut s’y habituer et ne pas chercher à comprendre. Nous sommes dans l’infini où tout est possible, dans un processus inarrêtable qui ne se ferme pas aux habituels codes de la construction musicale. Cela dit, ce concept n’est pas nouveau et bon nombre de musiciens ont vite repéré la grande attraction et la grande pénétration intellectuelle que pouvait offrir ces fameuses boucles répétitives. Les premiers noms qui me viennent à l’esprit sont ceux de Robert Fripp bien sûr, des grands noms de l’électronique d’outre Rhin, des jazzmen du genre Dave Brubeck et pourquoi pas des classiques comme Maurice Ravel (Le Boléro) ou Jean-Sébastien Bach. Le mantra musical se psalmodie de la même façon que les chants grégoriens ou les prières chamaniques. Le but recherché est le même et quand des images se rajoutent aux sons, l’impact est bien évidemment encore plus grand. Sur Infinity Relooped, le travail de « trafiquant de pixels » de Fred Kempf est tout simplement ébouriffant. Chaque séquence est une découverte et le travelling avant fonctionne à merveille pour nous faire pénétrer au plus profond de chaque décor. La diversité est de mise même si l’on navigue le plus souvent dans des univers futuristes ou fantastiques. La musique est, elle aussi, portée vers les étoiles avec le talent avéré de mélodiste que l’on connaît bien chez Jean-Pascal. A aucun moment l’ennui ne survient et le périple de quarante-sept minutes passe en fait, très vite. Pour être complet, il est à noter que ce trajet au-delà de nos rêves est accompagné de courts poèmes écrits par Aurore Reichert et Delphine Ribère.
Infinity Relooped s’apprécie dans sa globalité et pour le chroniqueur, habitué aux traditionnels découpages et inévitables variations d’intensité et de qualité, la difficulté sera d’insister sur le caractère à la fois unique et sans limites d’une telle création. Il devra surtout s’obstiner à réclamer une attention sans faille et une approbation sincère pour que le spectateur/auditeur se laisse emporter sans retenue par cet extraordinaire moment de pure beauté et de décollage instantané. Ce qu’il y a de bien, c’est qu’une fois les dernières notes et les dernières images achevées, il est possible de repartir au tout début et revivre ce périple, hors du commun à volonté. Ici, nous sommes dans l’infini de chaque chose et me concernant, cela me va très bien.
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