Tomas Bodin – Ambient Cooking

Ambient Cooking
Tomas Bodin
Autoproduction
2024
Thierry Folcher

Tomas Bodin – Ambient Cooking

Tomas Bodin Ambient Cooking

Tomas Bodin, l’ancien claviériste des Flower Kings, revient titiller nos neurones avec son tout nouvel opus, le bien nommé Ambient Cooking. Un titre parfaitement choisi, car mis à part le ravélien « Farwell To A Scotsman », les étiquettes ambient et cuisine collent parfaitement à cet album qu’il faut vivre comme une errance tarabiscotée ne manquant pas de piquant. C’est le genre de disque que l’on attend désespérément chez Brian Eno, le père fondateur du mouvement et grand initiateur de cette musique étrange, inconcevable, non-conformiste et pratiquement invendable. Aujourd’hui, Brian Eno est allé très loin, trop loin peut-être, dans un trip devenu hermétique et souvent, peu intéressant. C’est mon opinion de fan, mais ça se discute, j’en conviens. Cela dit, on n’est pas là pour parler de Eno, mais bien de Tomas Bodin, un artiste discret, en perpétuelle recherche d’expérimentations et de concepts, assez éloignés du rock progressif des Flower Kings. Sa carrière solo s’est construite en parallèle avec celle du groupe de Roine Stolt, preuve que les deux univers pouvaient cohabiter sans se marcher dessus. Ambient Cooking est son neuvième album et fait suite à l’inquiétant Nosferatu 2022, sorti l’année dernière. Une bande-son lugubre, écrite pour les cent ans de ce classique du cinéma muet et qu’il est difficile de raccrocher à ses habituelles compositions, plutôt chaudes et colorées. Son retour (à la normale ?) était donc très attendu par un public, toujours pas rassasié de la pop progressive de Eggs & Dogs : You Are (2009) ou des merveilleux paysages symphoniques de Cinematograaf (2008).

On le verra plus loin, mais Nosferatu 2022 a malgré tout laissé quelques traces d’étrangeté au sein d’une musique le plus souvent accueillante et à la maturité incontestable. Tomas Bodin est arrivé à un âge (65 ans) où les considérations carriéristes peuvent laisser la place à la joie de créer et au partage. Tout au long de cette heure d’Ambient Cooking, on discerne son besoin de se laisser aller, de surprendre et de séduire. Comme je le disais au début, le premier titre, intitulé « Farewell To A Scotsman », se démarque des autres morceaux par son allure martiale et ses réminiscences de Boléro, plutôt bien foutues. Tomas Bodin doit beaucoup aimer ce monument de la musique classique pour l’avoir déjà expérimenté sur « An Ocean In Between », le premier mouvement de Cinematograaf. Pour « Farewell To A Scotsman », après une introduction digne des angoisses de Nosferatu 2022, les fameuses mesures rythmiques du Boléro vont changer la donne et offrir un allant extraordinaire à ce disque plein de diversités. La mélodie est inventive et monte crescendo jusqu’à l’arrivée finale de la cornemuse qui vient sonner cet adieu à un Écossais, très réussi. Quel beau démarrage ! Mais en total décalage avec l’ambiance générale d’Ambient Cooking qui, après cette pétulante introduction, rejoindra le monde serein de la contemplation, pour ne plus le quitter. C’est le cas de l’atmosphère brumeuse de « A Mist In A Maze », une jolie flânerie qui calme le jeu instantanément. La basse bien connue de Jonas Reingold et surtout la guitare retrouvée du fidèle JJ Marsh vont se distinguer sur cette pièce aux bruitages et arrangements discrets, mais parfaitement impliqués. Les claviers, les percussions et les vocalises de Mariahelena Persson seront des compagnons attentifs et des créateurs de climats d’une rare beauté.

Tomas Bodin Ambient Cooking Band 1

La musique instrumentale de Tomas Bodin propose des intitulés énigmatiques que l’absence de paroles ne pourra guère éclaircir. « Aunt’s Rufus Bedtime Story » ne semble pas dévoiler grand-chose pendant les sept minutes de regards perdus au loin ou de repli sur soi. Mais alors, quel bien-être on ressent ! La progression est lente, mais sûre d’elle. Les claviers proches ou lointains ainsi que les bruitages souterrains doivent bien raconter une histoire ? C’est à Tomas de le dire, à moins qu’il ne nous laisse avec nos propres émotions et notre propre interprétation. La musique ambient a ceci de particulier, c’est qu’elle appartient à celui qui l’écoute. A aucun moment, elle ne sera polluée par des discours réalistes ou des messages définitifs. Et c’est très bien ainsi. Le voyage se poursuit de la même façon avec l’exotique « Mr Pom And The Endless River » et son glissement sur l’eau plus enchanteur que jamais. Le rythme est un peu plus soutenu, mais sans rien exagérer et la guitare s’étire doucement avec une aisance et une brillance remarquable. C’est le moment que choisit Tomas pour nous sortir de la béatitude et nous remettre les pieds sur terre. En effet, les dix minutes de « Ancient Rituals – Modular Jam » ne seront pas très affriolantes. Cela ressemble à l’illustration d’une musique primitive qui ne veut surtout pas être confortable. On est passé brutalement de la lumière à l’ombre sans avoir rien vu venir, comme pour nous dire que rien n’est acquis d’avance, ni exempt de surprises. Alors, l’auditeur choqué se dit que peut-être « Dream #1 – (Drudenfuss) » rallumera son écoute assombrie. Que nenni ! Tomas continue dans la noirceur, mais avec des effets tremblotants et des sonorités qui rappellent la B.O. d’Interstellar. Le bout du tunnel, on l’aperçoit enfin avec « Rest My Soul » et le saxophone puissant de P-O Lundquist. La rythmique déchire le voile malsain et remet la musique sur les rails d’un jazz-funk urbain beaucoup plus attrayant. Question de goût, bien sûr.

L’arrivée se profile et « Revolver » remet du gaz et de l’ingéniosité dans l’écriture. Cette superbe envolée rappelle le Yann Tiersen des grands soirs et efface bien des tourments passés. Mais alors, il aurait fallu s’arrêter là et personne n’aurait crié au scandale. En revanche, ce que je dois vous avouer, c’est que l’on n’en avait pas fini avec la torture sonore. « Clusterphobia – Modular Jam » suit le même processus que « Ancient Rituals – Modular Jam » et ce, jusqu’à la fin du disque. Résultat des courses : Nous voilà en présence de soixante-cinq minutes de musique que l’on peut aisément amputer de dix-neuf (si on le désire, bien sûr). Je sais, ça fait râler, mais il nous reste quand-même quarante-six minutes de pur bonheur et cela est loin d’être négligeable par les temps qui courent.

Tomas Bodin Ambient Cooking Band 2

Avec Ambient Cooking, Tomas Bodin a frappé un grand coup et après son Nosferatu 2022, plutôt marginal, les fans rassurés ont retrouvé son écriture inventive et espiègle. Si l’on fait abstraction des deux fragments un peu spéciaux, il nous reste une belle collection de passages merveilleux et envoûtants. Tomas est imprévisible et son auditoire le sait. Lorsque les éléments basculent dans des contrées inhospitalières, c’est presque normal et attendu. L’inverse serait d’une tristesse et d’une conformité affligeantes. Acceptons d’avoir mal et de regarder tous les aspects de sa création, sans exception. De nos jours, on nous sert trop souvent une soupe tiède pour rejeter ce qui est épicé et plein d’arômes. Ambient Cooking est à consommer sans modération et dès lors, vous goûterez la musique autrement.

https://tomasbodin.bandcamp.com/

 

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