Adrien Soleiman – Brille (+interview)
Adrien Soleiman
Tôt Ou Tard
Jusqu’ici, l’univers musical d’Adrien Daoud, alias Adrien Soleiman, tournait autour du jazz et du saxophone, son instrument de prédilection. Mais lorsque son groupe, Beau Women, se sépare, il lui faut rebondir. Il commence à composer et chanter, et en attendant son premier album, il collabore avec succès et brio avec Arman Méliès sur Vertigone. Ses interventions au saxophone sont surprenantes et inventives, et encore plus en live, notamment sur la deuxième partie du « Volcan » d’Arman, où il est tout bonnement excellent. On aurait pu s’attendre à ce que Brille soit axé jazz mais il n’en est rien. Adrien a choisi la voix de l’électro-pop mélancolique, brillante partition de vignettes cinématographiques empreintes de souvenirs ou d’histoires sombres. On pense à du Daho et à cette mouvance années 80, voire du Christophe. Des références bien digérées qui mettent Adrien Soleiman en bonne place pour prendre la relève de ces grands, avec des instrumentations très travaillées ou chaque partie est bien mise en valeur.
La voix d’Adrien est originale et fait ressortir un univers particulier, avec une patte bien à lui. Du coup, chaque morceau apparaît singulier. Dès « La Nuit Tombée » il nous embarque, dans une atmosphère électro-jazzy mystérieuse et ultra efficace. « Rue Des Etoiles », tube du disque, nous ramène dans les souvenirs d’enfance, musique lumineuse, pleine de nostalgie mais sans pathos. Une sorte de bulle hors du temps, où l’on aime se replonger. « Chambre Noire » est une chanson touchante au tempo agréable, assez pour faire passer l’amertume qui s’en évapore. Brillant. Autre moment saisissant: « Frappe-moi d’Amour », au titre évocateur et aux images glacées. Avec une économie de mots et une musique envoûtante, le morceau est des plus réussis. « Brille » nous emmène encore ailleurs, dans une histoire à deux que l’on ose à peine deviner.
Tout l’album dessine un paysage musical cohérent, des envolées aériennes de « L’Enfant Firmament » à la pop dansante « Poisson Volant » très années 80, jusqu’à « Mon Cœur » qui aurait pu convenir à Julien Doré par exemple. Un premier disque franc et sincère, solaire, nostalgique et singulier. Un coup d’essai très prometteur.
Fred Natuzzi
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Entretien avec Adrien Soleiman
Adrien Soleiman a accepté très gentiment de répondre à quelques questions sur son univers, ses influences et son premier album « Brille ».
C&O : Pourquoi un album sous le nom d’Adrien Soleiman et non Adrien Daoud ?
AS : En fait Soleiman est mon deuxième prénom, celui que j’aurais dû porter à ma naissance, mais ma famille a pensé plus judicieux de me donner un prénom « français » pour que je ne souffre pas de possible discrimination. C’était donc un clin d’œil à celui que j’aurais pu être. Adrien Soleiman celui que je suis et que j’aurais pu être.
C&O : Tu viens du jazz, on aurait pu s’attendre à un disque dans ce courant, et pourtant tu nous offres de l’electro-pop avec par moment des rythmiques jazzy. As-tu délibérément composé des titres dans cette mouvance où est-ce au fur et à mesure que s’est profilé ce genre de musique ?
AS : C’est un projet clairement pop porté sur une certaine tradition de la variété française. Je viens en effet du jazz et ça peut s’entendre sûrement. Là n’était pas le propos. Avec les études et le parcours que j’ai eu, je peux aborder beaucoup de styles musicaux différents. Pour ce projet je voulais chanter et mettre en avant mes textes et pas forcément le saxophone et ma culture jazz.
C&O : Peu de saxophone dans cet album, qui est pourtant ton instrument de prédilection ? Pourquoi ?
AS : J’avais besoin de m’exprimer autrement en utilisant ma voix et mes textes, je ne voulais pas trop mettre de saxophone pour aussi ne pas brouiller les pistes. Il reste bien entendu mon premier instrument et je l’utilise malgré tout en studio et en live.
C&O : Avant la sortie de Brille, tu as participé à l’album Vertigone d’Arman Méliès où justement tes interventions au sax étaient très remarquées. Comment es-tu arrivé sur le projet ? Quelle a été ton implication dans celui-ci ?
AS : J’ai eu la chance qu’Arman Méliès m’appelle et j’ai été très fier de pouvoir enregistrer sur son disque. J’ai trouvé très audacieux de vouloir du saxophone dans le contexte de sa musique et finalement j’ai su y trouver ma place et je pense qu’Arman a eu une très bonne idée de vouloir intégrer ce son dans ces morceaux. Je suis avec lui en tournée et chaque date est un véritable moment de plaisir.
C&O : La presse cite beaucoup Bashung ou Christophe pour parler de ton album. Je rajouterais Daho. Quelle place ont ces grands noms dans tes influences musicales ? Quelles sont tes autres influences ? Quels albums écoutes-tu en ce moment ?
AS : J’écoute beaucoup Bashung, Daho moins mais il fait partie des gens qu’écoutaient mes parents quand j’étais enfant. Mes influences musicales sont nombreuses et très variées. J’ai abordé la musique grâce au jazz et à la bossa nova. Ensuite, en grandissant, je me suis ouvert à tous les styles musicaux. Aujourd’hui nous sommes en 2016 et nous avons accès à toutes sortes de musique. Je peux me lever avec du Bashung, déjeuner en écoutant Stan Getz, me balader avec Metronomy, dîner sur la cumbia des Meridian Brothers puis danser sur Dj AZF à la Java.
C&O : L’album s’appelle Brille mais la mélancolie est prégnante dans chaque titre. Qu’as-tu voulu exprimer au fil de tes chansons ?
AS : Les chansons correspondent à différentes périodes d’écriture. Les thèmes abordés sont l’amour, la vie, la mort, le manque et l’enfance. Je suis un garçon nostalgique qui aime se souvenir d’où je viens. J’exprime donc des sentiments qu’on connaît tous en gardant ma pudeur pour que chacun puisse se reconnaître dans mes chansons.
C&O : « Rue Des Etoiles » est une chanson particulièrement touchante. Souvenirs d’enfance, musique renvoyant aussi dans le passé. Es-tu un réel nostalgique, tant dans ta vie que musicalement ? Tu dis dans « Chambre Noire »: « Souviens-toi des rêves oubliés ». Phrase qui me touche beaucoup…
AS : Oui l’enfance est centrale dans mes chansons. Dans « Chambre Noire » j’imagine que le personnage vit sa propre mort tout en étant vivant et spectateur. C’est une chanson qui parle des rêves que l’on a pu avoir enfant et la triste réalité qui parfois nous rattrape une fois devenu adulte.
C&O : Ta façon d’aborder le chant est surprenante et originale Comment as-tu travaillé ta voix ?
AS : Je n’ai pas travaillé ma voix. J’ai juste chanté et c’est ce qui est sorti. Je ne me suis pas posé de question je l’ai fait sincèrement et peut être naïvement. En sort une voix parfois perchée et fragile. Aujourd’hui j’ai la chance de prendre des cours et de comprendre comment tout cela fonctionne pour mieux aborder les concerts et autres.
C&O : Tu proposes parfois des univers assez cinématographiques ! Es-tu influencé par les BO de films ? Je pense particulièrement à « La Nuit Tombée », « Frappe-Moi d’Amour » ou encore « L’Enfant Firmament ».
AS : Les BO de films ne m’ont pas influencé directement mais tout ce qu’on voit et qu’on entend te nourrit, donc fatalement on peut y entendre des choses. J’aime beaucoup pour ma part la musique des films de Luc Besson souvent composée par Eric Serra. J’ai grandi aussi avec des comédies musicales comme Les demoiselles De Rochefort ou Les Parapluies De Cherbourg que ma mère mettait a la maison. C’est évident que tout cela m’a influencé.
C&O : Tes paroles sont assez poétiques, mais aussi très expressives, voire impressionnistes. Pourtant tu dis ne pas être un littéraire ! Ecrire a été une évidence pour toi ou bien as-tu mis du temps pour exprimer ces sentiments, ces tranches de vie ? Colles-tu à ta musique ou écris-tu d’abord et ensuite tu t’adaptes ?
AS : J’ai écrit parce que j’en avais besoin. C’est vrai que je ne suis pas littéraire et j’étais très mauvais en français à l’école. Comme je n’ai pas de référence, j’écris sans guide ce qui peut donner ce ton impressionniste dont tu parles. En général j’écris d’abord la musique puis les paroles.
C&O : Penses-tu continuer en solo à l’avenir sur cette voie pop ?
AS : Oui pour le moment je chante sous mon nom mais qui sait.. Il faut savoir que j’ai avec moi mon équipe qui est là depuis le premier jour et qui fait partie intégrante de ce projet, d’abord car ils m’ont encouragé à me lancer après écoute de mes enregistrements, puis parce qu’ils sont actifs dans le processus de production et d’arrangement des morceaux.
C&O : As-tu des projets collaboratifs comme tu l’as fait pour Arman Méliès ? Peux-tu nous parler de Théodore Lüne ?
Ah Théodore Lüne c’est un projet underground avec lequel j’ai fait un enregistrement sur le label Hylé Tapes. Ce n’est que du saxophone. Saxophone que je dévie de sa fonction et avec lequel j’essaye d’aller chercher des textures et des sons inhabituels. C’est vraiment un side project qui me fait du bien et qui me force à travailler mon instrument en allant toujours plus loin.
C&O : Des concerts prochainement ?
Alors oui un concert très important celui de la Release Party le 7 novembre à Paris au Nouveau Casino rue Oberkampf. Puis je partirai en solo faire les premières parties de Philippe Katerine le 22 novembre à Blagnac ou encore le 9 décembre à Villejuif. Pour toutes les infos vous pouvez aller sur mon site : adriensoleiman.com.
C&O : Merci Adrien, félicitations pour cet album qui recèle ses trésors écoute après écoute !
Propos recueillis par Fred Natuzzi (septembre 2016)