Jean-Michel Jarre – Mélancolique Rodéo

Mélancolique Rodéo
Jean-Michel Jarre
Robert Laffon / J'ai Lu
2019 / 2020
Jean-Michel Calvez

Jean-Michel Jarre – Mélancolique Rodéo

Jean-Michel Jarre Mélancolique Rodéo

Qui pourrait prétendre ne pas connaître un certain Jean-Michel Jarre (le nom, les sons, le reste), depuis qu’en 1976, un grand souffle d’Oxygène a déferlé sur la France et ailleurs, jusqu’en Chine ? Un album a suffi à lui seul à le mettre en orbite, et il n’en est jamais vraiment redescendu. Or, au-delà de cette success story, et à moins d’être un fan absolu et d’écumer les sites ou forums dédiés à la star (tel aerozonejmj.fr), on connait beaucoup moins la vie privée et le parcours du musicien, au studio ou sur la scène. Certes, existaient déjà un ou deux ouvrages publiés sur JMJ, mais une autobiographie « officielle » est la bienvenue pour remettre les pendules à l’heure et éclairer « de l’intérieur », si l’on peut dire, un parcours musical et personnel guidés par une chance folle, en plus de son talent. Alors même que tout le monde, à commencer par les labels qu’il avait sollicités, promettait l’échec à cet Oxygène jugé trop hors norme : « Pas de batteur, pas de chanteur, des morceaux de dix minutes, sans titre, juste numérotés. Un suicide. » On sait ce qu’il en est advenu, de ce suicide raté ! Mais dans cette sorte de bilan d’une existence bien remplie (mais pas terminée, qu’on se rassure), on apprend, le titre nous le dévoile, que JMJ est parfois mélancolique, lorsqu‘il se retourne sur son parcours.

Les chapitres sur l’enfance de JMJ sont bien entendu les plus personnels, on y comprend d’où vient sa fascination pour le son, plus encore que la musique. Mais ils ne suffiraient pas à en faire ici une chronique, qui se doit d’être un minimum « musicale », C&O oblige. Un lecteur fan de hardware sera peut-être un peu frustré, car notre musicien s’appesantit très peu sur son studio et ses machines : pas une fois n’y sont évoqués les mots oscillateur, enveloppe, ou filtre ! Mais la part géniale de cette biographie est ce qui touche à l’organisation de ses concerts géants, une œuvre en soi. Chacun d’eux sera à sa façon une première, innovante à plusieurs titres : lasers, lumières et projecteurs, etc., avec la cascade d’ennuis en tous genres (techniques, météorologiques, politiques, administratifs…) qui ont accompagné leur complexe mise en place… sans pour autant les faire foirer ; quoique, il s’en est fallu parfois de très peu ! Certains se sont transformés en aventure épique voire burlesque, tel le concert aux Docklands (banlieue de Londres) en octobre 1988, d’autres en naufrage absolu, au sens premier du terme, tel le projet de concert au Teotihuacan (Mexique) pour l’éclipse du 11 juillet 1991, victime de trop de sorts contraires ; or une éclipse n’attend pas, elle ne peut pas être reportée ! On y trouve aussi quelques « séquences-émotion », telle l’explosion de la navette spatiale Challenger en 1986, depuis laquelle devaient officier en direct Ron Mc Nair et son saxophone pour le concert à Houston : un rendez-vous manqué, pour de dramatiques raisons. Le concert a été maintenu, en hommage à l’astronaute mais sans lui ; il a donné l’album Rendez-Vous, au titre-clin d’œil explicite, dans lequel un certain solo de saxophone a, bien entendu, une place de choix.

Jean-Michel Jarre Mélancolique Rodéo Band 1

Sur ce sujet, le nombre de musiciens invités conviés à ses concerts et ses albums montre que, loin de n’être qu’une sorte de sorcier solitaire des synthétiseurs et autres machines, et ambassadeur des musiques électroniques, il a entraîné avec lui nombre d’artistes et de formations : orchestres chinois en 1981 en Chine, pour le fameux cycle de concerts de même nom. Un autre orchestre, arabe celui-là, s’associera à lui pour le concert à la Défense en 1990, les percussionnistes jamaïcains de Calypso Renegades jouant sur des bidons de pétrole pour l’album En Attendant Cousteau, et tant d’autres, connus et inconnus. Sans oublier les centaines de techniciens, éclairagistes, pyrotechniciens, claviéristes, ingénieurs du son, chauffeurs, roadies, tous indispensables à ses concerts à travers l’Europe et dans le monde entier durant deux décennies : quarante camions, rien que ça, pour les tournées Europe En Concert.

L’ouvrage entier est un mix équilibré entre sa vie privée, ses rencontres avec quelques grands de ce monde (tout au moins de la France, et un peu plus que ça !), ses amours et ses amitiés… et le sujet central qui a gouverné sa vie : la « musique » ? Non, les musiques, en fait, pas seulement la sienne. Liant incontournable de tout cela, cette sorte de message universel qui (pour JMJ, tout au moins) lui a ouvert toutes les portes ou presque et a permis toutes les rencontres, faisant du musicien ou de l’homme une sorte d’ambassadeur de la France, de la musique… mais aussi de lui-même et de ses albums, bien entendu ! Charité bien ordonnée, mais charité quand même.

Sur le plan des finances, de l’argent perdu ou celui généré par ces concerts « gratuits » drainant des millions (de spectateurs, mais pas seulement), pas grand-chose (ok, à C&O non plus, ça n’est pas le genre de sujet dont on veut parler dans nos pages). Hormis l’attention du musicien (chef d’entreprise) à rétribuer en priorité tous ceux qui y ont participé avec lui à l’aventure et permis que tout se passe bien. Et pourtant, on se doute que ces fêtes géantes ne sont pas gratuites pour tout le monde, mais soit, puisque ça n’est pas un sous-sujet très musical, on peut donc se passer de ces détails-là.

JMJ évoque l’album Téo & Téa, composé dans une période difficile voire dépressive (après la rupture avec Charlotte Rampling), nous avouant : « Plus d’idée, plus de souffle, j’avais l’impression de faire semblant et comme je devais un album à ma maison de disques, j’avais du coup fini par composer un maladroit ersatz, le très dispensable Téo & Téa ». Faute avouée est à demi-pardonnée ; mieux valait en effet l’avouer. Nous voilà d’accord, et même rassurés, car cet album était un bon candidat pour alimenter la rubrique « L’album de trop ? ».

Et toujours, en toile de fond, sa mère adorée et complice, et le père, Maurice Jarre, le grand absent de sa vie, qu’il ne rencontrera que de façon très épisodique, presque furtive et toujours frustrante. Il sera la grande « ombre au tableau » de son existence, jusqu’au décès solitaire de ce père perdu de vue, qui ouvre l’ouvrage. Ce récit autobiographique dresse du « musicien préféré » des Français (je m’avance un peu trop, là ?) un portrait humaniste et sensible, très loin du claviériste-compositeur-showman que l’on imaginerait inaccessible ou grisé par ses succès planétaire. Il montre également qu’il n’a pas toujours été si gâté par la vie, lorsqu’on sent peser, à chaque instant, l’absence d’un père inaccessible menant sa propre carrière de son côté, de l’autre côté de l’Atlantique. Un autre Rendez-vous raté, en somme.

Jean-Michel Jarre Mélancolique Rodéo Band 2

On découvre aussi un JMJ humaniste défenseur des droits, dont ceux d’artistes étrangers. Un combat abordé dès 1981 avec ses concerts en Chine (exigeant un concert sur la place Tian an Men), qui s’est perpétué à l’ occasion de la tenue de ses méga-concerts. Défenseur aussi de l’environnement : la pochette d’Oxygène en témoigne, dès 1976. C’est aussi, en filigrane, le portrait sensible d’un ambassadeur passionné de causes mondiales que dévoile cette autobiographie. Et si tout cela semble nous éloigner de la musique, qui devrait être l’objet exclusif (?) d’une chronique, il faut se souvenir que la musique est souvent apte à « adoucir les mœurs » (tarte à la crème ? Pas si sûr) et à améliorer le monde. Vœu pieux, certes, mais qui, pour lui comme pour d’autres (Rostropovitch à Berlin en 1989, etc.) engrange malgré tout quelques victoires, de temps à autre. Ce parcours d’un artiste illustre cela d’une façon très humaine, pavé de blessures, de ses échecs, mais aussi de nombreux succès, à commencer par celui d’avoir entraîné d’autres artistes dans son sillage et mis les projecteurs sur eux. Au-delà des Jamaïcains de Calypso Renegades en 1990 et de bien d’autres, le dernier exemple est le grand projet multi-collaboratif Electronica (opus I et II) qui a permis à JMJ de parcourir le monde à la rencontre des artistes invités. Un troisième opus (une nouvelle bordée, avec de nouveaux noms à l’affiche) serait en route, évoqué par JMJ lui-même, on attend donc la suite.

La vie et la musique de Jean-Michel Jarre sont soutenus par nombre de sites « officiels », forums ou fan clubs, permettant d’accéder à des tonnes d’informations sur le musicien et ses albums, le hardware et le software, les anecdotes. Ce livre, qui vient de ressortir en poche, est autre chose : une autre porte ouverte, voulue et signée par le musicien lui-même, qui apportera un plus indéniable à la somme d’interviews et de témoignages de seconde main déjà disponibles sur Internet. Si ce Mélancolique Rodéo est indispensable pour tout fan du musicien, il est aussi le reflet d’une époque : la naissance, l’évolution et la vie de la musique électronique elle-même, observée à travers celles de l’un de ses plus grands acteurs et témoins.

https://jeanmicheljarre.com/

 

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