Albin De La Simone – Happy End

Happy End
Albin de la Simone
Tôt Ou Tard
2021
Thierry Folcher

Albin De La Simone – Happy End

Albin de la Simone Happy End

Sacrée année 2021 ! On pense avoir tourné la page et puis voilà qu’un nouveau rattrapage s’impose, un de plus. Ce coup-ci, c’est le Happy End d’Albin de la Simone qui se manifeste avec une tardive mais irrésistible évidence. Premier volet de la série « Instrumentôt ou Tard » lancée par le fameux label Tôt ou Tard, celui des Delerm, Fersen, Vianney ou encore Cats On Trees. Une aventure instrumentale où les artistes sont invités à délaisser les paroles pour ne se consacrer qu’à la musique. Drôle de pari pour cet emblème de la chanson française bien écrite, plus connu pour les mots et les idées que pour leur enrobage musical, aussi beau soit-il. Pari tenu (et réussi) chez Albin de la Simone qui nous offre avec Happy End un délicieux voyage musical tout aussi puissant que son habituelle écriture. Cela dit, il s’est mis en danger et je comprends aisément dans quel état de fébrilité il pouvait se trouver à l’amorce du projet. Des craintes vite compensées par l’excitation d’une mise en œuvre totalement nouvelle et le constat d’une pénurie de mots aussi violente qu’inattendue. Et puis, je pense qu’Albin a vécu une sorte de jubilation, lui qui n’est trop souvent perçu qu’à travers ses textes. L’expérience de ce disque a démontré à quel point son talent de compositeur et son amour des instruments pouvaient générer de délicieux moments à garder et à partager. Je crois que c’est un juste retour des choses, une forme de reconnaissance dont il n’avait pas besoin mais qui a dû lui faire plaisir. Je me trompe peut-être, mais j’imagine assez Albin commencer son travail devant son piano plutôt que devant la feuille blanche. L’exemple du bien nommé « Merveille » présent sur Happy End est éloquent. Ce titre à la mélodie imparable s’est tout naturellement transformé en une chanson qui devrait être publiée prochainement (sinon ce serait dommage). De cette expérience, l’auditeur pourra se faire une idée sur des paroles qui paraîtront nécessaires pour certains et réductrices pour d’autres. Les deux formules me conviennent. J’y ai vu le moyen de prolonger la vision de l’artiste mais sans qu’elle soit irrévocable. Les images que génère une musique appartiennent à notre imagination et sont de toute façon, personnelles.

Pour ceux qui n’auraient pas encore croisé la route d’Albin de la Simone, il faut savoir que ce discret personnage se définit avant tout comme musicien, réalisateur et collaborateur artistique. Mais c’est sa casquette de chanteur, auteur compositeur qui le fera connaître auprès du grand public et deviendra sa principale carte de visite. Au total cinq albums, différents et semblables, sur lesquels planent de petites touches de naïveté façon Souchon ou d’intimité façon Delerm. Dans l’ensemble, une belle brochette de douceurs où le thème de la relation à deux est souvent de mise. La poésie des saynètes est bien sûr un formidable atout mais que serait-elle sans les orchestrations et les arrangements qu’on se surprend à trouver très riches et finalement indispensables ? Et je peux vous assurer que sur beaucoup de chansons, la musique rivalise d’égal à égal avec le texte. Tout ça pour dire que l’expérience Happy End fut pour Albin de la Simone, une évidente et opportuniste mise au point. Avec ce nouveau disque, c’est notre imagination qui se laisse guider par le rythme, la couleur et le titre aussi. Albin voulait faire une musique pour regarder par la fenêtre et voir le monde prendre vie. Quelquefois ça marche (« Californie », « La Falaise » », « Les Tulipes ») et d’autres pas (« Le Chalet », « La Chambre »). C’est incroyable, sur ce dernier morceau, comment la musique se ferme et déambule sans aucune issue possible. La magie d’un instant, d’un ressenti, d’un contact plus délicat avec le piano peut-être. On apprend beaucoup à travers la musique, autant sinon plus qu’avec des paroles trop précises et sans concession. L’enregistrement s’est déroulé en trois jours aux mythiques Studios Ferber de Paris avec la complicité de l’ingénieur du son Jean-Baptiste Brunhes. Albin s’y est installé avec une vingtaine d’instruments (son instrumentarium de rêve, comme il dit) et un dessin de chacun d’eux. A chaque morceau, il organise un tirage au sort qui va définir les empilages et la structure même des morceaux. Le hasard au service de l’art, fabriqué ici de façon volontaire mais ô combien indispensable dans le processus de création.

Albin de la Simone Happy End Band 1

L’album commence par « Soleil », une jolie ritournelle au piano rythmée (entre autres) par les rebonds d’une balle de ping-pong. Albin dit avoir perdu ses mots mais force est de constater qu’il n’a pas perdu ses idées. Quand c’est réussi, ce genre de « bricolage » est tout simplement fantastique. Ce titre donne le ton sur les intentions de l’artiste partagé entre savoir faire et expérimentation. C’est malgré tout amusant de constater que par moments ce n’est pas de la pure musique instrumentale mais plutôt la bande son d’une chanson en devenir. Sur « Il Pleut » par exemple, les « la la la » viennent tout seuls et ne demandent qu’à recevoir de vraies paroles. On ne se défait pas de ses habitudes d’écriture aussi facilement et Albin n’échappe pas à la règle. Les titres sont fabriqués à l’instinct par un musicien en roue libre et parfois sous influences (le balancement cher à Satie sur « Umami » ou la vision cinématographique de Morricone sur « La Falaise »). Avec « Merveille », mon deuxième coup de cœur va pour « Les Tulipes » et son ambiance surréaliste propre à faire souffler le vent dans les arbres. Les bruitages sont autant d’indications pour évoquer une nature troublée que « Estremadura » ne fera qu’amplifier. Drôle de façon de terminer Happy End par cette douloureuse respiration que les quelques coups de mandolinette (du moins, je crois) ne pourront guère apaiser. Pour que la fête soit complète, je vous ajoute en fin de chronique une vidéo sur laquelle Albin reprend en public la version chantée de « Merveille » et celle partagée avec les gens de « Les Tulipes ». Ce moment de grâce, malheureusement trop court, compense plein de vilaines choses que notre cerveau ne veut plus recevoir. La vie devrait ressembler à ça : la beauté, le partage et surtout le rejet (quand c’est possible) de toutes les laideurs du monde.

Albin de la Simone Happy End Band 2

Ce rattrapage fait du bien et rend hommage à un artiste singulier qui a pris le risque de revoir sa façon de travailler. Maintenant, les copies instrumentales de Vincent Delerm, Yael Naim ou Mathieu Boogaerts sont paraît-il attendues. Le concept est alléchant même s’il tarde à se concrétiser. On verra bien, mais l’exemple de la Simone devrait (aurait dû?) faire des émules tellement le résultat est concluant. Voilà un album qui possède tous les atouts pour devenir le compagnon fidèle et rassurant des premiers instants d’une journée. Pour finir, il faut savoir qu’Albin est aussi un illustrateur de talent comme en témoigne la pochette ensoleillée de Happy End. Il y a de quoi être jaloux, vous ne trouvez pas ?

http://www.albindelasimone.com/

 

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