Vindotalé – Tan
Aztec Music
2020
Thierry Folcher
Vindotalé – Tan
Un petit tour par la Bretagne avec le duo Vindotalé, ça ne se refuse pas et pour bien des raisons, faites-moi confiance. Cela fait maintenant de nombreuses années que la musique bretonne a pris le parti du métissage et de la diversification grâce à des sons et des arrangements venus d’horizons multiples. Des compromis habiles qui se marient sans peine avec son âme traditionnelle pour donner des résultats savoureux et la plupart du temps inédits. La musique de Vindotalé utilise cette même formule et s’offre à nous tous, que l’on soit à fond dans le trip breton ou pas. Le trait commun, celui qui va nous réunir, c’est le bonheur de passer un agréable moment en compagnie d’une chanteuse exceptionnelle et d’un musicien plein d’inventivité. Vindotalé (Gwendal en langue proto-celte), c’est la voix de Bleunwenn, chanteuse emblématique de la scène locale (Tri Yann, Dan Ar Braz, Seven Reizh, entre autres) et c’est la guitare de Gwenole Lahalle, musicien bidouilleur et professionnel du son créatif, lui aussi présent auprès d’une pléiade d’artistes en tous genres. De leur rencontre va naître Tan, un album percutant et caressant dont les onze titres vont alterner des partitions traditionnelles revisitées avec des créations originales. La pochette de Tan (le feu en breton) est peut-être la meilleure indication de ce qui attend l’auditeur. Sa couleur et son flamboiement sont à l’image des chansons, à la fois crépitantes et chaleureuses. Bleunwenn se présente même en silhouette d’une gitane de paquet de cigarettes dansant autour d’un feu de joie. Car ce sont bien la danse, la convivialité et les gwerzioù mélancoliques qui vont nous emporter sur un peu plus de quarante minutes d’une complicité musicale et d’un bonheur à transmettre.
Dés les premières notes de « Melezourioù Arc’hant » (Les Miroirs d’Argent) on est frappé par la puissance du beat que l’on prend en pleine figure et sur lequel la voix de Bleunwenn se cale sans difficulté. Ce chant traditionnel se change rapidement en une transe hypnotique propre à envoûter n’importe quel quidam, du moment qu’il soit ouvert d’esprit et à l’écoute de son corps. Tan est un album facile d’accès où la tradition et le parler breton ne sont ni une faiblesse ni un vecteur élitiste. Cela ressemble plutôt à des lignes musicales aux sonorités merveilleuses qui font voyager loin dans l’espace et dans le temps. C’est l’un des atouts de ce disque avec un pied dans le passé fondateur et l’autre sur des rivages plus modernes, forcément rassurants. La recette, éprouvée depuis longtemps, permet avant tout de s’exonérer du carcan folklorique et de rendre cette culture plus vivante que jamais. Et puis, la diversité des climats va permettre de passer de comptines légères (« Bremañ ») à de petites tragédies dont les soirées d’autrefois faisaient la promotion (« Dessous Les Lauriers Blancs »). Cette dernière chanson rappelle sans équivoque le chant de Jean-Paul Corbineau et le passage de Bleunwenn au sein de Tri Yann qui vient d’achever son « kenavo tour », célébrant cinquante ans d’une carrière extraordinaire et pour lequel Vindotalé fut invité sur quelques dates. Par ailleurs, il est important de préciser qu’une voix, aussi belle soit-elle, ne pourra occulter la qualité instrumentale de ce disque et surtout pas les accents divers de la guitare de Gwenole. Que ce soient en accords tranchants (« Can Y Melinydd »), en arpèges délicats (« Karantez Vro ») ou en solo léger (« Bremañ »), la palette est complète, opportune et d’une grande maîtrise technique.
Tan est un voyage à travers les mondes d’ici (« Bleuniou Mae ») ou d’ailleurs (« Gouelec’h ») porté par des instruments traditionnels (Sylvain Barou, Gwenaël Mevel) et des rythmes exotiques (la belle bossa-nova de « Dessous Les Lauriers Blancs »). Magie des compositions qui se baladent très naturellement sur tout ce que la musique est capable d’offrir à des musiciens sans cesse à l’affût de mariages improbables et d’innovations. La plume de Bleunwenn est, quant à elle, légère et poétique naviguant entre croyance populaire (« Ar C’hazh Du ») et songe oriental (« Gouelec’h »). Vous l’aurez compris, les onze titres de Tan ne prennent jamais la décision de se figer dans un style bien précis ou dans une couleur particulière. Chaque morceau est une découverte, un voyage que seule la voix de Bleunwenn permet de rassembler pour en faire une chose cohérente et passionnante. Et puis, bien sûr, il y a ce petit plus, ce frisson imperceptible qui devient vite addictif au fil des écoutes. « Marzhin En E Gavell » (Merlin Au Berceau), fait partie de ces moments à part où la voix et la guitare passent de la hargne à la douceur avec beaucoup de savoir faire. Pour moi, un des plus beau moments de cet album, assurément.
Vindotalé est un fragment de la scène bretonne, hyperactive et transportable. Une scène dont la musique s’exonère des frontières pour conquérir sans peine un large auditoire. Il serait dommage, sous prétexte d’un hermétisme vis à vis des cultures régionales, de passer à côté de ces artistes au potentiel bien plus intéressant que celui de certains cadors du show-biz. La voix de Bleunwenn était bien sûr un gage de qualité mais la bonne surprise fut de voir comment son association avec la musique de Gwenole Lahalle à frappé juste là où il fallait pour faire de Tan une franche et belle réussite.