Airbag – The Century Of The Self
Karisma Records
2024
Thierry Folcher
Airbag – The Century Of The Self
Airbag fait désormais partie de ces groupes que l’on observe, que l’on attend avec intérêt (je n’ai volontairement pas dit, avec impatience…) et que l’on classe parmi les valeurs sûres du rock progressif. Si je donne l’impression de manquer d’enthousiasme à l’annonce de ce nouvel album, c’est uniquement parce que je sais à quoi m’attendre. Il n’y a rien de péjoratif là-dedans, je le vois juste comme un rendez-vous agréable, mais sans surprise. The Century Of The Self est leur sixième album et fait suite au fort honorable A Day A The Beach sorti en 2020. Si vous avez lu ma chronique, vous avez peut-être remarqué mon réel enthousiasme, mais aussi ma prudence sur le possible manque de résistance au douloureux passage du temps. Me voilà dans de beaux draps et avec un début d’analyse pas très accrocheur. Surtout, ne bougez pas ! Je ne possède pas forcément la vérité sur tout et je peux être à côté de la plaque. Tout ce que je demande, c’est que nos amis norvégiens me démontrent qu’ils sont capables de m’enflammer autrement qu’avec un album de plus. Alors, qu’en est-il vraiment de ce The Century Of The Self ? Les dernières notes de « Tear It Down » viennent de s’achever et je suis là, devant mon ordi, dans une situation de perplexité peu confortable. Terrible constat : Toute cette tiédeur ne vient en fait que de moi. Bjørn Riis, Asle Tostrup et Henrik Bergan Fossum sont bel et bien un des trios les plus intéressants de la planète prog actuelle. Je fais amende honorable et peu importe si dans dix ans, on écoutera encore ce disque. Le plaisir qu’il procure aujourd’hui est amplement suffisant pour être signalé et faire l’objet de l’analyse qu’il mérite. Je ne voudrais pas me justifier, mais cette surabondance de sorties ne joue guère en faveur de l’émerveillement. Serais-je en train de tomber dans une forme de lassitude ? The Century Of The Self vient de me prouver le contraire.
Ce qui me fait dire que cet album possède la marque des grandes œuvres, c’est qu’une fois les dernières notes envolées, il subsiste encore des moments que l’on garde en mémoire comme autant de rendez-vous à revivre avec empressement. C’est le cas des trois dernières minutes de « Dysphoria » qui prouvent qu’il ne faut pas se fier au tranquille développement d’une ligne musicale que rien ne semble devoir contrarier. Ce dernier sursaut, commandé par la basse opportuniste de Kristian Hultgren (Wobbler) est tout simplement magique et fait passer ce premier morceau de simplement beau à carrément fabuleux. Globalement, les dix minutes de « Disphoria » sont de très haut niveau, le tempo est pénétrant, le chant de Asle Tostrup, toujours bien en place et la guitare de Bjørn Riis se met au service du groupe, même si son dernier solo est éclatant de classe. Mais c’est vrai que sur ce titre, comme sur tout l’album d’ailleurs, la basse est omniprésente et profite à fond de l’excellent travail du fidèle Vegard Kleftås Sleipnes aux manettes. Et ce n’est pas le robuste « Erase » qui dira le contraire. Ici aussi, la basse (Bjørn Riis) envoie du lourd et fait également partie de ces fameux événements marquants. Pour ce titre, les explications du groupe sont très claires : « « Erase » builds from a hypnotic bassline into a powerhouse of heavy refrains… » (« Erase » passe d’une ligne de basse hypnotique à une puissance de lourds refrains…). Pour bien s’en convaincre, je vous invite à visionner le clip (ci-dessous) qui permet de mieux comprendre le visuel de la pochette et d’apprécier la transposition esthétique (proche de The Wall) d’une chanson lourde de sens.
Airbag définit The Century Of The Self comme la fusion d’une douce introspection avec une énergie dynamique. Et c’est vrai que juste avant « Erase », le rassurant et tendre « Awaking » se chargeait de nous ramener vers le passé grâce à une intro acoustique assez familière et à un développement qui tissait des liens étroits avec Identity (2009) et All Rights Removed (2011). Le solo très « gilmourien » de Bjørn ajoutant ce qu’il faut de souvenirs pour garantir la filiation et tirer une larme à des fans définitivement rassurés. En ce qui concerne « Tyrants And Kings » et « Tear It Down », je peux vous assurer qu’ils ne déçoivent pas et sont, eux aussi, au niveau des plus belles réalisations du trio norvégien. Pour sa part, le très entraînant « Tyrants And Kings » est porté par la cadence d’une basse frénétique et le martellement d’un tempo soutenu destinés à mettre en valeur un discours libérateur (« set me free… ») où le chant fait preuve d’une éclatante et sincère détermination. Comme souvent, on garde le meilleur pour la fin avec les quinze minutes de l’épique « Tear It Down » qui voit le groupe se tourner vers des climats à la fois sereins dans la réflexion et ultra-lourds dans le son (c’est le groupe qui le dit). Musicalement, ce dernier titre est fantastique avec beaucoup d’alternances de climats et quelques clins d’œil vers Radiohead, Anathema et bien sûr Pink Floyd. Tout en symbole, le dernier solo majestueux de Bjørn Riis envoie le morceau, ainsi que tout l’album, au firmament des plus belles réussites du moment.
Maudit chroniqueur blasé qui vient de se prendre une claque monumentale avec ce dernier album d’Airbag. Je ne pense pas trop m’avancer en affirmant que nos amis norvégiens viennent peut-être de sortir leur meilleur album à ce jour et de prouver que plus de vingt ans après la naissance du groupe, ils ont encore trouvé matière à se surpasser. À présent, cette impression donnée à chaud résistera-t-elle au délicat passage du temps ? (Ça y est, c’est reparti !) Le maudit chroniqueur blasé devrait, quant à lui, se poser les bonnes questions et réviser sa perception du bonheur, du positif et de l’instant présent. Bien, tout cela n’est que de la rhétorique de bas étage et une manière détournée pour ne pas tomber dans le piège d’une trop grande adhésion. Cela dit, je ne serais pas étonné que The Century Of The Self figure dans mon Top 10 de cette année. On se revoit en décembre prochain pour vérifier ?