Viima – Väistyy Mielen Yö
Viima Records
2024
Thierry Folcher
Viima – Väistyy Mielen Yö
L’histoire des Finlandais de Viima se confond étrangement avec celle de leurs compatriotes de Tenhi. Une apparition remarquée dans les années 2000, suivie d’une interminable coupure précédant un retour à la lumière aussi inattendu que réussi. Des similitudes certes, mais pas dans la musique. Si le parler finlandais arrive encore à les réunir, ce n’est qu’illusion, car l’atmosphère sombre et recueillie de l’un n’a vraiment rien à voir avec les pétillantes compositions de l’autre. Pour tout vous dire, Viima me fait penser à une version scandinave de l’école de Canterbury. Les élégantes parties instrumentales sont omniprésentes et prennent souvent le dessus, notamment celles à la flûte de Hannu Hiltula, la plupart du temps jouées dans un style plus jazzy que folklorique. Viima, c’est le Vent en finnois et Väistyy Mielen Yö semble vouloir dire L’esprit de la nuit s’affaiblit (sans garantie). Lorsqu’on observe la pochette de l’album, on a bien le sentiment que Viima veut nous faire passer de l’ombre à la lumière, mais la difficulté, vous vous en doutez, c’est la compréhension de ce langage à la fois magnifique et hermétique. Qu’importe, la musique et quelques éléments de traduction feront amplement l’affaire pour ne pas passer à côté des intentions du groupe. Viima a vu le jour dans la ville de Turku à la toute fin du 20ième siècle avec un line-up où seul le guitariste Mikko Uusi-Oukari subsiste encore aujourd’hui. Les nombreuses allées et venues de personnel ont tout juste permis d’enregistrer deux albums, Ajatuksia Maailman Laidalta en 2006 et Kahden Kuun Spirit en 2009. Väistyy Mielen Yö débarque donc quinze ans après, avec la nette volonté de relancer un projet musical basé sur un rock progressif d’influence anglo-saxonne, mais avec des textes écrits en langue locale, ce qui est loin d’être un handicap de nos jours.
Contrairement à Tenhi, dont la musique a considérablement changé, celle de Viima s’installe dans la continuité, mais avec davantage de maturité et une accroche beaucoup plus immédiate. Le chant de Risto Pahlama est convaincant et bien plus profond que celui de Hannu Hiltula qui officiait sur le disque précédent. En écoutant ce nouveau disque, j’ai ressenti une belle homogénéité et un réel désir de partage, autant dans le rêve que dans le désespoir. La lumière s’installe d’entrée avec « Tyttö Trapetsilla », un premier titre qui nous fait partager les drôles de sensations d’une « fille au trapèze », en pleine représentation au-dessus d’un public hypnotisé. Cette danse virevoltante se transforme par instants en folle sarabande grâce à la flûte et à la guitare entièrement dévouées à la magie du spectacle. Un début tonique et réussi qui laisse entrevoir de grandes possibilités chez ce groupe quasiment ressuscité. Changement radical de ton et de décor avec « Äiti Maan Lapset » (les enfants de la Terre mère), un gros pavé de presque vingt minutes écrit et composé par le batteur Mikko Väärälä. Ici, sont regroupés presque tous les tourments que notre Terre supporte, ou plutôt, ne supporte plus. Dans le propos, on est passé de la légèreté à la pesanteur, mais sans que la musique n’en souffre. Après une entame très rock où la batterie se régale et nous montre toute son habileté, les premières harmonies du désastre sont en revanche plutôt aériennes et peu conformes à la noirceur du discours. Si je n’avais pas approfondi le texte de Mikko Väärälä, je n’aurais pas du tout perçu sa vision d’apocalypse ni son constat effrayant. Heureusement, tout se termine par une petite touche d’espoir qui convient beaucoup mieux à la délicatesse de certains passages au clavier et à la rondeur de la basse de Aapo Honkanen. Drôle d’interprétation musicale de l’horreur, mais en définitive assez convaincante et surtout, très agréable à écouter. Les dernières minutes, bourrées de sensualité, sont tout simplement magiques.
Ensuite, « Pitkät Jäähyväiset » (longs adieux) prolonge la tristesse du titre précédent dans une évocation désespérée du monde d’aujourd’hui et du départ inéluctable qui nous attend. Côté musique, c’est au contraire un sacré bon moment qui nous est offert. Le mellotron est à la fête et enrobe superbement les parties chantées ainsi que les riffs de la guitare. La musique de Viima est tout simplement belle et ne demande pas forcément que l’on adhère aux textes, même si tout ce qui y est raconté est malheureusement réaliste. Quand j’écoute ce disque, je trouve que la musicalité du parler finnois apporte une touche d’exotisme et d’étrangeté qu’il serait dommage d’affaiblir avec certains mots, en contradiction avec la beauté des notes. Et si l’imperméabilité de ce langage était un avantage ? Moi, je le prends comme ça, ce qui me va très bien. En me concentrant sur la musique, j’ai le sentiment d’aller à l’essentiel, d’autant plus que l’on n’a pas attendu Viima pour prendre conscience des mauvaises ondes actuelles. On continue avec la belle poésie de « Perhonen » (papillon), un titre magnifique où le recueillement du piano électrique du début se transforme peu à peu en chant incantatoire, porteur d’espoir. La batterie se fait légère, la basse se met à l’unisson et l’émotion nous emporte sans difficulté. Ce titre m’a renvoyé au traditionnel « Greensleeves » et à son message d’amour tellement beau et universel. L’album se termine avec « Vuauren Rauha » (la paix de la montagne), une chanson ouvertement libératrice. Risto Pahlama chante joliment cette histoire d’un homme qui laisse derrière lui les fardeaux du passé et s’enveloppe d’une paix profonde. L’orgue de Hannu Hiltula sera le dernier à s’exprimer dans un style où des frissons, à peine contenus, seront à coup sûr au rendez-vous.
Le retour inespéré des Finlandais de Viima est un réel succès. A l’image de la pochette très accrocheuse, la musique de Väistyy Mielen Yö est bourrée de bons moments, qu’un habitué des grandes épopées « canterburiennes » trouvera inévitablement à son goût. Un mélange de rock, de folk, de prog et de jazz sacrément bien ficelé et parfaitement interprété par un groupe devenu mature et sûr de son fait. Maintenant, est-on obligé d’attendre quinze ans pour réussir sa mue ? Je ne le pense pas et des étapes intermédiaires n’auraient pas été de trop. La suite sera, peut-être, plus animée, même si j’ai le sentiment que Viima ne court pas après une obsédante présence sur le devant de la scène. Mais je peux me tromper.