Steve Roach – Dreamtime Return
Fortune records
1988
Steve Roach – Dreamtime Return
Il y a trente ans – déjà ! – paraissait le Dreamtime Return de Steve Roach, devenu depuis un classique absolu de la musique électronique. Plusieurs raisons à cela. En 1988, Steve Roach n’est plus un nouveau venu. Il a fait sa première apparition nominative sur la pochette de l’album Moebius, un projet de 1979 mené par Doug Lynner et par ailleurs lui aussi devenu depuis un réel classique du genre. Mais surtout, dès 1984, Steve Roach impressionne en solo par son magnifique et tout à fait magique Structures From Silence. Le titre décrit parfaitement cet album où la musique est apaisée, murmurée, comme si elle était de toute éternité. Après un Empetus nettement plus musclé paru en 1986, Steve Roach reviendra en 1988 à une musique de nouveau au bord du silence avec son sublime Quiet Music. Et c’est encore en 1988 que paraît Dreamtime Return. Sauf qu’on ne parle plus du tout de la même chose.
La première différence est tout bêtement physique, car Dreamtime Return est un double-album. En main, un double-vinyle, c’est tout de suite plus pesant, ça impose le respect. Mais c’est surtout ses douze titres totalisant dans les 90 minutes qui génèrent une écoute plus posée, plus rêveuse aussi. Parce que, bien sûr, impossible d’écouter ces 90 minutes l’esprit toujours parfaitement concentré. Et encore, 90 minutes, c’est la version d’origine. Maintenant, c’est 14 titres et 130 minutes dans la version double-CD ! Donc, la concentration à chaque seconde, là… Pas de problème, cet album évoque le Temps du Rêve justement. Alors soyez relax, laissez votre esprit voyager, tout va bien.
En fait non, pas tout à fait, pas en 88 en tout cas. Car Dreamtime Return n’a pas forcément été bien compris par tout le monde. Beaucoup l’ont considéré comme un album new-age. Difficile en l’occurrence de se tromper plus lourdement. Le new-age est un bricolage aux frontières insaisissables qui assemble des notions spirituelles prises ici et là dans le but passablement illusoire de les agglomérer en un tout qui se voudrait intelligent et cohérent. Rien de tout ceci dans ce double-album. Dreamtime Return est une quête relative à une seule et unique notion : celle du « Temps du Rêve », pilier central de la religion, de la mythologie et des rites des peuples ancestraux de l’Australie.
Impossible de cerner tous les contours de ce « Temps du Rêve » (Tjukurpa dans la langue anangu, ou Atjiranga pour les Arandas, ou encore Mijidding pour les Nyungars), qui est à la fois passé, présent et éternel. Passé puisqu’il fut le temps de la Création, celle de l’univers, de la terre, de l’Australie et des habitants de cette île-continent. Présent car il est toujours possible de s’y replonger par les rites, les chants sacrés et la transe. Eternel car le « Temps du Rêve » est en réalité hors du temps, sans début, sans durée, sans fin. Les innombrables peintures aborigènes qui décrivent ce temps hors du temps sont aussi extraordinaires de beauté qu’éloquentes à ce sujet. On pourrait penser à de l’art abstrait avant la lettre sauf qu’il s’agit d’art sacré immémoriel et que la créativité ou l’esthétique n’ont rien à y voir. C’est donc dans ce contexte spirituel atemporel que cherche à se situer Dreamtime Return, littéralement « Retour au Temps du Rêve ».
Il est dit dans la mythologie des aborigènes d’Australie que Bajame, l’Être Premier, créa le Monde en le rêvant. Ce double-album proposerait-il une transe pour se recaler sur le temps de la Création ? Non, je le disais plus haut, il s’agit d’une quête, pour nous les occidentaux, y compris les occidentaux d’Australie, vers ces notions mal connues chez nous mais si essentielles aux peuples ancestraux, un retour aux fondamentaux du monde en quelque sorte, à l’univers ultra-physique sous-jacent ici et maintenant. Autant dire, dès lors, que Dreamtime Return est un album militant réalisé par un convaincu. C’est ce qui lui donne sa force musicale, sa puissance évocatrice et sa beauté parée de mille richesses tout au long du parcours sonore proposé.
Il n’est pas anodin de noter aussi que, « techniquement parlant » pour le dire ainsi, Dreamtime Return se situe aux antipodes de la musique cosmique. Là où Tangerine Dream s’élance vers la très lointaine étoile Alpha Centauri, Steve Roach explore l’au-delà intérieur de l’homme où se cache un temps mystique sans limite. Même en parlant du Zeit du même Tangerine Dream, un double album pourtant impeccablement hors du temps et quasi-religieux, en témoigne le titre « Origin Of Supernatural Probabilities », on est encore à cent lieues de toute ressemblance. Car Steve Roach, dans sa quête, intègre aussi les instruments traditionnels des aborigènes, ce qui diffère de beaucoup des instruments classiques occidentaux utilisés tout au long de Zeit, et notamment le violoncelle.
Les extrêmes finissant toujours par se rencontrer, ne soyons pas néanmoins aveugle au fait évident qu’Alpha Centauri, Zeit et Dreamtime Return parlent bien, pour ceux et celles qui y croient en tout cas, de cette inextinguible soif de l’homme à s’affranchir des lourdeurs et des douleurs de ce bas-monde, pour retrouver l’âge d’or pas tout à fait perdu et certainement pas oublié du Temps du Rêve.
Frédéric Gerchambeau
Merci Frederic. Il y a des albums qui change des vies ….
Superbe découverte, merci pour le partage. Moi qui était resté « collé » à Klaus Schulze et Tangerine Dream !…