Serge Fiori – Serge Fiori
Serge Fiori
Autoproduction
Plus de trente cinq longues années après la dissolution du mythique groupe québécois Harmonium dont il fut le mentor adulé, Serge Fiori revient aujourd’hui sur le devant de la scène avec un magistral album de pop-rock. Bien plus émouvant et abouti que le disque « Deux Cents Nuits A L’heure », sorti à l’origine en 1991 en compagnie de Richard Seguin, le concept plante son univers quelque part entre Dante et le Kerouac de « Sur La Route », c’est à dire entre métaphysique et sociologie, entre ombre(s) et lumière(s). Qui plus est, les paroles sont aussi profondément marquées par la longue dépression dont a souffert ce grand musicien-compositeur : elles sont, en ce sens, le reflet des plaies quotidiennes et des rêves longtemps impossibles de leur talentueux auteur. D’où un ton, sinon pessimiste, du moins profondément désabusé, une vision fortement mélancolique au bout de laquelle brille, malgré tout, une mince lueur d’espoir. Dans ce contexte, la musique de Serge laisse donc transparaître une forme de lucidité peu propice à l’enthousiasme et à la frénésie.
Les onze compositions gravées sur ce bien bel opus nous régalent ainsi de nectar d’érable et, à l’image du bucolique titre d’ouverture « La Monde Est Virtuel » (aux lyrics superbes), invitent à une introspection existentielle. Blues (« Crampe Au Cerveau »), pop-folk (« Démanché »), ballades désespérées à fleur de peau (« Seule »), rock (« Le Chat De Gouttière ») et chansons à textes (« Laisse Moi Partir ») interviennent à part égale dans un ensemble sobre, dépouillé, réduit à l’essentiel et, en même temps, d’une incroyable densité. Complexes et éthérées à la fois, les chansons concoctées par Fiori sont magistralement interprétées, avec cette voix qui file le grand frisson (ah, ce délicieux accent canadien !), une guitare acoustique aérienne, un piano raffiné et surtout un mellotron magique qui fait parfois de discrets appels du pied au sublime « Si On Avait Besoin D’Une Cinquième Saison ».
Les musiciens entourant Serge sont sa vieille complice Monique Fauteux au chant sur la pièce « Jamais », Daniel Hubert à la basse, Justin Allard à la batterie et Marc Pérusse aux guitares additionnelles. Porteuse d’un superbe message chargé, pour citer Albert Camus, « de cette espérance et de cet amour qui peuvent seuls nous rendre à nous-mêmes », cette œuvre en clair et obscur force le respect (jetez donc une oreille attentive au sublime instrumental « Epilogue », qui clôt les hostilités en beauté). Sacré retour !
Bertrand Pourcheron (8/10)
Chaleureux remerciements à Louis Hamel