Tenhi – Valkama

Valkama
Tenhi
Prophecy Productions
2023
Thierry Folcher

Tenhi – Valkama

Tenhi Valkama

J’ai fait la connaissance de Tenhi au début des années 2000 grâce à l’album Väre, deuxième opus de cet étrange combo finlandais qui peut s’enorgueillir d’être un cas à part dans la sphère prog/folk scandinave. En effet, je n’ai pas souvenir d’exemples similaires, où la musique quasi religieuse (dans le sens de recueillement) arrive à séduire malgré la lenteur et la pesanteur de certains morceaux. Le chant de son leader, l’énigmatique Tyko Saarikko, frôle en effet le pathos dans sa façon de raconter des histoires plutôt fermées et qu’il a bien fallu traduire. Je ne pratique pas le finlandais couramment (ni même occasionnellement), mais je me suis vite rendu compte de la nécessité d’approfondir des textes qui semblaient assez impénétrables au premier abord. Et c’est bien sûr, grâce à quelques éléments de compréhension, que tout s’est éclairé, que tout est devenu beau et que la musique de Tenhi a pu me séduire. Väre porte en lui les stigmates de ces premiers opus encore verts, mais tellement prometteurs. J’adore ce disque, très reposant, qui aurait dû lancer le groupe et le propulser bien au-delà des frontières finlandaises. Malheureusement, la suite est restée confidentielle jusqu’à la parution en 2011 de Saivo, ultime jalon d’une courte carrière pas vraiment achevée. Et puis, ô surprise ! Valkama débarque cette année comme une résurrection inespérée pour continuer une œuvre où tout n’avait pas été dit ni même composé. Alors qu’en est-il de ce disque miraculeux ? Pour moi, l’écart avec les albums de jeunesse est immense, pour ne pas dire gigantesque. Hormis les thèmes abordés, profondément ancrés dans la tradition finnoise, j’ai l’impression que Tenhi s’est un peu affranchi des schémas purement folkloriques et chamaniques pour nous proposer une musique plus homogène, orientée dark ambient. La puissance refrénée que l’on ressent à l’écoute de Valkama est l’une des principales caractéristiques à retenir. Elle la doit à une production soignée, mais aussi à la maturité évidente de ses deux membres fondateurs. Tyko Saarikko et Ilmari Issakainen ont en effet mûri, la fougue du début s’est muée en sagesse et les compositions influencées se sont transformées en véritables créations originales.

L’univers de Tenhi navigue entre deux mondes, celui bien réel qui nous environne au quotidien et puis, celui moins visible des contes et légendes. Vous savez, ce lieu magique pour qui sait voir et sentir au-delà de ses perceptions habituelles. La frontière entre ces deux mondes est mince et se franchit facilement quand le désir de pénétrer les croyances ancestrales devient une nécessité absolue. Valkama, c’est le port, au sens de refuge et de retour à la maison. Pendant les dix années qui ont suivi la parution de Saivo, nos deux amis ont accosté dans ce monde féerique pour construire une œuvre grave qui rendrait hommage aux anciens guerriers disparus. Seulement voilà, ce furent dix années terribles pour l’humanité (et ça continue encore) si bien qu’ils ont décidé de changer de cap pour enregistrer un album plus harmonieux et plus réconfortant (ce sont eux qui le disent). Ceci dit, il faut bien reconnaître que l’ambiance générale reste malgré tout très sombre et ne pousse pas à la liesse. Dès le départ, « Saattue » donne le ton. La voix de Tyko est grave, posée et raconte une histoire pas facile à décrypter, mais qui semble porter des éléments plus funestes que joyeux. De son côté, la musique en rajoute une couche dans le mysticisme et la noirceur avec juste une guitare acoustique, de belles couches de synthés, quelques percussions et bien sûr des chœurs, proches des cantiques ou des invocations païennes. Et le plus fort, c’est que ça marche. L’auditeur médusé se laisse emporter par cette procession envoûtante qu’il ne va plus quitter, car pour lui la vérité et la solution à tous ses maux se trouvent ici. Pour sa part, Tenhi confirme que dans le monde crépusculaire du Nord, Valkama est la lueur d’espoir promettant refuge et paix. Bon, dit comme ça, il y a peu de chance que l’accroche se fasse dans nos sociétés plutôt cartésiennes, mais si on plonge les yeux fermés dans la musique de Valkama, cela peut devenir possible. La potion et le passeport pour l’imaginaire, c’est elle qui nous les donne en nous invitant à la suivre.

Tenhi Valkama Band 1

Je m’empresse de dire qu’il n’y a aucun prosélytisme dans tout ça. Je m’efforce seulement de fournir les codes et les clefs pour écouter Valkama sans grimace. Tout l’album va suivre des schémas quasi identiques avec uniquement quelques variations et orchestrations différentes. Et ce sont ces petites subtilités qu’il faudra aller chercher pour faire de ce disque une expérience unique et salvatrice. Par exemple, « Kesävihanta » qui suit juste après, garde le même état d’esprit, mais avec un peu plus de légèreté et des chœurs, semble-t-il, plus joyeux. Deux premiers titres, assez proches au premier abord, mais très différents dans la couleur et les intentions. Au cours de ce long (très long) voyage, il y aura de francs moments d’extase à l’image des ondes moyenâgeuses de « Rintamaan », du son d’orgue très liturgique de « Laineinen » ou encore du rythme obsédant de « Hele ». Ce dernier morceau est pour moi un des plus réussis. Hele veut dire bonjour en finlandais et c’est vrai que la musique et le chant se font ici très accueillants. Du froid et de l’obscurité des débuts, surgit enfin la lumière et des bras qui s’ouvrent, pleins d’amour et de compassion. Vous l’avez compris, écouter Valkama ne se fait pas de manière détachée, ni superficielle. Pour en retirer toute la « substantifique moelle », il est presque nécessaire de s’enfermer dans un état méditatif ou du moins, bien concentré sur l’écoute. C’est à ce prix que la prière de « Elokuun Linnut », la jolie flûte de « Sydämes On Tiel » ou les chants grégoriens de « Veden Elein » se dévoileront avec éclats à vos oreilles conquises. Je pense que si vous êtes arrivés jusque-là, vous n’êtes plus à convaincre ni même à guider. Ce voyage fait désormais partie de vos parcours initiatiques et plus personne ne pourra venir le contrarier ni le mettre en doute. C’est là toute la valeur de cet album, pas évident, c’est sûr, mais qui à la longue peut se révéler très utile pour s’extraire des mauvaises ondes déversées au quotidien.

Tenhi Valkama Band 2

Je suis persuadé que les familiers de Hexvessel ou de Elend n’auront pas trop de mal à accoster au port de Valkama, pourtant plus déconcertant que réellement hospitalier. Par contre, je m’adresse aux sceptiques, à tous ceux qui vont froncer les sourcils dès les premières notes et les inviter à tenter l’impossible, à sortir de leur confort et à prendre le chemin d’une aventure dont ils ne sortiront pas indemnes. La musique des Finlandais de Tenhi devient vite envoûtante si on fait un pas vers elle et si on aborde volontiers son monde étrange et merveilleux. Et puis, il y a des destinations qui se méritent, qui demandent plus d’efforts que d’autres, même si nos habituels et confortables bagages doivent rester au vestiaire. Cela dit, je ne voudrais pas trop appuyer sur l’aspect déroutant de Valkama, car cet album est vraiment très beau et mérite bien de figurer parmi les plus passionnants du moment.

https://tenhi.bandcamp.com/album/valkama

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