Steve Hackett – The Circus And The Nightwhale

The Circus And The Nightwhale
Steve Hackett
Inside Out Music
2024
Thierry Folcher

Steve Hackett – The Circus And The Nightwhale

Steve Hackett The Circus And The Nightwhale

Je crois que je n’ai jamais eu autant d’a priori négatifs avec la sortie d’un nouvel album de Steve Hackett. Pochette moche, titre bizarre, avant-premières peu engageantes et peut-être, une certaine lassitude de sonorités trop souvent rabâchées. C’est donc avec guère d’empressement que j’ai installé mon casque sur les oreilles et rejoint ma plateforme de streaming préférée. Et alors là ! Miracle ! La magie a opéré, comme jamais. C’était grandiose, nouveau et plein de trouvailles. Du bon rock progressif, en somme. Et dans la foulée, un vinyle de plus dans ma collection. Steve Hackett est un artiste que je vénère, qui a toute ma gratitude et peut-être, pas mal d’indulgence de ma part. Mais je peux vous assurer que mon analyse de The Circus And The Nightwhale, ne sera ni complaisante, ni à la recherche de sensations disparues. Elle sera l’expression de mon ressenti et rien d’autre. Avec ce trentième album solo (Eh oui, vous ne rêvez pas 30 ! Décompte officiel), Steve et toute son équipe, ont placé la barre très haut. À chaud, je dirais que ça part un peu dans tous les sens, que ça ne faiblit jamais et que l’auditeur est constamment sur la brèche. Les surprises sont nombreuses et le concept, au départ un peu bancal, finit par être crédible, pour ne pas dire émouvant. En deux mots, il s’agit du parcours de vie de Travla (contraction de traveller), de ses expériences plus ou moins marquantes et de sa quête absolue du bonheur. Steve Hackett avait des choses à dire et sûrement, quelques comptes à régler. Il l’explique lui-même : « ce concept album est un rite-de-passage sur des choses que je voulais dire depuis très longtemps ». Voilà rapidement décrite cette aventure, certainement thérapeutique et cathartique.

Maintenant, on est tous d’accord pour adhérer à son discours, mais que ce soit en musique ! Et question musique, The Circus And The Nightwhale, se pose un peu là. Sur les treize titres de l’album, on retrouve tout ce que la musique populaire est capable d’associer et d’inventer. Deux choses ont retenu mon attention. Tout d’abord, les superbes parties vocales, très harmonieuses et pour une fois, sans grincement de dents ni d’oreilles qui saignent. J’ai tellement plébiscité Please Don’t Touch ! (1978) et ses prestigieux chanteurs, qu’il m’était difficile, par la suite, d’écouter Steve s’évertuer à rendre son chant acceptable. Il en a fallu du temps, mais le résultat est là : le travail, la technologie, les harmonies et désormais, une certaine marque de fabrique, font que les parties chantées sont de plus en plus convaincantes et sans la moindre critique possible (honnêtement, je ne pensais pas pouvoir écrire ça un jour). Ensuite, ce sont les nombreuses trouvailles mélodiques et autres aménagements cinématographiques qui m’ont séduit. Je vais remonter très loin, au temps de Voyage Of The Acolyte (1975) et de sa spectaculaire mise en scène. On retrouve sur The Circus… la même volonté de projeter la musique dans un contexte imagé qui donne des pistes et de la consistance aux histoires. « People Of The Smoke », le titre qui ouvre l’album est un très bon exemple à tout cela. Après une introduction qui voit défiler toutes sortes de bruitages, la symphonie chère à Roger King se déchaîne, lance la guitare et flirte par moment avec le Peer Gynt de Grieg. Les parties vocales sont bien en place dans une construction qui est loin d’être linéaire et sur laquelle Steve, bien épaulé par Amanda Lehmann, nous raconte une histoire glauque, pleine de fureur et de tourments. Mais là où le morceau devient intéressant, c’est lorsqu’il coupe sa course pour reprendre son souffle dans un rythme étrange où domine l’effroi. Saisissante impression d’étouffement, rarement entendue chez l’ex-guitariste de Genesis.

Steve Hackett The Circus And The Nightwhale Band 1

Sur ce premier titre étonnant, la guitare est lumineuse, mais ne prend pas toute la place. C’est d’ailleurs un des aspects à retenir pour ce disque, même si l’instrumental « These Passing Clouds » qui suit juste après, est totalement dédié à la six cordes. En fait, ce joli intermède prépare le martellement de « Taking You Down » et la résurrection d’un Genesis tonique et inspiré. Nad Sylvan y est pour beaucoup, c’est certain, mais les changements de climats et la fin, totalement inattendue, ne sont pas en reste pour nous faire remonter le temps. A ce stade de l’écoute, je suis complètement pris au piège et m’attends à vivre d’autres grands moments de musique. Cela se confirme avec la douceur ouatée de « Found And Lost » et son ambiance romantique qui contrebalance à merveille les noirceurs précédentes. La guitare acoustique calée sur des nappes de clavier, puis les arrangements en sourdine, échafaudent un décor « lounge bar » très réaliste et propice au chant troublant de Steve. Une originalité de plus, à ranger dans le grand catalogue des réussites de Steve Hackett. Mais alors, que dire de « Enter The Ring » et de « Get Me Out ! » qui terminent une première face de vinyle en tout point remarquable. Les titres parlent d’eux-mêmes, Travla/Steve est entré dans le circuit (le cirque), mais se sent vite pris au piège et cherche désespérément à s’en échapper. Cela ressemble à du vécu, non ? Musicalement, c’est du lourd. Les différentes parties de « Enter The Ring » sont plutôt guillerettes avec des références au répertoire ancien où se greffent la flûte du frangin John Hackett et un merry-go-round (carrousel) complètement dans le thème. Tout bascule avec le blues de « Get Me Out ! » et son mal-être perceptible. On est passé de la joie à la tristesse et même pire, lorsque Steve chante : « …let me out of this hell » (sortez-moi de cet enfer). La guitare pleure le papillon pris au piège et on comprend pourquoi.

On retourne la galette, un peu sonné, mais déjà impatient de connaître la suite. L’amour salvateur fait une première apparition sur le splendide « Ghost Moon And Living Love » et ses chants éthérés en introduction. On est ici dans une classique romance progressive dominée par la guitare et bien illustrée par des retours volontaires aux arpèges de « Ace Of Wands ». Avec cette chanson, l’espoir renaît, mais « Circo Inferno » et son tourbillon malsain retiennent toujours notre héros, pas encore sorti d’affaire. Le rock puissant de ce titre s’installe avec autorité sur les terres du métal symphonique, bien aidé en cela par les banderilles du saxo de Rob Townsend. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on est pas mal balloté et de plus en plus attentif aux péripéties de Travla. Deux courts instrumentaux vont suivre. Tout d’abord « Breakout » à l’efficacité rock immédiate et ensuite « All At Sea », qui va servir d’introduction à « Into The Nightwhale ». Nous y voilà ! la fameuse baleine de la pochette avale tout cru Travla qui se débat et tente de fuir ses démons. Au début, la musique est lugubre et pesante, puis elle devient lumineuse sur la fin, une fois la bataille gagnée. Steve n’a jamais aussi bien chanté et mis autant de cœur dans cette libération que « Wherever You Are » magnifiera de façon spectaculaire. La guitare virevolte en tous sens et passe de registre en registre sur un rythme endiablé. L’amour a gagné et cela s’entend. Maintenant, comment finir cet album ? De la façon la plus appropriée avec la guitare classique de « White Dove » et la mise en avant du symbole de pureté de la colombe. Quel artiste ! et quel album !

Steve Hackett The Circus And The Nightwhale Band 2

La carrière solo de Steve Hackett approche le demi-siècle et il trouve encore le moyen de nous surprendre. The Circus And The Nightwhale n’est pas un disque banal et il marquera à coup sûr l’histoire et la vie de ce musicien. Le concept était risqué, mais il a été construit avec tellement de cœur et d’envie, que le résultat ne pouvait être que beau et passionnant. Les qualités d’écriture et d’interprétation sont de très haut niveau et malgré le poids des ans, l’inspiration est encore là. Pour cet habitué des planches, je me demande si Steve Hackett ne devrait pas jouer l’intégralité de cette histoire sur scène. Les musiciens de son groupe, tous présents sur le disque, sont largement capables d’amener l’enregistrement studio en tournée et de faire, comme à chaque fois, salle comble. Pour finir, je dirai simplement qu’il faut éviter les a priori, surtout avec un artiste de ce calibre. Ça me servira de leçon.

https://www.hackettsongs.com/

 

 

 

 

 

 

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