Harmonium – L’Heptade
CBS
1976
Thierry Folcher
Harmonium – L’Heptade
Coup de projecteur indispensable sur une œuvre monumentale. Une chronique qui s’adresse surtout à ceux qui seraient passés à côté de ce groupe phénomène et à côté de ce joyau du rock progressif. Pour les autres, sachez qu’une version remastérisée à partir des bandes originales (miraculeusement retrouvées) vient de sortir sous le nom de L’Heptade XL (2016) avec de nouveaux arrangements et la captation d’un spectacle sur DVD. Harmonium est un groupe québécois composé à l’origine du trio Serge Fiori, Michel Normandeau et Louis Valois. Il s’inscrit dans ce courant francophone canadien très en vogue dans les années 70 dans lequel on retrouvait entre autres Robert Charlebois, Gilles Vigneault et Beau Dommage. Leur premier album éponyme sort en 1974 et remporte aussitôt un joli succès en France et au Québec mais aussi dans tout le Canada anglophone. Très vite, Harmonium va s’éloigner du format chanson classique pour se tourner vers des aspirations plus musicales et progressives. En 1975 paraît Si On Avait Besoin D’Une Cinquième Saison, un deuxième album conceptuel d’une richesse incroyable et classé encore aujourd’hui parmi les meilleures réalisations du rock progressif. Ce pas de géant va en amener un autre avec L’Heptade, projet grandiose et magnifique, qui malheureusement va clore l’aventure Harmonium.
L’Heptade sort en 1976 et a été pensé au départ comme une comédie musicale. On retrouve tout au long de ce double album quelques codes liés à ce genre de composition comme, par exemple, l’aspect symphonique et le caractère conceptuel. L’Heptade est une œuvre intime, centrée autour du chiffre sept. Sept chansons, sept musiciens pour décrire les sept niveaux de la conscience humaine au travers d’un personnage en proie aux tourments de l’existence. L’ensemble est construit sous la forme d’une alternance d’interludes orchestraux signés Neil Chotem et de chansons écrites par Serge Fiori et Michel Normandeau. Le « son » Harmonium est profondément lié à la voix feutrée de son leader et à cet accent québécois à la fois exotique et très installé dans la culture francophone. Une voix que l’on retrouve sur tous les titres à l’exception de « Le Corridor » qui est interprété par Monique Fauteux. L’enregistrement s’est effectué sur plusieurs sites durant l’été 1976 et a vu le départ de Michel Normandeau en conflit avec le reste du groupe. L’emballage est sobre et classe à la fois, très différent des deux premiers, un peu comme pour annoncer un changement de direction et un accomplissement. A sa parution, au mois de novembre suivant, l’album a été très bien accueilli. Les ventes ont suivi et il a été certifié platine en l’espace de quelques mois.
Mais revenons au contenu de L’Heptade qui mérite amplement d’être détaillé. L’album débute de façon symphonique par une respiration toute douce qui dévoile le thème final de « Comme Un Sage » sur quelques notes de hautbois, puis le grand orchestre, un peu à la manière des Moody Blues, va installer un décor propre aux grandes œuvres musicales. Ce « Prologue » est en quelque sorte l’introduction au premier niveau de conscience que décrit la chanson « Comme Un Fou ». Attention, L’Heptade est intimement lié à la personnalité tourmentée de Serge Fiori qui par besoin de spiritualité s’est littéralement fondu dans ce personnage mal dans son époque. On retrouve avec plaisir ces accords de guitare acoustique très présents dans l’univers d’Harmonium et qui annoncent l’éveil à la conscience. Un éveil pas forcément salutaire, mais plutôt empreint de questions et de tourments. « Comme Un Fou » plante le décor d’une œuvre qu’on peut aisément comparer à The Wall de Pink Floyd ou à The Lamb Lies Down On Broadway de Genesis. On est dans du rock symphonique de grande qualité avec chœur, grand orchestre et changements de rythmes et de climats fréquents. Un premier titre génial qui va lancer l’album vers des sommets d’écriture. Après le joli interlude « Sommeil Sans Rêves », « Chanson Noire » va nous balader de bossa nova en club de jazz magnifique et gospel romantique. Sur ce titre les interventions du saxophoniste-flûtiste Libert Subirana sont splendides.
On continue avec « Le Premier Ciel » et son introduction émouvante où le violon fait vibrer l’âme. Petit à petit le morceau gagne en intensité et va s’amplifier par un chant choral répétitif et se terminer en apothéose par un superbe solo de synthé de Serge Locat. Mais que dire de « L’Exil » qui achève le premier disque. Tout simplement le sommet d’une œuvre qui vole haut, très haut. Un morceau en trois parties distinctes qui débute de façon classique avec guitare, piano, voix et orchestre avant de tout stopper pour un passage en apesanteur digne du Moondawn de Klaus Schulze et de se terminer sur une tuerie de ritournelle qui ne vous lâchera pas de sitôt. Et on en est qu’à la moitié ! On change de disque mais on garde la même ambiance et la même intensité à l’image de « Le Corridor », un titre où la partie chantée de Monique Fauteux est soutenue par le piano Fender Rhodes de Neil Chotem. Ici aussi, la deuxième partie plus musicale est marquée par une progression à la guitare acoustique, typique du style Harmonium. On continue avec « Lumières De Vie » et le retour de Serge Fiori au chant. La musique est plus aventureuse, surtout dans sa deuxième partie dominée par une longue impro piano jazz et un éclatant solo de Robert Stanley à la guitare électrique. Deux longs morceaux qui précèdent un final d’anthologie. « Comme Un Sage » termine L’Heptade en forme d’accomplissement spirituel. La partie chantée du début va laisser le chœur reprendre crescendo le thème principal et donner le dernier mot au grand orchestre pour un « Épilogue » décoiffant.
Voilà brièvement résumé les 85 minutes de L’Heptade. Un album qui fait partie de ma petite collection restreinte et indispensable dans laquelle on trouve, entre autres, Rock Bottom de Robert Wyatt ou Argus de Wishbone Ash, des albums majeurs mais pas forcement très connus du grand public. C’est paradoxalement le succès grandissant du groupe et l’accueil quasi mystique de L’Heptade qui vont signer la fin d’Harmonium. Serge Fiori a été vite dépassé par cette notoriété et a préféré tout arrêter. Il commencera une carrière solo intéressante et fera quelques collaborations remarquées comme celle avec Nanette Workman à la fin des années 80. Dernièrement, la sortie inespérée de L’Heptade XL a permis à Serge Fiori et Louis Valois de se retrouver, alors qui sait…
https://fr.wikipedia.org/wiki/Harmonium_(groupe)