Ulver – ATGCLVLSSCAP
Ulver
House Of Mythology
Si on pouvait résumer en un mot ma relation avec Ulver : conflictuelle. J’adore et j’exècre, un petit peu. C’est beau et bien moche aussi, ça fait rêver et quelques fois ça m’emmerde. Une alternance entre le beau et le laid, le chaud et le froid. Les loups d’Oslo ont pondu des albums magnifiques bourrés d’audaces formelles, telles la déambulation abstraite qu’est Perdition City ou le saut à pieds joints dans la folie chamarrée de Blood Inside. Ils ont toujours su joué des attentes d’un public de plus en plus connecté et fervents. Ils ont surpris, ils ont déçus (War Of The Roses, ouch…), sous prétexte d’une démarche expérimentale qui ne l’était plus trop en fait. On ne peut éternellement échapper à un étron au milieu du trottoir me dirait ma grand-mère… Enfin bon, en même temps, je pinaille sec parce que je suis un tantinet vieux con. Leur album de reprise sixties Childhood’s End, je kiffe autant que leurs précédents EP et BO de court-métrage (qu’il est possible de découvrir en toute impunité sur leur page bandcamp) et pourtant, Ulver, de temps en temps ça m’en touche une sans bouger l’autre.
Aussi, après un dernier opus, Messe I.X-VI.X, qui m’avait fait redécouvrir ce que j’aimais chez ce groupe atypique, à savoir la subtilité sous un apparat théâtral grandiloquent légèrement morbide et une atmosphère profonde, travaillée où chaque recoin de l’espace est aussi cartographié qu’un concert d’électroacoustique chez Radio France, voilà que le groupe nordique revient en ce début d’année 2016 avec un nouvel opus au titre imprononçable (ATGCLVLSSCAP étant les premières lettres des signes du zodiaque en latin). Et, bizarrement (ou pas), je l’ai laissé mijoter dans son coin pendant cinq mois avant de me pencher vraiment dessus.
Suite à une série de concerts en 2014, où le groupe improvisait sur des titres d’anciens albums, précédemment cités, en y incorporant une dose massive de psychédélisme d’un autre temps au milieu d’effets I-Pad et de rythme trip-hop jazz répétitifs, les têtes pensantes ont joué au jeu du cut-up, tel William Burroughs, déformant les titres et par-là en créer de nouveaux. Alors oui, on reconnaît bien certains fragments de morceaux, les fans joueront même à un jeu à boire à chaque intonations reconnaissables. Mais passé cet état, ce qui intéressant, c’est d’observer, en écoutant, la démarche conflictuelle qu’entretient le groupe entre le rêve et l’art et par là, la vie. Mettre en conflit des titres plus anciens et les malaxés jusqu’à la trogne, en ressortir la fibre émotionnelle, parfois froide, subtile, tragique ou bien hypnotique, contemplative, voire chaude et panoramique. Et c’est beau…
L’art d’Ulver est de tisser des analectes romantiques (d’où cet aspect « vaguement » hétérogène mais parfaitement quadrillé et filmique de ATGCLVLSSCAP) passant allègrement de moments purement electro-ambient, proche par instants de Kraftwerk, aux débordements organiques d’un Pink Floyd semblant évoluer au bord du grand rien de Pompéi, jusqu’à un final quasi pop (Simple Minds ?) sous acides où résonnent la voix particulière de Garm sur les notes espacées du piano de David O’Sullivan. C’est conflictuel, c’est beau… C’est toute la relation que j’entretiens avec le groupe qui se poursuit sur le micro-sillon de ma platine après avoir posé un lapin. Hypnotique et ne m’empêchant pas de dire qu’il y a un je ne sais quoi dans un rictus de circonstance.
Alors que résonnent encore les percussions enivrantes et discrètes de tablas, délitant encore un peu plus la frontière entre le rêve et la vie, Ulver semble poursuivre son chemin entre fantasme spirituel et persévérance instrumentale sous toutes ses formes. Parce que même si le groupe joue de et avec son public, même s’il transforme des titres en les rendant plus terre-à-terre, voire plus facile d’accès, il n’a rien perdu de son évanescence, comme si ce qu’on entendait n’était que des traces imprimées à même le mur. Des empreintes qu’on observe, qu’on gratte et dont on n’ose sentir la globalité.
Cet album, je l’ai laissé mûrir dans un coin de ma tête pendant presque six mois avant que ces quelques mots soient en ligne (et que j’offre une copie à mon dictateur rédacteur en chef, mais on s’en fout un peu). L’oeuvre me laisse ce sentiment aussi fugace qu’indélébile, un peu comme un coup de pinceau sur une surface plane. ATGCLVLSSCAP est tout aussi plaisant que labyrinthique. Forcément ça me plaît, je valide donc forcément dans un cœur aux relents de fjords. Conflictuelle, vous dîtes ?
Jéré Mignon