Robert Schroeder – Cygnus-A

Cygnus-A
Robert Schroeder
Spheric Music
2010
Jean-Michel Calvez

Robert Schroeder – Cygnus-A

Robert Schroeder_Cignus A

Quand on pense musique cosmique ou spatiale, on serait tenté d’y verser in extenso la Berlin School et une large part des musiques ambient « lisses », avant tout arythmiques et sans séquenceur. Or, seule une faible partie de ces musiques le sont réellement par leur contenu, leur inspiration ou leur destination. « Dedicated to all people who feel obliged to space », proclamait dès 1971 Edgar Froese sur l’album Alpha Centauri : tout est dit, dans cette formule explicite. Le seul fait de titres et/ou de visuels et pochettes d’album puisant dans le registre spatial, parce que c’est beau, clinquant et, plus encore sans doute, connoté technologique (comme l’est la conquête de l’espace dans les esprits), inciterait pourtant à tous les y classer… Et les synthés aussi pour ce qui est du domaine musical, ceci expliquant donc cela.
Il existe pourtant quelques albums qui semblent directement inspirés par l’espace et qui le restituent pleinement à l’auditeur comme un voyage sonore par substitution, induction, immersion ; bref, une musique ayant le pouvoir de nous plonger dans un autre monde. On pense à Vangelis sur le troublant Albedo 0.39 (sans oublier Juno To Jupiter, qui sera à jamais son ultime album), au magnétique Zeit, de Tangerine Dream, irréel et hors du temps (disons intemporel), à Alpha Centauri des mêmes, dont on vient de parler, peut-être aussi le très symphonique et éthéré Timewind, de Klaus Schulze, le profond Magnificent Void de Steve Roach, etc. On peut y adjoindre aussi quelques autres issus de la sphère ambient ou dark ambient, comme l’inquiétant Encounter de Michael Stearns, The Nacrasti, de RAAN (radicalement otherworldly, celui-là, comme disent les Anglais), les albums très peu connus d’un certain Dweller At The Threshold alias Dave Fulton, The Starwheel, de Kammarheit, avec quelques autres opus et artistes du label canadien Cyclic Law. Je laisse les fans poursuivre la liste, pas forcément si longue.

Robert Schroeder_Cignus A band 1
Le mythique LP hyper collector (et introuvable !) Galaxie Cygnus-A, de Robert Schroeder, fit partie de cette catégorie chère à tous les vrais fans de science-fiction sonore. Sorti en 1982, au tout début du basculement vers le numérique, mais faisant encore appel à la technologie analogique des seventies, ce LP à la pochette explicitement terrestre, certes, mais explicitement tournée vers l’espace (suivez mon regard, ou plutôt le sien) inclut des morceaux parmi plus beaux inspirés par la quête de l’espace profond et ses mystères. Pour d’obscures questions de droits, l’album n’a jamais été édité en CD mais, faute de mieux (comme Jarre l’a fait en 2007, avec Oxygène – New Master Recording), Robert Schroeder l’a intégralement réenregistré en 2010 pour le label Spheric Music. Et la magie de l’album original y opère toujours… disons à 95 %, du fait de quelques concessions mineures aux technologies modernes. Le titre aussi a changé (soucis de droits, encore ?), amputé de « Galaxie » pour devenir tout simplement Cygnus-A, tout en conservant la coupole du photo-radiotélescope d’Effelsberg, tournée vers le ciel comme pour y capter des ondes lointaines, la fameuse « musique des sphères » chère aux terriens que nous sommes.
La technologie CD aidant à repousser les limites, l’album comporte une plage dite bonus, rallongée à 12’49 au lieu des 2’50 du LP, composée à la même époque selon Robert Schroeder, mais on parlera avant tout ici de l’album original, fût-il depuis très longtemps introuvable. Robert Schroeder a pris à contrepied la texture « lisse » des albums de drone pour évoquer l’espace sans oublier le bruit et le rythme ; d’où un album mécanique et métronomique, comme l’est souvent la Berlin School. Après l’intro sombre, presque inquiétante de « Search Direction », pas si éloignée du dark ambient bien que mélodique, « Receiving Signals » et les titres suivants font entendre de superbes solos down tempo presque mélancoliques, d’un synthé qui pourrait bien être le Minimoog (cela dit, Schroeder a aussi modifié et créé ses propres synthés, donc rien n’est moins sûr ici, faute de line up des claviers utilisés). Le livret insiste en revanche sur le festival ARS Electronica de Linz de 1982, auquel était destiné l’album lors de sa sortie, ceci expliquant sans doute le verrouillage des droits de réutilisation de l’album original. Bien plus que sur ses albums ultérieurs aux airs plus simplistes, moins peaufinés, Schroeder exploite une veine romantique et mélodique, soutenue cependant par la répétition de clusters de clavier ou de rythmes de séquenceur « pesants » pourrait-on dire, ou plutôt pulsant tels les signaux d’un satellite mais au tempo mesuré, sans emballement des BPM. Bien sûr, il utilise aussi tous les gimmicks en usage à l’époque (chez TD et Klaus Schulze, notamment) dont les fameux « sweeps and clicks » devenus un peu kitsch, mais rappelant la grande époque où les synthés étaient de beaux joujoux à faire tout un tas de bruits amusants… et prétendument spatiaux, vraiment ?

Robert Schroeder_Cignus A band 2
Malgré ce qu’en dit Schroeder sur le livret (100% authentical but even with much more better sound), la comparaison entre le réenregistrement de 2010 et le LP « doublement analogique » (que l’on peut l’écouter in extenso sur Discogs) restera en faveur de l’original aux oreilles de tous les fans et puristes de Berlin School authentiquement vintage… Certes, le CD a d’autres avantages que tout le monde connait : confort, son « clarifié », etc., mais sans doute plus « froid » ici (comme ce fut le cas avec les réenregistrements plutôt ratés d’Edgar Froese de ses propres albums, dont le magnifique Epsilon In Malaysian Pale de 1978, dénaturé sur l’inutile « remix » Eastgate de 2004). Ici, même si ce Cygnus-A subtilement modifié ou nettoyé n’a rien d’une trahison, il est vrai que sa magie se voit quelque peu étouffée car l’analogique, le vrai, l’authentique, le Lo-fi, ça vit et ça s’écoute d’une autre façon, avec un autre grain.
Tant pis : comme on l’a dit, le CD fut l’évolution logique des supports (jusqu’à la prochaine, déjà en marche). Et celle-ci, d’évolution, nous permet donc de comparer les deux versions, la virtuelle (qui fut la « réelle » en 1982, si vous me suivez ?), et la galette de plastique-miroir de 12cm disponible chez Spheric Music depuis quelques années, tout à fait honorable et cosmique somme toute, faute d’être tout à fait aussi magique et vintage. Robert Schroeder s’en sort assez bien, malgré 30 années d’écart qui peuvent parfois coûter cher, en termes d’authenticité. À vous de choisir votre camp.

https://www.news-music.de/
http://www.sphericmusic.de/
https://www.discogs.com/fr/artist/124166-Robert-Schr%C3%B6der

Un commentaire

  • Frédéric Gerchambeau

    Merci beaucoup pour cette très belle chronique à propos d’un des classiques de la Berlin School cosmique.

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