Collettivo Immaginario – Oltreoceano
Domanda Music
2025
Thierry Folcher
Collettivo Immaginario – Oltreoceano
En début d’année, je vous avais présenté Explorare, le projet américain de Tommaso Cappellato. Un album étonnant qui ne manquait ni d’attrait, ni de capacité à accrocher toutes les sensibilités et toutes les audiences autour d’un jazz rêveur, particulièrement accessible. Aujourd’hui, c’est avec son pendant européen (et plus précisément italien) que nous avons rendez-vous pour un voyage à la fois semblable et complètement différent. En effet, Collettivo Immaginario est né de la volonté de Tommaso de nous transporter de Los Angeles à Milan en gardant un état d’esprit identique, mais en se référant à un environnement musical typiquement local. Un monde sépare la culture italienne de celle des États-Unis. Un monde ou plutôt un océan et Oltreoceano (Outremer en italien) met de la distance entre ces deux continents et ces deux projets, de telle sorte qu’avec une même formule en trio, reconstituée autour de la batterie de Tommaso Cappellato, on a l’impression d’être ailleurs et de vivre une tout autre expérience. Et pourtant, le jazz est bien là, avec les mêmes ingrédients, les mêmes instruments, mais pas le même personnel. Alberto Lincetto aux claviers et Nicolò Masetto à la basse remplaçant Diego Gaeta et Tony Martin, la paire américaine d’Explorare. L’erreur serait de comparer et de se demander laquelle de ces deux formations est la plus attrayante. Tommaso Cappellato nous donne la possibilité de partager deux grands moments distincts et de profiter pleinement de deux albums exceptionnels. D’un côté, la tradition et l’académisme, et de l’autre, la fantaisie et l’exubérance. Alors, pas de calculs, les titres d’Explorare et d’Oltreoceano sont des offrandes faites à tous les mélomanes du monde entier, quels que soient leurs goûts et leurs attentes.
En quittant son Italie natale pour venir s’installer en Californie, Tommaso Cappellato a accompli son destin, faisant de lui un musicien et producteur reconnu. Son amour du jazz a bénéficié d’un cadre à la hauteur de sa passion et ses créations se sont naturellement imprégnées d’influences locales faites de funk, de soul et d’électro. Des mariages heureux que l’on retrouve aussi dans son collectif imaginaire, mais avec des saveurs et des tournures plutôt transalpines. Ce n’est un secret pour personne, mais beaucoup de grands mélodistes du cinéma sont italiens (Stelvio Cipriani, Piero Piccioni, Ennio Morricone, Nino Rota, pour ne citer que les plus connus) ou d’origine italienne (Henry Mancini) et cette propension à mettre du velours sur la musique se ressent tout au long des huit titres d’Oltreoceano. Il y a surtout « Alberoni », un morceau magnifique, un peu en décalage avec le reste, mais dont la voix envoûtante de Maylee Todd nous renvoie instantanément vers de lointains souvenirs où une certaine naïveté faisait du cinéma une véritable boîte à évasion. « Alberoni » est un petit miracle qui nous fait prendre conscience d’un monde à jamais disparu. Un univers où des compositions comme le fameux « Mary’s Theme » de Stelvio Cipriani pouvaient arrêter le cours du temps et nous faire rêver. Avant cela, Oltreoceano nous a offert une introduction du tonnerre avec « Tempo Al Tempo » un mix latino/U.S. bénéficiant de la présence de Danilo Plessow (Motor City Drum Ensemble) aux synthés et de Chauncey Yearwood (Pimps Of Joytime) aux congas.
À l’écoute de ce premier morceau, les habitués d’Explorare ont vite compris qu’ils étaient dans un autre monde, dans un jardin luxuriant où le rythme funky ne se gêne pas pour venir secouer nos silhouettes endormies. Une danse sensuelle qui finalement n’a pas rompu le lien avec les ondes californiennes et dont l’inspiration multiple nous sert un grand moment de pur bonheur fantasmé (En illustration ci-dessous, une version live en trio de toute beauté). Pour moi, « Tempo Al Tempo » marque un tournant et s’affranchit sensiblement de la sagesse ressentie tout au long de Trasforma, le premier album de Collettivo Immaginario sorti en 2022. Le pas en avant est bien réel et ce n’est pas l’ébouriffant « Vento Eterno » qui prouvera le contraire. C’est clair, sur ce titre nos trois amis se lâchent complètement. Tout en gardant une belle armature jazz, fondée sur un piano alerte, une basse complice et de solides percussions, c’est bien du Santana grand cru (mais sans guitare) que l’on nous sert avec en plus, le sax déchaîné d’Isaiah Collier et les cris de Dwight Tribe (Pharoah Sanders) en guise de prêches inquiétantes. Quel coup de vent ! Et quelle griserie que ces trois morceaux fabuleux ont réussi à propager dans tout mon être. Cela dit, les autres titres ne sont pas mal non plus et s’intercalent habilement comme des respirations possédant leurs propres atouts et mettant à chaque fois en valeur trois musiciens de grand talent. Il y a tout d’abord « Libra » avec la basse mutine de Nicolò, les percussions légères de Tommaso et les claviers aventureux d’Alberto. Une belle panoplie sonore apte à fabriquer un « jazz séduction » proprement irrésistible. Puis, c’est au tour d’« Oltreoceano » de venir poser ces fameux ornements mélodiques venus d’un autre temps, mais terriblement accrocheurs. Sans vouloir minimiser le travail de ses deux compères, il faut bien reconnaître que la richesse des claviers d’Alberto Lincetto est une réelle valeur ajoutée à la somptuosité des compositions.
De la même façon, le glockenspiel fantaisiste (fort bien amené par la surprise Mocky) de « Fine Di Un’Era » sera le parfait compagnon de synthés et de vocaux en totale liberté. En fait, c’est bien ça, la musique d’Oltreoceano est avant tout libre, dégagée de toutes contraintes et ne devant rien à personne. Le jazz est le plus souvent effleuré et se contente de pointer le bout de son nez quand cela devient nécessaire, comme sur le court « Sotto Il Mare », pressé de nous montrer que les amusettes et autres bizarreries n’empêchent pas de revenir aux fondamentaux. Pour terminer, l’étrange « Sogno Lucido » ne déroge pas à la règle en associant rythmes de samba, airs de carrousel et abondante orchestration. Un rêve lucide très en phase avec des musiciens bien décidés à rassembler autour d’eux malgré les distances et à divertir grâce à une musique simple et universelle.
Avec Oltreoceano, le trio jazz-fusion de Collettivo Immaginario a sans doute réalisé l’album idéal pour contenter tous les publics, des plus ouverts aux plus exigeants. Les sensations sont multiples et nous ramènent à des références historiques comme à des courants plus actuels. Cette escapade italienne, voulue par Tommaso Cappellatto rend hommage à un éclatant patrimoine musical, mais sans pour autant le cloisonner avec des repères trop stricts ou trop évidents. Au final, nous sommes en présence d’un album très ouvert et parfaitement réalisé pour nous rappeler qu’en musique tout est possible et que les styles et les époques peuvent fusionner sans peine. Le tout est de le faire avec sincérité et talent.
https://collettivoimmaginario.bandcamp.com/album/oltreoceano
Merci pour cette belle découverte. ça faisait longtemps que je n’avais pas écouté ce genre de musique qui n’est pas mon domaine de prédilection mais ça m’a remémoré la belle époque des albums de Return to Forever que j’adorais.
Bon été à tous.