Bon Iver – 22, A Million
Jagjaguwar
2016
Fred Natuzzi
Bon Iver – 22, A Million
Quand Justin Vernon décide de prendre un virage serré, ça donne 22, A Million. 3eme émanation du groupe à géométrie variable Bon Iver, l’écoute de cet album, surtout lorsque l’on connaît et apprécie les deux premiers, a de quoi déconcerter. Du moins au premier abord. En effet, cet opus fait l’effet d’un Kid A de Radiohead, ou d’un Age Of Adz de Sufjan Stevens, avec moultes expérimentations sur les instruments : distorsion, vocoder, effets électro saturés, déstructuration du morceau, accélération de la voix… La patte de Vernon est pourtant bien là, vivante, ébouriffante même. Le chemin emprunté est plutôt aventureux et courageux mais parfois à la limite du moche (notamment l’infâme vocoder, et les voix à vitesse rapide). On déchante vite, malgré la multitude d’idées qui fourmillent dans les morceaux.
Mais le disque est un « grower » comme aiment à dire nos amis anglais, c’est une écoute répétée qui fera ouvrir les trésors enfermés à l’intérieur de chaque morceau. On les sent là, vibrants, lumineux, à portée de main, au détour des émotions provoquées, forcément contradictoires. Un album qui ne laisse pas indifférent, qui étonne, qui agace aussi. Et l’on se dit que ce genre de musique aurait peut-être mieux convenu à un autre combo de Vernon, Volcano Choir. Mais finalement, tout cela revient au même… Bon Iver, inspirateur du renouveau de la folk atmosphérique, part dans des contrées lointaines mais familières, ou parfois l’ombre d’un Peter Gabriel plane, où la sensibilité d’un Sufjan Stevens aurait toute sa place, où même Sigur Ros pourrait se perdre. Un univers si proche, si curieux, que l’on si sent bien, mais avec une impression de ne pas être là où l’on devrait.
La voix haut perchée de Vernon fait toujours son effet, il y a des moments de grâce, on s’évade (surtout sur la deuxième partie de l’album), mais il y a aussi cette désagréable impression de s’être fait avoir sur la marchandise. Alors oui, écoute après écoute, se dégagent des instants musicaux glorieux, magnifiques, mais le vieux Bon Iver est mort. Mort pour renaître sous une forme différente, et cet album est le témoignage de cette renaissance, via un assemblage de musiques variées. Un patchwork à la fois brouillon et inspiré, déconcertant et réjouissant, un voyage musical qui laisse sur le carreau et nous emmène très haut dans la stratosphère. Déception ou réussite ? Les deux, en fait. Et c’est peut-être très bien comme ça.