Carole King – Tapestry

Tapestry
Carole King
A&M Records/Ode Records
1971
Thierry Folcher

Carole King – Tapestry

Carole King Tapestry

Comment en suis-je arrivé là ? Pourquoi n’ai-je pas pu résister à l’envie de vous proposer ce monument de la culture américaine ? Peut-être, parce que je m’ennuyais un petit peu en écoutant Into The Sun de The Sonic Tapestry, peut-être parce que je n’étais pas très chaud pour me lancer dans le difficile exercice de l’album moyen à chroniquer, peut-être parce qu’une pochette passe-partout me renvoyait à d’autres, beaucoup plus imaginatives, ou tout simplement parce qu’un Tapestry en a chassé un autre et sans regret. Me voilà donc en train de changer mon fusil d’épaule et de repartir en 1971, à l’époque où Carole King a publié son phénoménal Tapestry. Et là, mon bon seigneur, je suis passé dans une autre dimension, dans un monde rêvé où des chansons éternelles ont façonné la musique populaire avec une force telle, que plus d’un demi-siècle après, elles illuminent encore l’univers musical tout entier ainsi que nos propres souvenirs. Je n’ai pas connu l’album à sa sortie (j’étais encore trop jeune), mais bien plus tard et par personne interposée. C’est en m’intéressant à la carrière de James Taylor, à qui j’ai longtemps attribué la paternité de « You’ve Got A Friend », que le nom de Carole King est tout naturellement venu s’imposer. Car c’était bien elle qui en était l’auteure, même si tous les deux l’incluaient dans leur album respectif, sorti à quelques jours d’intervalle. Lorsque paraît Tapestry, Carole King a 29 ans et déjà une longue carrière derrière elle. Il faut remonter à la fin des années 50, lorsque Gerry Goffin, son partenaire de mari, commence à écrire des textes sur lesquels, la toute jeune Carol Klein (son véritable nom) viendra mettre des notes de musique avec une facilité déconcertante. Dans leur cas, l’union a fait la force et de façon spectaculaire.

Le premier gros succès de la paire Goffin/King date de 1961 avec « Take You Care Of My Baby », une chanson écrite pour Bobby Vee et qui occupera honorablement les charts. À cette époque, Carole King était déjà maman de deux petites filles et cette vie de famille ne s’accommodait pas très bien avec les obligations artistiques du couple. Une nounou fut engagée et tout pouvait alors continuer avec intensité et réussite. Carole King est impliquée dans plus de 400 chansons pour plus de 1000 interprètes. En tête de liste, la nounou elle-même, qui n’était autre que la pétillante Little Eva qui immortalisera l’indestructible « The Loco-Motion ». Une chanson de 1962 qui franchira les générations grâce à une pléiade de chanteuses telles que Kylie Minogue ou même Sylvie Vartan pour l’adaptation française. Parmi les hits les mieux classés, suivront, « Up On The Roof » écrit pour The Drifters (1963), « Pleasant Valley Sunday » pour The Monkees (1967) et surtout « (You Make Me Feel Like) A Natural Women » pour Aretha Franklin (1967). Cette dernière chanson figurant sur Tapestry, mais dans une version plus dépouillée et à mon sens, encore plus émouvante. Car au-delà de son incroyable don pour la musique, Carole King possédait une voix magnifique que l’on identifiait souvent aux chanteuses de la Stax ou de la Motown. La première fois que j’ai écouté « I Feel The Earth Move » je n’ai pu m’empêcher de ressentir ce frisson si particulier que seuls les pensionnaires de ces deux labels légendaires étaient capables de procurer. Sur ce titre, il y avait la voix, bien sûr, mais aussi l’orchestration d’une sensualité torride propre à renforcer des paroles sans équivoque : « I get hot and cold all over, all over… » (J’ai chaud et froid partout, partout…).

Carole King Tapestry Band 1

Chez Carole King, il ne fait aucun doute que les paroles ont de l’importance. Cela dit, il n’y a pas besoin d’être bilingue pour les comprendre, ou du moins, pour en saisir le sens général. Lorsqu’elle chante « It’s Too Late », on devine très vite que « c’est trop tard » et que l’histoire va tourner autour d’une rupture, inévitable certes, mais qui se passe plutôt bien. Cette troisième chanson de Tapestry était sortie en face B d’un 45 tours qui allait casser la baraque et devenir rapidement N°1 des charts US pendant plusieurs semaines. Et quasiment toutes les chansons du disque vont tourner autour de la relation à deux ou sur des sujets personnels, tirés dans les deux cas d’expériences plus ou moins vécues. Seuls, le cocasse « Smackwater Jack » et le poétique « Tapestry » vont sortir du lot et du monde réel. Carole King ne possédait pas les canons de beauté de l’époque et son immersion dans la musique sera pour elle une forme d’exutoire, une sorte de reconnaissance qu’elle verra naître dans le regard des autres. La chanson « Beautiful » est terrible, car les paroles insistent sur la nécessité absolue de rechercher l’estime de soi ainsi que sa beauté intérieure (« You’re gonna find, yes you will, that you’re beautiful… ») (Tu vas trouver, oui tu trouveras, que tu es belle…). Seul bémol, la musique, qui sur ce titre s’alourdit d’un synthétiseur un peu à contre-emploi. Comme quoi, tout n’était pas parfait non plus. En revanche, il ne faut pas minimiser l’impact d’une pochette extraordinaire. L’histoire de Telemachus venant poser pendant la séance de shooting de Jim McCrary, fait partie de ces coups de génie, tout aussi spontanés qu’inexplicables. Aujourd’hui, on pourrait difficilement imaginer cette photo sans la présence de ce félin, devenu du jour au lendemain, le chat tigré le plus célèbre de la planète.

Juste un dernier mot pour revenir sur « You’ve Got A Friend ». On a souvent écrit que Carole King était plus à l’aise avec un piano qu’avec un stylo. C’est assez contestable dans la mesure où les mots de cette chanson sont d’une force incroyable. Mettre autant de poésie, de compassion et d’évidence dans un sujet aussi intime relève d’une écriture tout simplement hors du commun. Par ailleurs, son interprétation est à la hauteur des mots, même si je me surprends, encore aujourd’hui, à préférer celle de James Taylor. Peut-être parce que c’est lui qui me l’a fait découvrir. Tapestry figure parmi les albums les plus vendus de tous les temps. Il s’est classé en tête des charts dans de nombreux pays tout en restant sur la liste du Billboard pendant 313 semaines d’affilée (plus de six ans).

Carole King Tapestry band2

Tout a été dit sur Tapestry et je n’ai fait que reprendre une partie des infos déjà connues du grand public. Je n’y ai rajouté que ma sincérité et le besoin de revenir sur un chef-d’œuvre qui écrase encore bien des stupidités que l’on nous impose aujourd’hui. Je ne voudrais pas passer pour le vieux con de service, mais plutôt que de s’obstiner à dénicher l’introuvable, il ne faut pas avoir honte de remonter les décades et de revivre ces années magiques encore et toujours. Dorénavant, c’est ce que je ferai à chaque fois qu’un album moyen me tombera entre les mains. Je n’ai rien contre The Sonic Tapestry, mais ce n’est quand-même pas de ma faute s’ils ont choisi un tel patronyme.

https://www.caroleking.com/

3 commentaires

  • Carmouze

    Merci pour cette magnifique découverte ….
    Cet album est superbe et cette artiste que je ne connaissais pas est touchante

  • Carmouze

    Bonjour
    Merci pour m’avoir fait découvrir cet album magnifique avec cette artiste majuscule que je me suis empressé d’acquérir et qui a sa place dans ma Cdtheque

    • Thierry Folcher

      Merci Carmouze pour tes commentaires. En plus de se tenir au plus près de l’actualité musicale, Clair & Obscur revient régulièrement sur des chefs-d’œuvre du passé afin de les partager avec ses lecteurs. Au plaisir donc de te retrouver prochainement parmi nous.

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