Gryphon – Red Queen To Gryphon Three

Red Queen To Gryphon Three
Gryphon
Transatlantic Records
1974
Thierry Folcher

Gryphon – Red Queen To Gryphon Three

Gryphon Red Queen To Gryphon Three

Le basson est-il un instrument de rock ? Quelle drôle de question. Et pourtant tous ceux qui ont un jour écouté Gryphon sont en droit de se la poser. Cet instrument improbable, qui n’avait jamais franchi le cercle étroit de la musique classique, est même devenu l’emblème de ce groupe météorique et atypique des années 70. Et si je vous en parle aujourd’hui, c’est que Gryphon vient de se reformer et propose, 41 ans plus tard, un nouvel album Reinvention. Mais faisons un petit retour en arrière. Dans les années 70, certains éléments de la jeunesse studieuse issus du conservatoire ou d’académies de musique ont décidé de se lancer dans des concepts musicaux plus ou moins délirants. Les frères Shulman et Kerry Minnear de Gentle Giant ou Irmin Schmidt et Holger Czukay de Can sont parmi les exemples les plus célèbres. A leur côté on peut ajouter ces deux anciens élèves de la Royal Academy of Music, Richard Harvey et Brian Gulland, qui vont fonder en 1973 le groupe Gryphon. Leur passion pour la musique baroque ainsi que la pratique d’instruments anciens va s’exprimer par la publication d’un premier album d’interprétations d’airs traditionnels anglais. Ce savoir faire lié à la fougue de la jeunesse produira un folk rock progressif très imaginatif pas très éloigné de Fairport Convention, Pentangle, Vashti Bunyan ou même de nos bretons de Tri Yann.

Quatre autres parutions vont suivre dont le remarquable Red Queen To Gryphon Three considéré aujourd’hui comme  leur « magnum opus ». Cet album débarque discrètement en 1974 dans un univers progressif  à son apogée mais aussi largement saturé. Pour étendre son auditoire, la bande à Harvey et  Gulland va faire les premières parties du grand Yes lors d’une tournée aux Etats-Unis et certains membres du groupe participeront au premier album solo de Steve Howe, Begennings. C’est ainsi que, petit à petit, le monde de Gryphon va s’ouvrir aux admirateurs de belles aventures musicales et connaître un joli succès. La pochette fera bientôt partie des icônes du genre et  l’utilisation du basson comme instrument solo alimentera la légende. Aux côtés du duo fondateur, on retrouve Graeme Taylor aux guitares, David Oberlé aux percussions et Philip Nestor à la basse. Red Queen To Gryphon Three est composé de quatre instrumentaux tournant chacun autour des dix minutes et dont le thème fait référence à une partie d’échec. La musique, d’une grande richesse, est à la fois symphonique et baroque. Mais la grande force de nos londoniens est de donner au basson de Brian Gulland une liberté d’expression jamais entendue auparavant. C’est lui qui va jouer la plupart des phrases mélodiques avec un timbre grave et paresseux poussant à la méditation comme le fait le vieux sage de la pochette.

Gryphon Red Queen To Gryphon Three Band 1

La partie d’échec commence avec le bien nommé « Opening Move ». Son introduction fait aussitôt  penser à du Yes pris en main par Rick Wakeman. Puis, peu à peu, la touche Gryphon s’installe avec l’apparition du basson et du crumhorn (le tournebout français) qui ne lâcheront plus l’affaire sur tout le morceau. Autre constatation, on a bien affaire à un groupe de rock capable de muscler sa partition. La partie rythmique est particulièrement réussie et peut épauler les instruments à vent pour un crescendo épique qui ne s’arrêtera qu’à la fin avec l’arrivée du piano et du basson en solo. « Opening Move » est une très belle composition qui élargit le répertoire du groupe sans trahir pour autant son identité. « Second Spasm » démarre sur le ton d’une gigue classique jusqu’à ce que la basse et la guitare nous refassent du Yes de salon. On comprend mieux pourquoi la formation de Jon Anderson et Chris Squire a choisi Gryphon pour leur tournée. Ils n’avaient pas la concurrence d’un clone et offraient à leur public exigeant une autre approche de leur musique. Bien joué les gars ! Ensuite le morceau va alterner les climats rock avec des passages baroques sans que cela soit décousu et incohérent. Du beau travail servi par des musiciens inspirés pour une première face (vinyle) en tout point réussie.

Une fois la galette retournée,  Red Queen To Gryphon Three nous propose « Lament », certainement la pièce maîtresse du disque, ou plutôt celle qui a fait date et qui symbolise le mieux la musique de Gryphon. Le morceau est structuré en plusieurs séquences distinctes qui s’enchaînent à chaque fois dans des registres différents. L’écriture est plus personnelle et le basson prend toute son importance en nous délivrant dés la première partie de très jolies mélodies. En parlant de mélodie, celle que chante en 1978 John Wetton sur le morceau « In The Dead Of The Night » du groupe U.K. ressemble vraiment beaucoup à un passage de « Lament ». Mais bon c’est certainement fortuit…Il vaut mieux retenir le charme langoureux de la deuxième partie et les prouesses rythmiques de David Oberlé qui vont suivre. Pour moi ce titre reste un classique du rock progressif qu’il faut absolument connaître si vous aimez ce genre de musique. La partie s’achève avec « Checkmate » qui commence par une démonstration typique de l’école de Canterbury avant que le bon vieux folk rock médiéval ne reprenne possession des lieux. La fin est pleine d’allégresse et nous assène un magnifique échec et mat en forme de bouquet final.

Gryphon Red Quenn To Gryphon Three Band 2

Alors, le basson est-il un instrument de rock ? Pourquoi pas, tout dépend l’utilisation que l’on en fait. Il faut savoir que les références fondamentales du rock peuvent être transgressées sans pour autant les trahir. Peu importe la forme, c’est l’état d’esprit qui compte. De ce point de vue, Clair & Obscur ne pouvait ignorer Gryphon et son rock progressif médiéval vraiment hors du commun et Reinvention, leur nouvel album, fera sans doute l’objet d’une future chronique. Pour l’instant, qui veut faire une nouvelle partie d’échec ?

 

http://www.thegryphonpages.com/

 

3 commentaires

  • Mignon Claude

    Très chouette chronique qui nous amène à mieux connaître ce groupe qui ,sans doute, pâtit du même syndrome envers Yes que Mona Lisa envers Ange…

    • Thierry FOLCHER

      Merci Claude. C’est bien de rappeler au monde que Mona Lisa et son leader Dominique Le Guennec étaient une alternative plus qu’honorable au groupe de Christian Décamps.

  • Ardennais

    Je me réjouis de voir réapparaître Gryphon, un groupe hélas trop méconnu. Sa musique apporte une fraîcheur, une poésie très appréciable. J’adore l’utilisation d’instruments acoustiques, notamment classiques (mais aussi « folkloriques ») dans les groupes de Rock progressif, et j’ai toujours été un amoureux du basson, donc mon bonheur est absolu. ^^

    On peut sans doute considérer qu’un digne descendant direct de Gryphon, dans le genre « médiéval progressif » (sic) est Minimum Vital, initialement nommé Vital Duo, des frères Payssan.

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