FERVS – Garden Of Silent Tribes
Autoproduction
2017
FERVS – Garden Of Silent Tribes
FERVS (lire ferus) est le terme latin pour féroce, sauvage, violent, fier, intrépide… C’est aussi un combo qui avance masqué, constitué de Fera Taciturna & Fera Ardentis, aussi mystérieux que le titre de leur premier album ou ce bison masqué (doublement Native American de ce fait) de leur digipack minimaliste, aux couleurs brunes du pelage de bison et à l’arrière-plan presque lunaire. Leur démarche artistique anonyme milite pour la préservation des peuples, des espèces et des légendes anciens ou en voie de disparition. La couleur plutôt sombre et pas forcément optimiste de cet engagement (vu comment va notre planète…) est donc clairement annoncée sur ce premier opus.
Après une intro très ritual ambient, donc bien sombre, FERVS déploie par petites touches son univers intimiste down tempo à la frontière de plusieurs genres. On évolue entre Dead Can Dance ou Arcana sans la dimension ethnico-médiévale ou martiale, un univers gothique sans les nappes de synthés, un shoegaze à la Cocteau Twins sans la couleur ambient-éthéré noyée dans la reverb, ou encore un dark folk avec une touche d’électronique privilégiant un bel équilibre entre guitare acoustique, claviers et effets.
Cold wave alors ? Parfois oui, pour la voix et la tonalité, mais sans la froideur synthétique et les séquenceurs omniprésents des années 90. En bref, toutes les références et tentatives de comparaison sont à corriger, ce qui fait toute l’originalité de ce combo mystérieux. L’analogie est possible avec le brumeux Shadows Of The Sun d’Ulver ou avec l’esthétique gothique/cold wave à la This Mortal Coil de groupes du défunt label Cold Meat Industry (Gothica, The Protagonist, ou les Français d’Olen’k par exemple) ou du label Projekt (Unto Ashes, Arcanta, Mirabilis, le Black Tape For A Blue Girl de Sam Rosenthal et autres, à mi-chemin entre gothique et cold wave baignée d’ambient), voire avec le gothique plus incantatoire et symphonique de Dargaard, Ataraxia, Ordo Equitum Solis, Autumn Tears ou Zoar. Si vous ne connaissez pas encore ces groupes (notamment ceux apparus avant le nouveau millénaire), allez sur votre Deezer ou YouTube favori, et vous pourrez constater que dès ce premier opus, FERVS tient largement la comparaison et mérite d’être ajouté à la wishlist des fans de ces musiques.
Au delà d’une esthétique globale dark folk avec plusieurs intros à la guitare acoustique, on apprécie un usage intelligent de l’électronique pour créer des atmosphères très dark, elles aussi, cela va de soi. Sur « Buffalo Dusk », la rythmique et la voix hantée sur fond de hurlements de loups (ou de coyotes ?) s’accompagnent de vocalises et de percussions indiennes, au sens Native American. De même, le timbre vocal de Fera Taciturna sait muter et s’adapter à la tonalité de chaque titre, parfois souple et chantant (on évitera le terme pop ou même éthéré, inadaptés ici), et parfois plus dur et rugueux, proche de l’incantation d’un rituel étrange, que l’on imagine issu des vastes plaines de l’Amérique du Nord.
Après la voix féminine pure sur les premiers titres (hormis le timbre grave tribal de l’intro), des doublages vocaux subtils plus élaborés en backing vocals hantent la fin de l’album, très loin des harmonies vocales « à l’américaine » genre Midlake ou Fleet Foxes. Ceux-ci offrent un effet plus inquiétant qu’esthétique, plus proche d’Arcana à l’époque Cold Meat Industry ou de l’esthétique gothico-médiévale d’Unto Ashes déjà cité (mais sans vielle à roue, ni psaltérion). Garden Of Silent Tribes se referme sur une reprise de l’intro sombre et rituelle d’un album bien dark comme on les aime, et qui aurait mérité de paraître aux côtés des groupes phares de cette mouvance dark folk mêlée d’un zeste de dark ambient typique de labels comme Projekt ou le défunt Cold Meat Industry. Mais FERVS est indépendant, et le reste jusqu’au bout.
Sur le digipack d’un minimalisme superbe, on regrettera peut-être l’absence des paroles (qui seraient d’autant plus bienvenues sur un album thématique à « messages »), et l’usage d’une police « brindille » très originale avec son look écolo-authentique bien dans l’air du temps, mais assez peu lisible et pas facile à déchiffrer – une sorte d’alphabet gothique réinventé ? Mais soit, après tout, l’art est fait pour être apprécié tel quel, avant d’être décrypté.
À ces détails près (qui ne concernent que l’emballage, et non la musique), on touche ici à la perfection et, selon l’expression bien connue, pour un « coup d’essai » c’est aussi un « coup de maître(sse) ». Selon une indiscrétion des artistes, un second opus de FERVS serait en préparation sur une thématique du même tonneau, qui visera elle aussi à une prise de conscience de nos devoirs envers notre « bonne vieille » (et déjà usagée ?) planète : voilà la bonne nouvelle que je vous gardais au chaud pour le final. Vous, je ne sais pas, mais moi, j’ai vraiment hâte d’entendre ça. La planète en a bien besoin.
Jean-Michel Calvez