Arman Méliès – Echappées Belles Vol 1

Titre: Echappées Belles Vol 1
Auteur: Arman Méliès
Éditeur: Royal Bourbon Records
Date de sortie: 2018
Chronique de: Fred Natuzzi

Arman Méliès – Echappées Belles Vol 1

Arman Méliès n’en finit plus de surprendre. En ce sens, il applique les conseils qu’Alain Bashung lui avait prodigués, à savoir ne pas se répéter et aller de l’avant. Ces Echappées Belles sont effectivement des visites dans des sphères voisines, sinon cousines. Et le Vol 1 du titre laisse présager que cet EP ne sera pas le seul coup d’essai. Oui, en cela aussi c’est une surprise, car Arman Méliès n’avait pas sorti d’EP depuis le temps de son premier album solo. Pour le distribuer, Arman a créé son nouveau label, Royal Bourbon Records, en lieu et place de feu Lait Noir Recordings. Pas d’inquiétude, son projet Gran Volcano est toujours disponible, mais uniquement sur la page de Royal Bourbon ! Et l’on peut peut-être espérer qu’enfin l’arlésienne Basquiat’s Black Kingdom verra le jour, ainsi que d’autres projets en attente.

Autre nouveauté pour cette sortie, Echappées Belles – Vol 1 est constitué de quatre reprises et de deux inédits pour vingt minutes de musique enregistrée dans son home studio et mixée par Pierre Antoine. Il est vrai que lorsque le teaser est paru, l’annonce « Arman Méliès reprend la nouvelle chanson française » m’a fait un petit peu peur. Mais il a su choisir les bonnes chansons, les a retravaillées à sa sauce, et leur a insufflées un peu de son âme. Car cette fois-ci, c’est au niveau de l’émotion que l’on est saisi. Son travail sur la voix se remarque une nouvelle fois (après les écorchures rock de Vertigone), et l’intensité de son interprétation ajoutée à l’instrumentation sophistiquée dont il fait preuve porte ces fuites dimensionnelles au top.

Arman Méliès arrive ainsi à créer un pont entre ses cinq albums et ces reprises. Il y a la folk de Néons Blancs Et Asphaltine, les beaux moments instrumentaux des Tortures Volontaires, la pop de Casino, l’électro de AM IV et les flammes saxophonées de Vertigone. Et pour cimenter tout ça, la voix d’Arman, qui se fait plus présente, mise en avant. Sans oripeaux, sans envolées de folie, Arman se livre, délivre ces chansons qui ne sont pas les siennes, et qui pourtant ont toutes un thème qui se rapproche de certains de ses textes. Il avait commencé à nous mettre sur la voie à la fin de ses concerts précédents avec « La Soif » et « Modesta », deux morceaux plus directs, où l’émotion était déjà plus prégnante. Ces Echappées Belles sont donc, encore une fois, une suite logique, même si cette logique-là pourra décevoir celles et ceux qui attendaient encore plus de feu après l’exceptionnel Vertigone. A ces personnes-là, je dirai que c’est comme à chaque sortie d’album d’Arman Méliès, il faut se plonger dans cet univers, écouter et réécouter, pour en tirer toutes les richesses et se les approprier. A chaque fois il a fait mouche. Et les liens que l’on peut trouver dans ces chansons sont surprenants.

« Le Départ », par exemple, est une chanson de Maissiat. On aurait pu croire qu’elle n’était pas faite pour Méliès car essentiellement à base de piano, mais à y regarder de plus près, le texte extrêmement précis est magnifique et le phrasé correspond très bien à Arman Méliès. Ecorchée et troublante, la voix de Méliès fascine, émeut, et le paysage musical plus aérien ramène une nostalgie supplémentaire à la chanson. Il faut se dire qu’Arman n’a pas choisi de reprendre au hasard les chansons de quatre femmes. Il y insuffle également sa vision d’homme. A la légèreté élégante de Maissiat répond une lamentation nostalgique où la douleur s’entend plus à vif. « Bleu » de Blondino est elle beaucoup plus proche de l’univers musical de Méliès. Il lui rajoute une dimension filmique impressionnante et envoie soniquement la chanson vers une électro économe et profonde. Là encore, sa voix donne une dimension supplémentaire. A la grâce aérienne de Blondino répond une gravité terrienne urgente. Fascinant. Avec un titre comme « Feu », cela ne pouvait que convenir aux obsessions Méliessiennes. Retour du saxophone de l’excellent Adrien Daoud avec une rythmique plus soutenue, et une voix affirmée et déclamative. A l’approche électro et directe de Fishbach répond un morceau étrange et multi-strates, sorte d’hymne insaisissable, évanescent et mystérieux. Quelque chose s’est consumé et disaparaît avec les notes de saxophones dans l’éther. Avec « L’Amour En Solitaire » de Juliette Armanet, Arman Méliès surprend encore. Alors que cette chanson pourrait très bien convenir à Julien Doré, Arman décide de faire le même travail que lui, à savoir amener dans son univers un titre (parfois improbable) et le transformer. La mélodie est la même, mais l’ajout du sax d’Adrien Daoud, les échappées électro et la diction plus concernée donnent une dimension masculine à l’affaire et entendre Arman chanter un vocabulaire beaucoup plus direct est assez inédit.

Et justement, qu’en est-il des inédits ? La mise en musique du sublime poème d’Emily Dickinson « J’Habite Le Possible », déclamé par la voix de Céline Carrère, est une vignette hors du temps, magique, qui rappelle les premiers morceaux acoustiques d’Arman, accompagné par l’éblouissant saxophone d’Adrien. Quant à « La Fugue », calme transfert vers un ailleurs, c’est un instrumental qui semble déjà faire office de sas vers les échappées à venir…

Arman Méliès a fait de ces reprises non pas ses versions mais ses visions à lui de ces chansons. En leur conférant un côté masculin, il complète ou équilibre la balance et amène ces échappées qu’il qualifie de belles avec raison vers une autre mise en lumière. Cette jolie infidélité résume à elle seule ses qualités de musicien et ouvre encore vers des possibilités inexploitées. Quel sera le prochain effort d’Arman ? D’autres reprises, un nouvel album, un projet post rock ? Je n’irai pas aux courses parier sur le plus loup d’entre nous, Arman, étonne-nous !

Pour commander l’album : https://royalbourbon.bandcamp.com/

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