Dire Straits – Love Over Gold

Love Over Gold
Dire Straits
Warner Records
1982
Alain Massard

Dire Straits – Love Over Gold

Dire Straits, le « sale » groupe rock britannique qui était aussi dans la dèche à ses débuts, d’où son nom, a été créé en 1977, lorsque le punk envahissait les ondes radio. Et pourtant, envers et contre toute mode, il vendra plus de 140 millions d’albums pendant toute sa carrière avant de se séparer en pleine gloire en 1993. Son leader frontman et fabuleux guitariste, Mark Knopfler, continuera, par la suite, à jouer en solo dans de plus petites salles pour perpétuer sa musique. La célébrité du groupe le fera être intronisé au Rock And Roll Hall Of Fame.
Mark, humble devant l’éternel, a également composé pour Dylan, Clapton et Chet Atkins, etc. des titres majeurs influencés par le blues, la country et le rock bien sûr. Pour la guitare, un jeu sans médiator inégalable a donné à ses arpèges de notes une fluidité et une sonorité célèbres. Un blues rock très particulier signé par des vocaux inimitables en contre-point de la guitare deviendra vite leur empreinte musicale. En1982, c’est un album mythique qui sort : Love Over Gold. C’est plus qu’un OMNI, car sa musique est intemporelle et va explorer de très près des territoires progressifs, libérant beaucoup plus de place pour les changements d’atmosphères que sur les albums précédents. On observe un nouvel équilibre entre les claviers et la guitare de Mark, une révolution qui va en surprendre plus d’un à commencer par des médias déstabilisés devant autant d’audace.

Dire Straits Love Over Gold band1

Ça commence direct avec « Telegraph Road » dont l’intro rappelle des choses déjà entendu, mais ailleurs… ah oui ! Progressives, voilà je cherchais le mot. Le piano et la guitare jaillissent comme une source issue d’un rocher. On tutoies la perfection en cette époque où l’on écoutait les albums en replay parce qu’on avait le temps pour le faire. Le titre fini par complètement se lancer quand le chant de Mark apparaît après plus de deux minutes instrumentales. C’est en fait parti pour quatorze minutes dont, si ça continue certains vont dire que c’est prog. Moi j’ai rien dit, je l’ai juste écrit. La batterie de Pick et ses roulements de tambour se font curieusement symphoniques. Le piano d’Alan est omniprésent, guidé par la guitare de Mark et sa sonorité unique. Je cause, je cause et le break de piano arrive déjà, des arpèges dans tout ce qu’il y a de plus classique pour lancer une dérive sensuelle salvatrice. Les claviers ont pris leur place sans que l’on s’en rende compte. C’est mélodique, surprenant voire déstabilisant pour un groupe qui jouait des intro courtes et des airs ciblés rock dans un format radio. On est sur du latent, l’orage au loin gronde encore, Mark reprend la parole et les vagues musicales se succèdent presque à l’infini. Les couches successives sont portées par un léger crescendo qui transforment la tête en fourmilière. Un break de guitare slide sur un schéma qui reviendra dans le titre suivant mais chut, c’est parti pour un final de plus de quatre minutes ahurissantes rythmées par le frappé des pads d’un dynamisme entraînant. En concert ça durait encore plus longtemps. Mais que c’est beau et expressif ! Voilà un titre où je ne m’ennuie pas comme avec de nombreux groupes sur des fins de chansons prog trop longues et décevantes, non je ne citerai pas de noms. L’orage tire à sa fin, les notes de piano sortent plus facilement encore comme ma déclaration d’amour à ma future blonde, mais bon je dérive aussi.
« Private Investigations » poursuit dans cette voie . C’est le plus beau titre progressiste de cet album et pourtant, contre toute attente, il cartonnera sur les ondes. Que dire, lorsque le piano se fait dramatique, le Crédit Agricole (qui le retiendra comme B.O. d’une de ses pubs) tient un placement-produit de tout premier choix. L’association ultime guitare / piano et la présence de Mike Mainieri avec son vibraphone et ses marimbas font un tabac. C’est à la fois un moment de solitude et d’émerveillement. J’entends même le mot « whisky » dans le chant, un sublime souvenir gravé également par une clarinette suave. Des pas, quelqu’un vient ? Ouhla, un passage andalou, les pads s’affolent, la guitare gicle, le riff se fait violent et torture. C’est une expiation musicale latente qui se met en place subrepticement. Des sons, un chat, une porte qui grince, une pièce qui tombe, je ferme les yeux. Les frisés de batterie font tressauter les enceintes et le marimba subliment son final. Changement total d’ambiance sur la face B pour le galopant « Industrial Disease » assumé rock avec des notes guitare façon wah wah agressive, un piano en cascade et un synthé hors d’âge qui donne le rythme. Du rythme, des bruitages, une guitare qui semble lancer une farandole. Parfois, je me demande si j’aimerais ces sons si particuliers si je les écoutais pour la première fois aujourd’hui, en particulier cette fin avec ces coassements de grenouilles qui sortent de la strato de Mark, ouah! Dire Straits calme le jeu de nouveau avec « Love Over Gold » pour une resucée de « Private Investigation » en plus doux, moins prog mais plus mélodique et ouaté, un bon bis-repetita en fait. C’est le titre idéal pour mettre en valeur les enceintes, leur rendu de la finesse du jeu de guitare acoustique de Mark. Oui j’entends bien la guitare derrière moi. Je me retourne pour vérifier si Mark n’est pas derrière moi, quand même ça serait trop cool. Le morceau s’écoule comme un potage tiède, avec la guitare réchauffant tes mains. Le marimba est intarissable, le titre est hypnotique et envoûtant. Avec le temps je me rends compte que l’on ne peut pas expliquer tout par écrit. « It Never Rains » clôt l’album avec un son estampillé Dire Straits, à savoir mi country, mi ballade à la Springsteen. J’adore lorsque Mark dit « Romeo » j’ai l’impression qu’il fait clin d’oeil à l’album Making Movies (cf « Romeo And Juliet »). Sur le premier chorus, la mélodie enfle. Le clavier et la batterie imposent leur puissance pour un crescendo qui est en branle. L’orgue en rajoute une couche pour faire fondre tous les instruments dans un creuset prog, et dire que cela n’est pas référencé sur Progarchives, incroyable ! Mark parle, chante, laboure le champ musical avec son phrasé immédiatement reconnaissable. La guitare se lâche et part comme un ballon de baudruche, dans tous les sens. On sent la fin approcher, les notes cristallines tirées de ses doigts, sans médiator, s’enchaînent pour un dernier ressaut qui n’en finit pas. Nos jambes scandent la mesure impitoyable imprimée par ce déluge de notes asséné avec simplicité et magnificence.

Dire Straits Love Over Gold band2

Love Over Gold est l’album que je voulais chroniquer pour vérifier si mes oreilles et mes souvenirs de cette époque lointaine peuvent toujours rivaliser avec la production actuelle. Deux générations se sont écoulées depuis cette époque où l’on prenait le temps d’écouter un disque en entier et le constat est implacable : cet album qui porte bien son nom est toujours aussi magnifique et un monstre de créativité.

www.direstraits.com

 

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