Animal Triste – Animal Triste (+ interview)

Animal Triste
Animal Triste
M2L
2020
Fred Natuzzi

Animal Triste – Animal Triste

Animal Triste Animal Triste

Amateurs de rock burné, ombrageux, fougueux, sauvage, voici que nous arrive un groupe français (oui m’sieur dames) qui n’ambitionne rien d’autre que de nous donner du pur plaisir rock, en mêlant toutes leurs influences qui vont du rock de Nick Cave, Mark Lanegan ou celui de Jim Morrison au post rock de Mogwai, en passant par le géant Bruce Springsteen. Animal Triste débarque donc avec à son bord des anciens de Radiosofa, Mathieu Pigné (batterie) et Fabien Senay (guitare), deux musiciens de La Maison Tellier, Yannick Marais (chant) et Sébastien Miel (guitare), Cédrick Kerbache (Dallas)(basse) et David Faisques (Darko)(claviers, guitare). Ces six-là ont décidé de tout envoyer valser l’espace d’un album et de laisser leur inspiration flairer du côté du désert californien, des montagnes rocheuses ou des routes désertiques des grands espaces. Cela donne un album homonyme resserré autour de huit titres aussi urgents les uns que les autres. Tellement urgent cet opus qu’il a été enregistré en seulement trois jours.

Pourtant, l’animal est triste. Triste parce qu’il sait que le rock qu’il joue est celui qu’il a adoré dans le passé et qui ne s’entend plus trop maintenant. Triste parce qu’il sait que la musique qu’il doit écrire, qu’il doit jouer, quoi qu’il en coûte, c’est celle-ci, celle qui donne la trique et pas une demie molle, comme le soft rock que l’on entend à longueur d’allées de supermarchés fantomatiques peuplées d’êtres tristes aussi mais pas pour les mêmes raisons. Triste parce que l’époque confinée l’est encore plus, autant celle pendant laquelle l’album a été finalisé que la nouvelle. Alors autant être brut, autant tout donner et retrouver une animalité salutaire. Ne rien regarder, ne rien dire, ne rien analyser, se concentrer sur la musique. Elle est là, nue, sans artifices, comme sur un autel devant lequel on danse. Autour de cet autel, des guitares. Et pas qu’une, non. Des claviers, une basse, une batterie et une voix, celle par laquelle se manifestent les spectres des chanteurs cités pour n’en faire qu’une seule et ainsi magnifier l’essence de la musique. Nos six musiciens fusionnent leur propos avec un art païen propre à exorciser quiconque vénère encore Christophe Maé ou Julien Doré. On les accompagne ou on les regarde s’éloigner. C’est tout ou rien. Sans compromis. Sans concession.

Animal Triste Animal Triste band 1

« Darkette » ouvre le bal et déjà, tout est là et tout est dit. Un brûlot pour incendier nos vies exiguës et ouvrir une brèche vers la lumière. Les guitares posent des textures de fin du monde, la batterie assène ses coups comme un marteau implacable, les claviers ouvrent progressivement nos yeux sur un paysage de plus en plus étendu, la basse creuse un sillon implacable. Au bout… qu’est-ce qu’il y a au bout ? Question en suspens. « Shake, Shake, Shake » enchaîne tel un crotale du désert, tous crochets dehors, avec un rock tendu et sauvage. Attention ça attaque fort et ça mord. Puis, « Dancing In The Dark » vient nous rappeler que le Boss lui-même avait déjà résumé le ras-le-bol existentiel avec cette chanson, reprise ici par nos Animaux plus Tristes que jamais. « You can’t start a fire without a spark », c’est bien de notre société dont il s’agit. Nous avons tous besoin d’une « love reaction ». Plus vrai que jamais. « Wild At Heart » nous embarque sur ces longues routes désertiques pour une histoire d’amour que l’on croyait tranquille. Que nenni, c’est encore un voyage sauvage qui nous est proposé là. Avec une construction exemplaire, le morceau nous emmène très loin et les fulgurances des guitares, ce mur de son, emportent le tout vers une fin désespérée et jouissive. Yannick Marais est impressionnant de charisme et d’investissement dans son chant à la fois maîtrisé et au bord de la faille tout au long du disque.

L’aura d’un Nick Cave plane au-dessus de « Sky Is Something New », sombre mais éthéré, dans un paysage sonore tout en écho, mouvant, où l’on se perd, où l’on ne sait ni où on est ni où on va. Ce côté malléable d’un entre-deux indistinct, entre le rêve et la réalité, à la fois beau et triste, est saisissant. « Amor Bay », c’est un morceau qui vous veut du bien, qui éclaire un peu la face de ce disque en montrant un visage plus tendre, un havre de paix mélodique. Il fallait bien ça avant « Vapoline » où l’on retrouve une atmosphère plus tendue avec une partie où le fantôme de Jim Morrison s’est invité, rendant le morceau encore plus vénéneux avec une belle montée en puissance. Sur « Out Of Luck », c’est non seulement la batterie exceptionnelle de versatilité de Mathieu Pigné qui tend vers les Doors, mais tout le combo qui ajoute ici et là des sons de ce groupe pour amener ce titre désespéré vers les sommets. Les guitares crachent, la section rythmique soulève tout et le chant assène le coup de grâce. Un voyage sans retour dans les ténèbres avec des instants de luminosité aveuglante pour mieux replonger dans l’obscurité. Voilà ce que proposent ces huit titres urgents, sans fioritures, uppercuts dans la réalité pour se frayer un chemin et dégager la voie.

Animal Triste Animal Triste band 2

On appréciait déjà la complicité qui unit nos six compères car ils se connaissent depuis très longtemps et ont partagé des projets musicaux très divers, mais ici, avec Animal Triste, ils ont capitalisé toutes leurs influences, toute leur énergie, tout leur ras-le-bol, toute leur amitié aussi (et sûrement quelques litres de bières) pour faire d’Animal Triste LE disque rock de leur vie. Du moins le projet rock si ce n’est le plus important, le plus signifiant à ce stade de leur carrière et sans doute de leur vie. Car la musique, quand elle est dans le cœur d’un homme au point d’en faire son métier, elle est le moteur de tout. Faire ce disque-là à ce moment-là de nos vies, cela veut dire quelque chose. Et chacun y portera sa signification, sa valeur. Un disque important dans notre contexte actuel mais qui le restera aussi dans quelques années, quand on ne se souviendra plus qu’en 2020 nous dansions tous dans l’obscurité.

https://www.facebook.com/animaltriste/

https://animaltriste.bandcamp.com/album/animal-triste

Mathieu Pigné, co-fondateur d’Animal Triste et batteur, a bien voulu répondre à quelques questions pour éclairer la démarche du groupe et faire le point sur le rock en 2020.

Animal Triste Animal Triste band 3

Frédéric Natuzzi : Sortir un album rock comme celui d’Animal Triste en 2020, c’est un acte militant ou c’est juste pour oublier notre société et tracer son chemin ?

Mathieu Pigné : Le « militantisme » est un mot que je n’aime pas trop utiliser car il est usé à toutes les sauces par tout le monde dès qu’il y a une cause à défendre ou que sais-je (et ils sont nombreux les artistes à se faire du beurre comme ça pour vendre leur soupe). Mais de fait, faire du rock aujourd’hui c’est tellement compliqué qu’il y a effectivement un bras de fer invisible engagé. C’est pas du militantisme mais plutôt une forme de résistance, histoire de montrer à nos kids qu’on n’a pas plié face à l’océan de médiocrité culturel qui s’abat sur nous.

FN : Comment est né ce projet ? D’un ras-le-bol ? D’une murge bien carabinée ? D’un road trip avec les potes dans le désert ?

MP : Exactement comme ça – excepté la murge carabinée qui était juste une petite soirée de griserie – On devisait gaîment avec Fabien et Yannick après un concert, on s’est dit qu’on avait envie de faire ensemble la musique qu’on aimait et qu’on n’entendait plus. On ne veut pas être aigri, ni cynique et encore moins baisser les bras. Jouer du rock c’est dans notre ADN, on est né avec, on a commencé comme ça, ça nous a semblé être la chose juste à faire. Ce groupe nous a en quelque sorte sauvé, pour ma part j’avais besoin de me purifier un peu, de retrouver l’essence de pourquoi je suis musicien. Je l’avais un peu perdu.

FN : Animal Triste, c’est la suite logique de Mr Jack, Radiosofa, Darko et Basquiat’s Black Kingdom pour toi ?

MP : Tout à fait. Ces groupes que tu cites ont ce point commun d’être des groupes de vrais potes, des groupes avec mes meilleurs amis, de gens dont je valide tout, de ce qu’ils sont jusqu’à ce qu’ils font. Avoir un groupe, c’est se fabriquer des souvenirs et mes plus beaux souvenirs je les ai eu avec ces groupes-là. Avec Animal Triste, tout n’est que simplicité et émulation amicale et artistique. C’est la base de la musique je crois. Quand tu n’as plus ça tu perds tout.

FN : Une cover de « Dancing In The Dark », que représente ce titre pour le groupe ? S’attaquer à Springsteen en en faisant une relecture, est-ce simple ?

MP : C’est « logique ». Springsteen – pour ce qu’il représente, son intégrité, sa façon d’avancer sans jamais se désavouer- est une icône. Une forme de statue du rock qui trace un chemin qu’on devrait tous emprunter (et qu’importe les genres musicaux). Ce mec ne triche pas et ça se sent, même dans ses mauvais titres. Il n’essaie pas d’être, il est. Pour autant il ne fait pas vraiment partie de nos références musicales, mais ce titre, ce qu’il raconte, ce qu’il véhicule, nous a semblé tout à fait approprié pour dire qui on était à travers lui.

FN : Il y a tout un tas d’influences qui se manifestent dans votre musique. Est-ce votre façon de rendre hommage ou c’est la voie que vous pavez pour rencontrer vos idoles ?

MP : C’est exactement ça. Un hommage sans plagier. Je crois que tu dois quelque chose à la musique, à ceux qui ont fait démarrer le brasier. Pour ma part les Doors ont été un starter, sans eux je ne serais pas musicien, je sais que c’est pareil pour d’autres membres du groupe, à ça tu peux rajouter plein d’autres artistes, de Neil Young en passant par Nick Cave, Joy Division ou plein d’autres encore. Ces gens-là nous ont changé, et en bien. Ce n’est pas être passéiste que d’essayer de retrouver l’étincelle originelle qui nous a fait vibrer quand on était môme.

FN : Du coup, comment avez-vous composé ces morceaux ? Des musiciens sont venus se greffer au projet petit à petit, comment ont-ils fait évoluer les titres ?

MP : Au départ nous étions trois, Fab, Yannick et moi. On se voyait toutes les semaines dans la cave de Fab pour essayer des trucs, voir où des mélodies pourraient nous emmener, sans vision large ni plan sur la comète. Puis Drixé le bassiste nous a proposé de répéter, il était en manque de son, de local, de soirées sous décibels. Darko et Seb nous ont rejoint très vite, pour la simple et bonne raison qu’il nous semblait inconcevable de faire de la musique sans eux et parce que leur apport musical est aussi important que leur apport humain. Voilà des années que je joue avec Darko dans des formations diverses et varié(t)es, quand il n’est pas là je boite.

FN : Comment avez-vous travaillé le son des morceaux ? « Sky Is Something New » est très différent de « Darkette » qui est très différent de « Amor Bay » par exemple.

MP : « Darkette » comme son nom l’indique est un titre de Darko, on l’a joué en studio la veille du confinement, j’avais l’impression de rouler sur une autoroute de nuit sans personne, le titre était juste là comme ça sous nos doigts, on n’a pas eu a le chercher très longtemps. « Sky » est le morceau qui nous a uni très vite, c’est un des premiers composé par Fab, dès que Yannick a posé sa voix dessus on a vu comme une évidence. Idem pour « Amor Bay », parfois on cherche plus sur un titre que sur un autre, mais ça reste toujours très facile, chaque idée de l’un ou de l’autre est toujours la bienvenue. On se fait confiance, c’est aussi simple que ça.

Animal Triste Animal Triste band 4

FN : Comment Yannick a-t-il géré sa voix sur ce disque qui est très rock et très noir ? Il est impressionnant !

MP : Je crois qu’il avait un terrain de jeu assez vaste pour lui, et une liberté totalement acquise – c’est la base de ce groupe la liberté- il avait envie d’aller loin et de s’amuser avec sa voix. C’est un chanteur exceptionnel. Le meilleur avec qui je n’ai jamais travaillé. Dès qu’il est derrière un micro je jubile, on a les mêmes références, les mêmes envies.

FN : Le rock noir d’Animal Triste est assez cinématographique avec des morceaux comme « Shake Shake Shake », « Vapoline » ou « Wild At Heart ». « Wild At Heart » c’est aussi le titre d’un film de David Lynch. Animal Triste, c’est la bande-son fantasmée d’une époque qui n’existe plus ?

MP : Il y a de ça oui, on parle souvent ciné tous ensemble, notre grand jeu Seb et moi c’est de dire du mal de Nolan par exemple mais même s’il y a beaucoup de références je ne crois pas que cette époque n’existe plus, je pense qu’elle est bien là, juste ensevelie sous une couche de merde dont on n’arrive pas à se départir parce qu’on ne sait plus où regarder. On n’est pas les seuls à faire ça, la scène locale rouennaise par exemple est très active, des groupes comme MNNQNS, Servo, Bungalow Dépression, Greffel (et j’en oublie) se bougent énormément. Et je sais qu’il y a d’autres scènes partout en France. Le truc c’est que tu te sens un peu abandonné par les médias, ceux qui nous défendaient avant, les inrocks préfèrent parler de Aya Nakamura que de Idles, rock & folk n’écrit plus que des papiers ringards sur des vieux groupes dont tout le monde se fout, heureusement il reste certains web-zines libres qui s’activent, mais ils n’ont pas le même éclairage ; quant à la télévision c’est l’enfer, tu vois toujours les mêmes mecs pas dangereux pour un sou qui viennent faire leur promo et débitant leur tisane de mauvais goût, exit le vrai live, la rugosité, toutes ces choses qui donnent un sel intéressant à l’art, ils sont devenus comme les hommes politiques avec leurs sourires factices qui préfèrent sauver leur peau plutôt que celles des gens qui leur ont confié les clefs.

FN : On sent bien que vous y avez mis toutes vos tripes dans ce projet. Mais est-ce un one-shot ou planifiez-vous une carrière à long terme avec Animal Triste en parallèle de vos autres engagements musicaux ?

MP : On ne doit pas penser carrière, c’est le mot le plus dangereux je crois dans ce métier, dès que tu réfléchis en ces termes tu te projettes et tu ne vis pas l’instant. Aujourd’hui il se vend encore des disques mais moins de musique parce que justement tu penses carrière avant même de réfléchir à ce que tu vas mettre dans ton art. Animal Triste nous emmènera là où il devra nous emmener, c’est pas le véhicule le plus rapide et on n’a pas pris l’autoroute, mais qu’importe la destination finalement, on y va comme on veut, sans contraintes et avec moralité.

FN : Parlons de la scène. En ce moment ce n’est malheureusement pas envisageable. Des projets en 2021 ?

MP : Dès que le monde sera réparé on sera là, là où on voudra de nous, et s’il y a bien une chose dont je suis sûr, c’est que ça sera jouissif. En 2021, on va s’atteler à écrire des nouvelles chansons – on a déjà commencé – pas parce qu’il faut le faire mais parce qu’on veut le faire, c’est nécessaire, essentiel, ça nous fait du bien, et avec un peu de chance ça fera du bien à d’autres personnes.

FN : Comment vis-tu cette époque du confinement ? Quel est l’état d’esprit des membres du groupe ?

MP : Je suis triste pour mes amis qui sont sur le carreau, je suis triste qu’on considère la culture comme non essentielle, tout ça va de pair avec ce long glissement culturel, intellectuel, c’est un écroulement logique – et la crise sanitaire n’est pour moi qu’un révélateur de plus – À titre personnel je me suis battu pour ne pas me laisser ensevelir, j’ai l’impression d’avoir récupéré ma vie, mes envies, Animal Triste me fait un bien fou et l’énergie que ce groupe me/nous donne m’a aidé à regarder demain. J’ai pu terminer mon premier roman qui sortira dans un an, je sais que les gars de La Maison Tellier planchent d’arrache-pied sur un nouvel album, des nouvelles chansons d’Animal Triste sont dans des tiroirs, avec Darko on avance sur la réalisation d’album pour 2021. On ne se laisse pas faire.

FN : Si tu devais citer trois disques fondamentaux pour encore mieux comprendre l’esprit d’Animal Triste ?

MP : Exercice toujours difficile d’autant plus qu’on est six…. The Doors : Strange Days, Nick Cave & The Bad Seeds : Push The Sky Away, Slayer : Raining Blood.

Propos recueillis par Fred Natuzzi (Décembre 2020)

 

 

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