The Heavy Heavy – One Of A Kind
ATO Records
2024
General Eclectic
The Heavy Heavy – One Of A Kind
Certains signes ne trompent pas. En écoutant la reprise de « Desert Raven » de Jonathan Wilson par le jeune duo anglais The Heavy Heavy, j’ai immédiatement pensé : wow ! Une réinterprétation brillante, avec une tonalité plus aigüe et un rythme plus enjoué, qui donne une nouvelle énergie à cette ballade très typée Laurel Canyon. Cette reprise prometteuse de près de sept minutes, était tirée de leur premier EP, Life and Life Only, une œuvre au parti pris assumé : proposer un folk-rock résolument vintage, chaleureux et dépouillé des artifices modernes.
Dans un monde en quête de repères, où l’avenir inquiète et le passé rassure, le son old-school de The Heavy Heavy a trouvé un écho bienvenu. Ce style a séduit un public grandissant, porté par une tournée américaine qui leur a permis d’ouvrir la scène à des groupes confirmés tels que les Black Pumas ou Band Of Horses. Les comparaisons élogieuses ne se sont pas fait attendre : Jefferson Airplane, Fleetwood Mac, The Band, The Mamas & The Papas. Après deux années passées entre la scène et le studio, The Heavy Heavy devait transformer l’essai avec un premier album longue durée. C’est désormais chose faite avec One Of A Kind, sorti en septembre 2024 sous le label ATO. Plus électrique dans son approche, ce LP pourra-t-il mettre un terme à la sempiternelle diatribe du « C’était mieux avant », en proposant un rock jubilatoire, passerelle entre nostalgie du passé et innovation musicale ? Seul l’avenir le dira, mais l’intention est claire.
La première rencontre de Georgie Fuller et William Turner, les cofondateurs du groupe, remonte à il y a près de dix ans, tous deux invités sur une session d’enregistrement d’un autre artiste, Fuller comme choriste et Turner comme musicien. Pourtant, l’étincelle ne s’est véritablement allumée que plus tard, lorsque ce dernier a proposé à Georgie de poser des chœurs sur un morceau de son ancien groupe, The White Feather Collective, aux influences surf-rock. « Il y avait quelque chose d’unique dans la façon dont ma voix réagissait au micro, combinée au style d’enregistrement et à la production de William », raconte Fuller. « On a eu comme une révélation et on s’est dit : Wow, ça sonne vraiment bien ». Il a fallu encore un peu de temps avant que le duo n’officialise leur collaboration, mais cette rencontre a marqué le point de départ de leur aventure musicale commune. Cette alchimie se traduit par un concentré d’énergie et un désir assumé de se faire plaisir. « La force motrice derrière toutes nos compositions est de se sentir bien, et de faire en sorte que les autres se sentent bien aussi », confie Fuller. Une ambition simple, mais universelle, et, honnêtement, que demander de plus ?
Cette vitalité contagieuse se confirme dès les premières notes de « One Of A Kind », le morceau éponyme qui ouvre l’album. Avec son riff rock simple, ses accords majeurs et ses tonalités lumineuses, le titre frappe immédiatement par son efficacité. L’harmonica en arrière-plan, sorte de clin d’œil au « Take The Long Way Home » de Supertramp, ajoute une texture appréciable. La performance vocale impressionnante de Fuller (soutenue par sa formation classique de chanteuse) apporte profondeur et donne envie de s’élancer sur une route droite et sans fin. « Quelque chose dans la nature primitive de cette chanson nous a incités à continuer à écrire des morceaux qui nous paraissaient grands et puissants », confie William Turner. Rien que ça. Le titre est suivi par « Happiness », premier single de l’album, un morceau pop direct et ensoleillé qui n’est pas sans rappeler Creedence Clearwater Revival et leur « Proud Mary », enrichi ici par des chœurs vibrants. Bien que la rythmique, notamment la batterie, puisse paraître un peu simpliste, la magie opère grâce à un refrain porté avec ferveur : « Je dois me remettre sur pied / Je vivais comme le tonnerre et la pluie battante / Je ne serai plus jamais la même / Bonheur, je t’ai cherché dernièrement ». Très britpop, « Miracle Sun » lui emboite le pas. « C’est une chanson avec beaucoup d’attitude – une sorte de façon de dire au monde , Nous vivons comme nous voulons vivre, et ce n’est pas grave si vous ne comprenez pas », précise Turner. Malgré cette ambition, ce n’est pas, à mon sens, le titre le plus abouti de l’album avec un refrain et des paroles un brin prévisibles : « Nous marchons sous le soleil miraculeux (…) Moi et ma copine, nous marchons sous les fleurs du soleil ». Heureusement, « Feel » vient rehausser le niveau avec une lead guitare magistrale de Turner, saturée de réverb et de chorus qui dialogue parfaitement avec une batterie lancinante et maîtrisée. Ce morceau incarne l’essence de l’album : riches harmonies vocales, mélodies pleines d’âme et minimalisme de la production. Interrogé sur l’origine de ce son vintage, Turner répond avec simplicité : « J’ai quelques secrets. J’utilise du matériel ancien et du matériel moderne. Mais la clé, c’est la limitation. J’essaie de travailler comme à l’époque, avec huit pistes ». Une approche qui donne à l’album sa raison d’être. « Wild Emotion », portée par sa guitare slide, maintient le niveau de dopamine à son maximum et donne une envie irrésistible d’échapper à la grisaille hivernale. « C’est probablement la chanson la plus émotionnelle de l’album », souligne Turner. « Elle se veut rassurante, mais en son centre se trouve l’histoire d’une femme qui a vécu un chagrin d’amour et qui n’arrive pas à se défaire de son sentiment de désespoir et de désarroi ».
Les reliefs country de « Everything », la pop étincelante de « Dirt » et « Lovestruck » ainsi que les échos très Fleetwood Mac de « Salina » – sans doute le meilleur morceau de l’album – insufflent une énergie galvanisante à cet opus. Certes, le groupe n’a pas inventé l’eau chaude, et on peut regretter que le résultat tombe assez vite dans des schémas familiers. Les influences rétro sont tellement présentes que l’on pourrait regretter que le duo ne repousse pas assez les limites du genre. Certaines variations stylistiques significatives à travers ses 12 pistes auraient été bienvenues. Mais soyons clairs : ceux qui prétendent que le revival des années 70 n’est qu’une tentative opportuniste de séduire le marché mondial de boomers nostalgiques d’un rock un peu crasseux et sans artifices passent complètement à côté du sujet. Ce premier album réussi de The Heavy Heavy en est la preuve : un rock rétro, authentique et sincère, qui apporte une fraîcheur jubilatoire et qui ne laisse pas indifférent.