Sunn O))) – Pyroclasts
Southern Lord Records
2019
Jéré Mignon
Sunn O))) – Pyroclasts
C’est ce 25 Octobre 2019 dernier que sortait le deuxième volet des aventures soniques et « Sunniennes » (copyright) de l’entité menée par Stephen O’Malley et Greg Anderson. Deuxième chapitre d’une année bien remplie, deuxième mouvement d’une partition libre, deuxième phase d’un élan quasi-artistique où la musicothérapie se dispute à l’interprétation, au choix, bornée, philosophique, minérale, intellectuelle, sensitive ou « oh et puis tu me saoules, paies moi une bière… ». Je pourrais tout aussi dire que l’art se doit de proposer quelque chose et non de satisfaire… Hem… Succédant à Life Metal, album reprenant les bases du style drone doom, terme que le groupe ou la presse (qui sait ?) a popularisé, pour mieux en détourner les codes, certes abstraits et pointilleux, et en faire un objet plus « lumineux » sans en perdre son identité unique, Pyroclasts se veut comme un complément, une suite « logique »… Le contexte est important, du moins intéressant. Outre que la pochette soit aussi tirée d’une peinture de Samantha Kelly Smith, artiste dont le travail précis et monumental est propice à l’ouverture d’un imaginaire pas si éloigné d’un Salvador Dali, Pyroclasts a été enregistré durant les mêmes sessions sous le chapeautage de Steve Albini (Shellac, Nirvana, Pixies, PJ Harvey entre autres), MONSIEUR analogique, le producteur anti numérique. D’où la tonalité granuleuse des timbres et de la texture rugueuse du son. Mais ce « complément » est plus à rapprocher de l’accident contrôlé et du geste instinctif. Sur un rituel approuvé et mis en place, chaque matin au studio, les investigateurs de ce qui allait donner naissance à Life Metal enclenchaient leurs instruments et improvisaient littéralement sur des durées allant de dix à douze minutes, tout en restant dans la même gamme définie. Et pendant ce temps imparti, de catharsis et de purification de l’espace, l’alchimiste Albini enregistrait sur bande magnétique deux pistes le résultat (impensable de nos jours !!). Certains jets ont été oubliés, les autres se retrouvent sur l’objet présent, Pyroclasts.
Je pointais auparavant le terme minéral, je crois qu’il est difficile d’y voir ou d’apposer un autre terme. Pyroclasts, terme géologique définissant les débris de roche magmatiques éjectés par les volcans, est ce que l’on entend. Sifflements, expulsions, flux, matières brutes, explosions, écoulements autant de terminaisons qui peuvent s’appliquer au dernier effort de Sunn O))) (On prononce Sunn mais tout le monde dit Sunn O))) quand même alors bon…). Les deux comparses ainsi que leurs invitées suivent une même ligne quasi mystique qui s’étend sur la seule barrière que le groupe s’est imposé : le temps. Ainsi, on aura une introduction plus boisée avant le premier GROS riff ralenti, ainsi certains chuintements et autres larsens deviennent teintes et couleurs, des fois ocres et mats, d’autres fois rougeoyantes et lumineuses. Ainsi la tonalité globale devient plus abstraite, quasi absconse, libre de toute interprétation. Seule reste une matière, un fluide dont on prend ce dont on a envie et de se prendre au « piège », ou pas… Si Life Metal pouvait donner une impression d’une structure plus « rock » avec des vrais riffs au milieu d’une contemplation cahotante et sismique avant de finir dans un concerto orchestré par la violoncelliste Hildur Guðnadóttir, Pyroclasts revient ici à une forme plus primaire, quasi élémentaire du son. L’intellect ne parle plus, seul reste le bourdonnement, intense, léthargique, par instant pesant, à d’autres prenant plus l’aspect de volutes, parfaite oscillation entre la matière et l’état gazeux. Cet état entre le premier café, le brossage de dents et les secousses d’une mise en place des idées avant qu’elles ne prennent le pas sur le corps. Impossible d’ailleurs de ne pas faire le rapprochement avec le chef-d’œuvre (personnel) du groupe Monolith & Dimensions avec son état d’esprit, ce sentiment de lâcher-prise qui se répercute au point de vue moléculaire, cet état de transe ayant plus trait au jazz de Miles Davis qu’au metal. Trois, quatre personnes réunies, amplis et consoles allumés, avant cette libération où peu importe comment et où tombent les agrégats de ce qui va en sortir. On peut sentir les regards qui se croisent, les mains fébriles sur les instruments, l’instant d’apesanteur sur la durée, la concentration de circonstance.
Pyroclasts est-il seulement un bonus pour les fans dodus, un simple complément pour amateur borné ? Non, il donne « à voir » cet état d’esprit, celui qui a enfanté Life Metal, il donne à entendre cette quête dans ces circonstances uniques. Il n’est pas juste un argument cherchant à charrier ce qui n’a pas été exploité, il donne une situation (voire une satisfaction), pénètre même dans une intimité fugace dans un entremêlement de heavy drone où chaque instrument, bien que différents, s’assemble et se conjugue en un seul mouvement. Louons encore le travail analogique de Steve Albini qui a rendu cet effort aussi organique que possible (la mention AAA sur la pochette l’atteste et non, aucun rapport avec l’andouillette). Au lieu d’avoir affaire à de simples brouillons, Sunn O))) propose autre chose. On dira, peut-être, que je me perds dans un délire artistique de dandy défoncé, c’est peut-être vrai, cependant, Pyroclasts est le supplément de la maturité d’un groupe qui me laisse béat sur mon fauteuil, clope au bec et verre de vin à la main.
Et rien que pour ça…
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