Hommage à David Darling
ECM
2021
Jean-Michel Calvez
Hommage à David Darling (1949 – 2021)
Plus discret que Chick Corea, décédé très récemment au même âge, David Darling fut lui aussi l’un des piliers du label ECM (qui perd un à un tous ceux qui ont fait le succès de son univers borderline, contigu au jazz plutôt que frontal. Parmi les « grands disparus », on citera Jon Christensen, Lyle Mays, John Abercrombie). David Darling avait opté pour le violoncelle, instrument phare du classique, mais bien plus insolite dans le jazz, que David Darling avait quasiment abandonné vers la fin des années 80 pour se consacrer au New Age et à la Healing music (en français : musique de bien-être et de méditation). Il n’a somme toute signé que de rares albums à son nom sur ce label mais ceux-ci sont uniques en leur genre, au confluent du jazz (certes celui, non standard, d’ECM), de la musique contemporaine, du classique minimaliste (Journal October, 1979), voire du drone sur ses albums Cello (1992), et Dark Wood (1993 en re-recording). Très bien entouré cette fois (Jan Garbarek, Steve Kuhn, Colin Walcott, Arild Andersen…), David Darling a aussi commis en 1981 le superbe Cycles, l’un des meilleurs albums du label de Manfred Eicher, représentatif de cette signature sonore d’ECM, éthérée et énergique à la fois. Cycles est en effet la synthèse de tout ce qui a fait ce label atypique, souvent décrié par les puristes du jazz be-bop des origines car jugé trop atmosphérique.
On trouve aussi son nom sur diverses collaborations sur ce label : en duo avec Terje Rypdal sur Eos (1984), avec Rypdal encore sur Skywards (1995), ou en quartet (toujours avec Rypdal, complété par Ketil Bjørnstad au piano et Jon Christensen à la batterie) sur les classisants The Sea (1994), et The Sea II (2000). En duo aussi avec Ketil Bjørnstad sur The River (1996), puis sur Epigraphs (2000), très proches de la musique classique. Autant d’albums qui, comme le violoncelle dont il fut l’un des rares représentants (avec Vincent Courtois, sideman habituel de Louis Sclavis) repoussent très loin les limites du jazz, autant qu’ils l’enrichissent. Il est vrai que le(s) violoncelle(s) de David Darling (dont le 8-string electric cello) s’associait idéalement à la guitare électrique si souvent atmosphérique de Terje Rypdal qui, lui aussi, a offert au jazz une palette d’ambiances et de sonorités nouvelles. De la période New Age de David Darling, on retiendra surtout sa collaboration à Migrations (1992) et Honorable Sky (1994), albums de Peter Kater et Carlos Nakai, deux artistes native American mêlant idéalement tradition indienne et influences d’une musique « blanche » inspirée de la musique classique du début du XXème siècle. David est parti, certes, mais non sans nous laisser en legs son jazz atmosphérique, un genre à part entière, auquel il a donné ses lettres de noblesse.