Esthesis – Altesia au Salem (Bordeaux Le Haillan 02/10/2021)
Autoproduction
02/10/2021
Rudzik
Esthesis – Altesia au Salem (Bordeaux Le Haillan 02/10/2021)
Deux ans sans concert (et donc sans Live report), c’est presque aussi long que la durée pendant laquelle une tortue conserve la semence de son partenaire en elle avant de pondre (plusieurs années !!!). Imaginez donc dans quel état j’étais au Salem du Haillan (à côté de Bordeaux) ce samedi 2 octobre 2021, invité par l’Association Eclipse (NDR: j’espère que vous n’avez pas râté ma co animation de leur émission de musique prog sur la webradio O2radio. Quoi ! Si ! Comme je suis gentil, voici le lien de rattrapage vers le podcast http://o2radio.ddns.net/o2replay/Emissions/UGUM/09302021UGUM.mp3 ) pour assister au concert de deux formations françaises pleines de promesses, à savoir, les Toulousains d’Esthesis et les locaux d’Altesia. En plus, ce sont des groupes que j’ai découverts sur leurs fonds baptismaux, ayant chroniqué l’EP Raising Hands et le LP The Awakening d’Esthesis ainsi que le LP Paragon Circus d’Altésia dans nos colonnes. D’ailleurs, cette soirée faisait également figure d’avant première pour Embryo, le tout nouvel album d’Altesia qui sera également prochainement chroniqué par votre serviteur. Quand on aime, on ne compte pas.
C’est avec la curiosité d’une pie devant un coffre à bijoux que j’étais impatient de voir ce que pouvait donner sur scène une affiche aussi éclectique, à savoir l’opposition de style entre le rock progressif ambiancé et stylé d’Esthesis et le metal progressif éclectique et énergique d’Altesia. À vrai dire, sur le papier, cette affiche pouvait représenter une part de risque pour l’organisateur : les fans d’un des deux groupes ne risquaient-ils pas de se désintéresser de l’autre ? En particulier, ceux des Bordelais d’Altesia n’allaient-ils pas snober le show d’Esthesis. Heureusement, le Téfécé étant en Ligue 2 et les Girondins ne l’ayant pas encore rejoint (je vais me faire tuer par tous mes amis bordelais, moi!), les rivalités étaient au placard.
C’est ainsi qu’Esthesis se présenta devant une assemblée ma foi fort bien garnie pour une première partie. Et justement, ce terme est totalement inaproprié, car en fait, chacun des deux groupes bénéficiera de la même durée de concert offrant un timing complètement équilibré. Un équilibre également ressenti, paradoxalement, dans l’opposition de style précitée. La succession de deux groupes ambiancés ou bien très énergiques dans la même soirée aurait généré une certaine lassitude alors que l’alternance des styles a, au contraire, profité aux deux groupes et bien sûr au public tout au long de plus de trois heures de show. Et tout ça sans masques puisque la bonne nouvelle arrivée la veille en provenance de la préfecture a permis, moyennant un contrôle rigoureux du pass sanitaire, de profiter d’une soirée (presque) comme avant.
Une superbe intro electro sur fond de lights bleutées (animés par le « lumineux » Fabrice Besselere qui officie remarquablement aux lights) crée d’entrée l’ambiance magique propre à la musique classieuse d’Esthesis dont c’est presque le baptême du feu puisqu’il ne s’agit que de leur second show depuis leurs débuts, le précédent ayant été un peu mitigé sur leurs terres toulousaines. Comme quoi, il est difficile d’être prophète en son pays (sauf pour Altesia, mais j’y reviendrai). Il faut croire que la chaleureuse salve d’applaudissements reçue avant même de jouer une seule note a contribué à donner la confiance nécessaire à la bande à Aurélien Goude, car, dès « Raising Hands (Part 2) », le premier titre joué (issu de l’EP du même nom), la magie opère. Les quatre zikos sont appliqués, mais sûrs de leur fait. La voix un poil mélancolique d’Aurélien domine les riffs de Baptiste Desmares, un peu plus lourds que sur l’EP et ses slides ainsi que les arpèges de l’envolée finale font frémir d’émoi les jeunes comme les moins jeunes, car oui, ce public de progueux est de tout âge, comme quoi ce genre parvient à renouveler sa fanbase contrairement à ce qui se dit dans les festivals. Le son est incroyablement cristallin et en même temps puissant. Privilégié en ayant assisté aux balances, je mesure alors l’importance de tout le travail réalisé par Julien, l’ingé-son du Salem. Il fut d’un professionnalisme et d’une écoute hors norme du groupe, l’ayant mis dans les meilleures conditions pour ce show, surtout quand on connaît le souci de perfectionnisme d’Aurélien. Chaque instrument se détache parfaitement, bien sûr les claviers, mais surtout la basse de Marc Anguill. Ce dernier, dans une attitude rappelant Pete Trewavas de Marillion, prendra à proprement parler son pied pendant tout le concert, multipliant les slides vrombissants (notamment sur « Hunger ») afin de donner régulièrement, en compagnie de son batteur Florian Rodrigues, le groove indispensable à la musique d’Esthesis qui apparaîtrait trop plate sans celui-ci. Je fais partie de ceux qui estiment qu’on ne devrait jamais mésestimer le travail indispensable d’un bassiste, même si à la fin, ça n’est pas vers lui que se ruent les groupies, c’est bien connu (tout le monde ne s’appelle pas Sting ou Phil Lynott, mais c’est vrai qu’eux, ben ils chantent en plus !.
Ensuite, l’acoustique « Chameleon », le premier titre de l’album The Awakening à être joué (l’album sera repris entièrement, mais dans un ordre différent), rend l’ambiance plus planante et légèrement hispanisante, offrant un très joli solo de Moog. Le flux et le reflux de la musique d’Esthesis est constant le temps de l’intimiste « High Tide » démarré en solo par le piano d’Aurélien. Il cède sa place à l’entêtant titre éponyme dont les accents électroniques en fond sonore sont dominées par des slides de guitare d’une pureté exceptionnelle. Le mésestimé (dans les chroniques de mes confrères… mais pas dans la mienne hé, hé!!!) « Hunger », plus musclé et à la sympathique rythmique de samba, arrive au bon moment pour redonner plus de corps au set. L’occasion de remarquer que l’ordre des morceaux est particulièrement bien choisi. Bientôt le show monte d’un cran avec le très émouvant « Still Far To Go » qui voit Mathilde Collet rejoindre le groupe sur scène pour assurer de superbes harmonies vocales en renfort ou en alternance avec Aurélien et dont le solo final de Moog remporte l’adhésion de tous.
Trop d’émotions pouvant tuer l’émotion, Esthesis a la bonne idée d’enchaîner avec la cover de « Stratus » du batteur de jazz Billy Cobham pour une surprenante jam jouissive sur laquelle chacun peut y aller de son petit solo. Le public ne s’y trompe pas, lui qui se met immédiatement à remuer des fesses avant de saluer par une clameur passionnée la performance du groupe à la fin du morceau. Ce moment de liberté met en condition nos quatre Toulousains pour le morceau de choix qu’est l’indolent « Downstream », bon je l’avoue, mon titre préféré du groupe, dont les seize minutes représentent le florilège du savoir-faire d’Esthesis. Aurélien nous gratifie de passages lumineux de lapsteel alors que Baptiste délivre des soli floydiens qui arracheraient des larmes à un radar automatique en train de vous flasher (une seule solution : rouler et passer le morceau à fond devant le radar avec les vitres ouvertes, mais perso, j’ai pas encore osé essayer). Les sifflements limpides d’Aurélien à mi-titre ainsi que certaines parties typées « western spaghetti» renvoient indubitablement à la musique d’Ennio Morricone dont il confie s’inspirer très librement, lui dont le back-ground cinématographique prend une large place dans son scope musical.
Après une courte pause bienvenue pour digérer toutes ces émotions, Esthesis revient pour un final royal avec le très mélancolique « Silent Call » qu’Aurélien dédie délicatement à une proche récemment décédée (R.I.P.), un morceau tranquille plus simple que les autres ce qui lui donne un côté « straight to the heart ! ». Ce show d’une magie incroyable se termine en beauté par le sautillant et plus métallique (par instants) « No Soul To Sell » qui semble ouvrir une porte à d’autres styles musicaux vers lesquels le groupe souhaite se tourner, ayant le louable souci de ne pas s’enfermer dans un carcan artistique. C’est devant un public émerveillé et conquis que le groupe laisse sa place à Altesia, satisfait du travail bien fait, y compris de la part des deux officiants derrière les consoles, Julien et Fabrice, dont la performance n’est pas étrangère au succès remporté par le groupe.
Cette soirée bicéphale se poursuit donc avec les Bordelais, qui, à peine les balances terminées se sont enfermés pour… répéter juste avant le show faute d’avoir pu le faire ces derniers jours. J’avoue avoir craint le pire pour le groupe de Clément au look de Jesus Christ, mais la multiplication des pains n’aura fort heureusement pas lieu. D’ailleurs, là aussi, les balances se sont particulièrement bien passées. Cependant, probablement impressionné par un public très enthousiaste et montrant une forte attente, le groupe démarre gentiment avec la ballade « Micromegas » qui introduit également leur nouvel album Embryo, mais avec quelques difficultés de coordination chant/claviers. Le costaud « Mouth Of The Sky », truffé de double grosse caisse qui lui succède sert encore en quelque sorte de tour de chauffe à un groupe très concentré qui peine encore à se lâcher. De plus, celui-ci semble jouer beaucoup plus fort que lors du soundcheck aussi Julien transpire à grosses gouttes pour éviter une bouillie sonore ce qu’il parvient très adroitement à faire. Il faut aussi avouer que jouer pour la première fois des titres d’un album qui n’est même pas encore sorti quand on n’a qu’une dizaine de shows au compteur, ça intimide un peu.
Fort heureusement, Altesia cale ensuite dans sa setlist un medley issu de son premier album, Parangon Circus, constitué de « The Prison Child » et de « Cassandra’s Prophecy » et là, on sent que ça y est ! Clément se met à sortir des vannes, les clins d’œils complices s’échangent, le groupe est désormais libéré. Il est parti pour un set ébouriffant et étonnant, étant donné l’orientation qu’il a pris dans son nouvel album, mais, damned ! je ne veux pas spoiler ma prochaine chronique qui en dira donc beaucoup plus long sur Embryo que ce live report. Toujours est-il que ce medley était idéalement placé dans la setlist avec sa première partie très hakenienne, ses sympathiques breaks d’orgue Hammond délivrés par Henri Bordillon et sa suite plus syncopée et énergique qui généra autant de headbanging sur scène que dans le pit. Pourtant, le circle pit réclamé par Clément ne se produira pas, un fan répondant avec humour « qu’il se mettrait en place progressivement ce qui est normal vu c’est… du prog ». Retour à Embryo qui sera exécuté en intégralité ce soir avec la jolie ballade « Autumn Colossus » plus organique et directe que sur album, car dépouillée de ses multiples sonorités electro, le groupe se refusant à se réfugier en live derrière des samplers, ce qui est tout à son honneur. Clément balance quelques riffs musclés histoire de réaccorder sa gratte avant d’annoncer « Sleep Paralysis » par ces mots « bon, on va pas se mentir, le suivant sera bien gras ! ». Ce titre est gavé de décibels tout en étant empreint d’une certaine majesté. Il fait un tabac avec son intermède festif calé entre les blasts de Yann Ménage que Clément s’évertue à dominer vocalement et l’émouvant solo de twin guitar auquel bien sûr Alexis Casanova contribue efficacement. Altesia s’offre ensuite une petite incursion vers la pop avec « A Liar’s Oath », un morceau plus direct et au refrain très accrocheur dont le clip est sorti en début de semaine. Il fait immédiatement mouche. Ça recommence à cogner grave dans les esgourdes avec « The Remedial Sentence » et ses riffs électriques ainsi que ses intermèdes loungy qui de nouveau donnent la banane à un public conquis par son côté incongru. Ah mais, je m’aperçois que je me spoile quand-même, bon ben j’espère que vous ferez quand-même l’effort de lire ma chronique d’Embryo lorsqu’elle sortira. Et pis d’ailleurs, j’y ai pas écrit les mêmes trucs et surtout… pas les mêmes conneries.
Le moment est venu pour Alexis d’annoncer la fin du show par un morceau de 2mn, ce que Clément corrige par… 20mn, une simple petite erreur de zéro quoi. Voici le dantesque « Exit Initia » qui va achever le public saoulé par tant d’uppercuts de décibels entrecoupés de passages inattendus (ha, ha !!! je ne dirai pas lesquels, même sous la torture tympanesque!!!). Alors là, il n’est depuis longtemps plus permis de douter : le groupe délivre une prestation d’une technicité de haut vol dont les pains sont exclus (tant pis pour les 5000 pékins qui campaient au bord du lac de Tibériade) et les breaks sont tellement légions (diaboliques quoi ! Diantre, mais quel mystique je fais moi !) que l’on mesure tout le travail fait pour être aussi carré. Celui-ci clôt le set comme un éléphant qui se baladerait parmi l’armée de terre cuite sauf que c’est nous qui sommes les soldats, anéantis par cette démonstration titanesque. Il est temps, comme le dirait Clément de clôturer le concert… « C’est fini, Ah, mais on va faire un titre en rappel, c’est pas comme si c’était déjà prévu hein ! ». Altesia exécute alors « Reminiscence », mon morceau préféré de Paragon Circus (« Exit Initia » en constituant en quelque sorte la suite, arf j’ai encore spoilé!) et force de remarquer que ce morceau, même sans les cuivres, pourrait devenir un classique du groupe en rappel tellement il est réussi et met un point final majuscule à un show qui va rester dans nos mémoires.
Franchement, ces deux groupes si différents semblent pourtant partis pour avoir une trajectoire similaire tellement ils démontrent du potentiel et une volonté de ne pas rester dans leurs sentiers battus respectifs. Il serait indécent de les rater s’ils se produisent à côté de chez vous, à commencer par Esthesis qui se produira le 9 octobre 2021 Chez Paulette en première partie de Galaad (concert organisé par l’association Arpegia ) avant d’envisager une tournée avec quelques dates à l’étranger. Altesia, lui, est d’ors et déjà programmé au Ready For Prog le 22 octobre 2021, le match retour en quelque sorte puisque les Bordelais se déplaceront cette fois-ci à… Toulouse. Il s’agit certainement de reconnaissances en devenir pour ces deux groupes qui le méritent amplement.
https://www.facebook.com/esthesismusic/
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Crédit photos : Xavier Perney – Martine Besselere