Jari Pitkänen – Unien

Unien
Jari Pitkänen
Auto-production
2016

Jari Pitkänen - Unien : illustration

Depuis les Seventies, l’univers de l’expérimental a explosé en divers courants, la plupart regroupés sous le nom générique d’ambient. Et près de cinquante ans plus tard, on trouve encore des musiciens ou albums rendant hommage au style des précurseurs que furent par exemple les premiers albums de Tangerine Dream, Cluster et autres défricheurs du drone et de la Wallpaper Music ou « musiques de tapisserie » – celles d’avant le séquenceur. Parmi les plus connus (ou les plus productifs ?), on trouvera de nos jours divers musiciens et labels qui ont adjoint à l’électronique analogique des origines d’autres techniques et composantes sonores tel le field recording (principalement des sons naturels).

Unien, de Jari Pitkänen, appartient à ce monde-là mais, venant de contrées glacées où est né (puis a disparu…) le fameux label Cold Meat Industry, il s’y ajoute une dimension rituelle voire chamanique (voix proches de l’incantation). Sans pour autant sacrifier aux percussions ethniques et acoustiques, comme l’a si souvent fait Steve Roach dans ses productions chez Projekt. Ici, on est plus proche des codes du dark ambient « classique », notamment du fait de la continuité thématique de l’album (plages enchaînées), et de cette absence totale de rythmes, au profit de climats délibérément et radicalement sombres. Tout cela annonce la couleur, si l’on peut dire. On note en passant le singulier artefact sonore de bruits de pas craquant dans la neige des deux minutes conclusives d’« Unien », repris in extenso dans « Unien VI ». Cet opus ambient au climat glacial affirmé, disons polaire, aurait pu sortir chez Glacial Movements, le label drone ambient d’Alessandro Tedeschi (aka Netherworld).

Jari Pitkänen

Âmes sensibles s’abstenir, alors ? Pas forcément, sauf pour les allergiques au dark ambient dans l’absolu. En finnois, Unien signifie « du domaine des rêves », ou « onirique », et même si ceux-ci sont plus sombres que lumineux, on est loin des climats terrifiants et malsains d’un Nordvargr ou d’opus de noise ambient radical tel Stratum Terror, etc. Unien est avant tout une bande-son climatique évoquant des paysages blancs, glacés, voire des cavernes résonantes, étouffées, plus sombres car privées de toute lumière solaire. Les nostalgiques d’un Tangerine Dream première période (Zeit, Alpha Centauri) se trouveront ici en territoire connu. Sur ce plan (le clin d’œil à l’époque révolue de la musique « cosmique » ou plutôt, « kosmische »), l’intro de la longue plage « Unien » est assez saisissante, avec ses couches de clavier/low strings ou d’orgue traité doublés de chœurs lointains dignes d’un mellotron, puis de voix vibrantes traitées par un effet de type flanger, comme saisies par le froid ou la crainte de paysages inconnus baignés dans une pénombre inquiétante, que l’on ressent à l’écoute de façon presque physique. Ces chœurs (féminins ? Pas certain…) étouffés par l’épaisseur de la neige s’entremêlent à une bande-son ambient très organique et vintage, de par les sons, le grain et les effets utilisés, et forment le leitmotiv d’une longue plage old school comme on les aime. « On », c’est-à-dire votre chroniqueur, mais il espère ne pas être le seul à goûter ces sons venus tout droit du passé.

Les autres plages ne sont pas moins intéressantes dans l’absolu. Cela dit, elles sont avant tout de brèves variations, samples de 2 à 5 minutes issus de la plage principale. Par chance, le matériau sonore utilisé assure une continuité d’ambiance à ces plages enchaînées, et l’impression de « redite » ou de recyclage sonore du montage, si tel est le cas, ne viendra pas vraiment perturber une écoute continue de l’ensemble du cycle. Après tout, la répétition de motifs et l’extension des climats dans la durée n’est-il pas le principe même, pour ne pas dire le fonds de commerce de l’ambient ? En réalité, la plage longue introductive « Unien » est le continuous mix des 12 plages suivantes, dont les idées et samples sont exploités comme matériau de base de la plage longue initiale. Celle-ci est de fait superbement aboutie, par la richesse, la variété et l’enchaînement des sons dans une progression fascinante en forme d’epic, un long voyage crépusculaire dans des contrées glacées. Un paysage de rêve, à croire le nom de cet opus, mais qui oscille ou bascule parfois aux confins du cauchemar, lorsque ces chœurs de voix lointains, pareils à des hululements de loups en maraude, nous hurlent leur crainte d’une menace qui restera toujours imprécise.

En conclusion ? Tout comme Moea, chroniqué en 2016 dans nos pages, Unien est un opus climatique et cinématique, un voyage dans des contrées inhospitalières, quasi polaires. On s’aventure à nouveau ici aux limites basses du genre dark ambient, en moins souterrain et terrifiant, et l’on pourra penser aux opus atmosphériques de Northaunt, de Kammarheit, Mulm, Parhelion et autres artistes des labels Cyclic Law ou Cold Meat Industry (Ildfrost, les derniers opus atmosphériques de Raison d’Être, etc.).

Jean-Michel Calvez

https://jaripitkanen.bandcamp.com/album/unien-2003-2007

3 commentaires

  • Rudy

    Très impressionnante chronique précise, documentée et aussi très poétique. Elle parvient parfaitement à décrire l’ambiance que créée la musique d’Unien.

  • j’adore, c’est vraiment envoutant tout simplement …

  • Très belle pièce. Effectivement, on pourrait se croire chez Cyclic Law. On est dans un équilibre entre musique climatique et quelque chose de plus expérimental. Très intéressant de ce point de vue, quand la musique ne « raconte » pas trop, mais qu’elle laisse imaginer … Ou pas. Quand on reste juste décontenancé, troublé.

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