Myselfson – Memory Park

Memory Park
Myselfson
Auto-production
2018
Frédéric Gerchambeau

Myselfson – Memory Park

Myselfson  Memory Park

Pour commencer, laissons Myselfson se présenter, puisqu’il le fait si bien. «Myselfson est un groupe d’electro-rock français anticonformiste situé sur Paris, créateurs de sons trash et oniriques, formé depuis fin 2009 de Jarl Myselfson (chant/paroles) et de Frank Nordag (clavier/guitare). Influencés par des groupes tels que Depeche Mode et Nine Inch Nails et ayant tous les deux des goûts très éclectiques, nous avons décidé de composer une œuvre à part s’inspirant tour à tour de la contre-culture gothique, du retro-futurisme, du surréalisme, du mouvement fetish, du Do It Yourself, etc…» Et voici comment ils décrivent eux-mêmes leur premier album, dont ils nomment le style electro-rock-indus : «Memory Park est un concept album que nous avons développé autour de l’idée d’un parc d’attraction avec un style musical d’inspiration plutôt gothique et expérimental qui a évolué petit à petit comme la réalisation d’un film avec un scénario aux ambiances très variées. Pour que nous puissions nous affranchir des styles, l’idée était que chaque morceau soit une attraction différente, avec pour thème clé la mémoire et la réminiscence.» Myselfson tient aussi à nous faire savoir que Memory Park, douze morceaux et plus d’une heure d’album, c’est plus de quatre ans de travail, plus de cent sessions en home studio, des centaines d’heures d’écriture pour réaliser les paroles des morceaux, des dizaines de séances d’enregistrement en studio, plusieurs mois de séances de mixages et de mastering. Voici donc pour le rapide résumé, déjà impressionnant, sinon passionnant. Mais à l’écoute, que donnent tous ces efforts ? En valaient-ils la peine du point de vue de l’auditeur ?

Autant vous mettre à l’aise tout de suite, ce Memory Park est encore bien meilleur que ce que Myselfson peut en dire par lui-même, encore que le concept de parc mémoriel utilisé ici permet d’imaginer aisément la diversité des chansons proposées dans cet album. Alors oui, Memory Park est varié, de la ballade triste au piano à la tournerie bien dancefloor, en passant par des morceaux rock à la guitare suavement distordue et d’autres titres pétris d’expérimentations. C’est un vrai plaisir, l’oreille peut se promener et errer tout au long de cet album et ne jamais se lasser des multiples trouvailles sonores qui le parsèment. On ressent tout à fait les quatre ans de boulot acharné et les plus de cent sessions en home studio qu’il a fallu pour mener à terme ce projet. D’autant qu’en plus du chant, des claviers et de la guitare, le côté rythmique a été particulièrement choyé, Rhei Weiss ayant joué de la batterie sur cinq des morceaux, s’occupant en plus des programmations pour l’ensemble de l’album. Et ça s’entend vraiment, Myselfson prenant même le parti parfois de varier les tempos au sein de certains titres, et toujours avec un à-propos et un brio étonnants.

Myselfson Memory Park band1

Cependant, tout ceci, tout ce show à suivre et à entendre, pourtant musicalement et techniquement ébouriffant – chapeau bas les gars ! – ne semble pas être l’essentiel de Memory Park. Comme s’il y avait encore plus d’humain que du musical à sonder dans cet album, ou au-delà. Sous son aspect trash-dancefloor se cache en fait un opus profond, ultra-sensible et même par instants spirituel. C’est comme si Myselfson avait tenté de mettre douze aspects d’une vie – de leur vie peut-être ? – dans douze titres bien plus intimistes qu’il n’y paraît au premier abord, faisant de ce Memory Park quelque chose comme un diamant vital à douze faces. Ceci n’est qu’une interprétation personnelle, bien sûr. Et l’on pourra me rétorquer que Myselfson s’adresse souvent à un auditeur virtuel auquel il parle comme à un ami, et qu’il n’y a donc rien d’intimiste dans tout cela. Ainsi, dans «Wake Up», ils nous disent «When the world trusts the banks, all become tradable… Wake up now and open your eyes, everyday you are just a slave.» Cela me rappelle le subtil avertissement déjà lancé il y a maintenant presque quarante ans par Kraftwerk avec une grande clairvoyance dans son Computer World, vous savez, cet album où les quatre membres du groupe apparaissaient sur l’écran d’un ordinateur personnel, ce qui était encore une nouveauté révolutionnaire à l’époque. Sauf que Myselfson ajoute cette phrase, «Every screen sucks your soul», faisant de chaque écran une sorte de vampire psychique. Mais n’est-ce pas là une manière d’obsession personnelle ? En effet, on retrouve exactement la même phrase dans «Screensuckers».

Myselfson Memory Park band2

Mais de quel écran parle-t-on là ? Car dans le même temps Myselfson avoue sa passion pour l’énigmatique et sulfureux David Lynch, qui leur a inspiré «Rain & Pain» et «At The Far Side Of The World». Tout ceci est donc troublant si on y regarde de près. Cela devient même fascinant, toujours à la façon de David Lynch, quand on se rend compte que Myselfson aime lier une chanson à une autre, transformant Memory Park en kaléidoscope. Ainsi le «I’m your rabbit» de «Cherry Dance» renvoie-t-il d’évidence au «We’re like rabbits» de «Like Rabbits». Mais toutes ces liaisons labyrinthiques plus ou moins discrètes s’effacent à mes yeux lorsque que le vrai visage de Myselfson apparaît, au moins est-ce de la sorte que je vois la chose, dans le dernier quart de l’album, celui où se révèle et éclate la sensibilité exacerbée de ses membres. Myselfson cesse d’être un duo intello de musiciens hyperdoués quand on aborde le triplet «Looking For Your Eyes/At The Far Side Of The World/Ashland». Là nous ne sommes plus dans les chants incantatoires, les guitares saturées et les rythmes obsédants, nous sommes dans le ressenti profond, la beauté instantanée, le spirituel délivré avec pudeur. Il faudrait presque commencer à écouter l’album par ce triplet pour bien prendre conscience que Myselfson est d’abord cette ultra-sensibilité avant d’être aussi tout le reste de son très excellent Memory Park.

www.myselfson.com

 

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