Rencontre avec Nick Harper : chroniques et interview
Nick Harper – Riven (Sangraal 2013) / Nix (Sangraal 2014)
En 2012, Steven Wilson repère un artiste au jeu de guitare impressionnant et au chant passionné. Tellement marqué par la performance vocale de Nick Harper, il s’en inspire pour « The Pin Drop », sur « The Raven That Refused To Sing« . Pourtant Nick est très loin d’être un débutant. Fils du célèbre Roy Harper qu’il a accompagné sur scène à la fin des années 80, Nick a commencé sa carrière discographique il y a 20 ans, et a imposé sa signature acoustique d’une manière confondante. La palette de jeu de Nick est ultra précise, performante et d’une redoutable efficacité technique et émotionnelle. Son père ayant ouvert la voie vers de nouvelles destinations guitaristiques, Nick les explore et les développe dans des morceaux pop, rock et folk, avec une voix des plus charismatiques. Nick aime les mots, joue avec eux, les fait rimer, allitérer et rythmer, et ses chansons sont des histoires d’amour, des critiques de notre société, des traits humoristiques fins et cultivés. Autant inspiré par l’humour des Monty Python que par Frank Zappa, les albums que compose Nick sont d’une intelligence rare. Il peut proposer des concepts très riches musicalement comme « Blood Songs » en 2003 ou « Riven » en 2013, ou encore des opus lumineux comme « Treasure Island » en 2005 ou « Miracle For Beginners » en 2007. Au total 9 albums studios qui recèlent tous de petits bijoux, alliés à un talent étonnant et à une maîtrise vocale splendide.
« Riven » et « Nix » sont respectivement les 8eme et 9eme opus du bonhomme, sortis à 1 an d’intervalle, et sont diamétralement opposés. Le premier est un album concept d’1h15, avec une voix omniprésente, de la musique partout, et demandeur d’une attention certaine, tandis que le second est entièrement acoustique, aéré, et reposant simplement sur l’alliance de la voix de Nick et de sa guitare. Chacun regorge de personnalité et impressionne par son travail d’écriture et de composition. « Riven » est l’exemple même de tout ce que Nick Harper est capable de faire : de la ballade imparable (« This Is The Beginning » avec son chant passionné, marque de fabrique de son auteur, « There Never Was ») au single pop rayonnant (« Heaven On Earth ») et dynamique (« Sunshine »), du morceau à la narration épique (« Love Is Due ») ou atmosphérique (« Plague Of Toads » convoquant l’esprit des premiers Peter Gabriel avec du King Crimson, étonnant) ou encore humoristique (l’hypnotique flot de paroles de « Juicy Fruit Girl » et son très beau travail de guitare, l’entraînant « The Incredible Melting Man » et ses consonances irlandaises).
La guitare est encore une fois reine et c’est un plaisir à chaque morceau, plus particulièrement sur « Juicy Fruit Girl », « Pop Fiction : Origins », « There Never Was » et « Riven » à la rythmique parfaite. Notons également la participation de Jakko Jakszyk, actuel chanteur de… King Crimson, sur le complexe et atmosphérique « The Beginning Is Nigh ». « Riven » demande un effort à l’auditeur s’il veut écouter l’opus en entier, car la richesse musicale (son jeu de guitare est parfois de la folie furieuse !) et le flot de paroles emportent tout.
« Nix » est lui plus centré sur le cœur de la musique de Nick Harper. « Beauty Came First » révèle une folk d’une grande beauté mélancolique, qui aurait pu convenir à Jeff Martin, par exemple, avec sa guitare magique. On pense aussi bien entendu, et on ne peut s’en empêcher, au patriarche, Roy Harper. « Man Of A Thousand Days » montre la dextérité de Nick dans un morceau au riff entêtant. Avec « Lost In The Snow » et ses 7 minutes envoûtantes, le plaisir s’installe dans la beauté de la guitare et de la mélodie vocale, un instant hors du temps. « Dorothy Parker » est une chanson légère et récréative, tandis que « Breathe » passionne avec ce jeu de guitare si particulier de Nick, à la fois hérité du classique et de la folk. 6 minutes étonnantes, avec un chant qui tutoie les étoiles. Jamais Nick Harper n’avait chanté si haut si longuement ! Il dévoile une facette inconnue jusqu’alors, impressionnant.
« Nix » revient alors à ce que Nick expose plus habituellement avec cette coolitude et cette aisance, tant dans le maniement de sa six cordes que dans son écriture. Les mots claquent, le rythme entraine, un bonheur. « That’ll Do Fine » est techniquement énorme, et se caractérise par un humour typiquement Harperien, agrémenté de quelques messages bien sentis… « Holiday On Earth : Origins » nous fait passer un bon moment et « Merry England » clôture l’album avec un titre mélodique qui fait claquer des doigts, avec encore cette guitare géniale, que peu pourraient imiter.
Nick Harper est un artiste généreux, qui produit des albums riches en saveur et en couleur, à la technique incroyable, et avec une voix des plus chaleureuses. « Riven » n’est certes pas l’opus le plus accessible de Nick pour le découvrir, je recommanderais « Treasure Island » en premier, mais il témoigne de l’aptitude d’un musicien qui maîtrise son art. Il communique sa passion et fait passer ses messages avec une bienveillance qui rassure. Comme si un ami s’était invité chez soi et qu’il prenait une guitare pour nous raconter des histoires, nous faire vivre des moments de vie, nous faire sourire, réfléchir, et émouvoir. Assurément un artiste à découvrir et à soutenir.
Fred Natuzzi
Riven (8,5/10)
Nix (9/10)
Entretien avec Nick Harper (mars 2015)
C’est un réel privilège que d’avoir eu la chance d’échanger avec Nick Harper qui a eu la gentillesse de répondre à quelques questions concernant son travail d’écriture, son jeu de guitare, et la musique en général.
C&O : Salut Nick ! Pour le public qui ne connaîtrait pas encore ton travail, pourrais-tu donner une sorte de définition de ta musique, à quoi s’attendre si on écoute un de tes albums ?
NH : Je ne peux pas vraiment définir ma musique et d’ailleurs c’est devenu un problème au fil du temps, car on ne sait pas où me classer. Mais pour moi c’est une liberté car je peux m’exprimer artistiquement dans n’importe quel genre musical. Un album de Nick Harper devrait contenir plusieurs voire toutes ces composantes : des chansons d’amour avec un léger finger picking, des ballades qui mettent de bonne humeur, quelques errances mélancoliques, des poèmes politiques irrévérencieux et protestataires, un peu d’humour, un rêve ou deux, avec toujours quelque chose de positif à retirer.
C&O : « Riven » est assez épique, très dense musicalement alors que « Nix » est plus court et entièrement acoustique. Est-ce que « Nix » a été composé en réaction à « Riven » ?
NH : « Riven » a été un projet tellement demandeur et prenant, qui explorait les côtés légers et sombres de tout ce qui compose le « Harperspace » (ndr : dénomination de l’univers de Nick, et accessoirement de son site), tant musicalement qu’au niveau des paroles, qu’il est sans doute le plus extrême de mes albums. Du coup, « Nix » était rafraîchissant, plus spontané, car il revenait aux fondements de ma musique. Il a été enregistré, mixé et masterisé en 10 jours. C’était vraiment un instantané d’une semaine pendant l’été.
C&O : Tes chansons s’apparentent souvent à des mini-films. Il y a beaucoup de mots, tant pour des chansons d’amour que pour les morceaux plus sombres. Lorsque tu écrits, est-ce que tu pars d’un événement réel ou dont tu as été témoin ou bien tu a un thème en tête et tu développes un titre autour de celui-ci ?
NH : : Tous les morceaux partent d’un événement réel ou d’un ressenti que j’ai eu (si un événement n’a pas eu lieu). Chaque chanson a donc sa propre identité et peut être prise individuellement. Lorsqu’il s’agit de les grouper pour former un ensemble, il y a parfois une direction émotionnelle commune qui les rassemble. Pour « Nix », je me suis amusé avec le fait que c’était mon 9eme album composé de neuf morceaux (Nix, chiffres romains), que le thème tournait autour du « rien » (« Nix » en argot) et qu’il y avait 9 muses dans la mythologie grecque qui représentaient assez ces neuf chansons.
C&O : En parlant des lyrics, es-tu influencé par des artistes de rap ou de hip hop ? Tu joues avec les mots et les fait sonner d’une manière littéraire et amusante. Quelles sont tes influences ?
NH : : J’ai toujours été un rêveur et j’ai toujours aimé les mots. De temps en temps, je me perds dans mes pensées juste parce que je joue avec les mots, simplement pour m’amuser. Tout la musique que j’écoute peut me servir d’influence (je n’éteins d’ailleurs jamais quand il y a de la musique) mais il est vrai que je possède quelques albums de Public Enemy parmi beaucoup d’autres.
C&O : Ton jeu de guitare est extraordinaire : sur « Breathe », c’est un rêve acoustique aérien, sur « Juicy Fruit Girl » il est incroyable, sur « Nix », le groove est parfait, et vraiment fou sur « That’ll do fine » ! Comment as-tu développé ton style de jeu ? As-tu appris par toi-même ? Il semble que ce don soit héréditaire …
NH : Je suis complètement autodidacte. Etant enfant, je passais des heures à jouer. Comme je joue en solo depuis très longtemps, j’ai eu une très grande liberté pour m’exprimer dans tous les styles que je souhaitais. De même, comme je n’écoute pas qu’un seul genre spécifique de musique, je peux tirer mon inspiration d’un morceau de Magnetic Man tout autant que du concerto pour violon de Brahms.
C&O : Sur « The Beginning Is Nigh », on retrouve Jakko Jakszyk au chant et à la guitare. Il est maintenant avec King Crimson. Comment l’as-tu rencontré et comment as-tu collaboré avec lui ?
NH : Jakko est un très bon ami que j’admire beaucoup. Nous avons chacun travaillé sur les projets de l’autre depuis des années, en tout cas dès que nos chemins se croisent, et le résultat est toujours productif et très amusant.
C&O : Es-tu un fan de musique progressive ? « Plague Of Toads » par exemple est très inhabituel. Le morceau m’a fait penser aux premiers Peter Gabriel et à King Crimson !
NH : Je suis fan de toute bonne musique, quel que soit le genre. « Plague Of Toads » s’adresse aux éditeurs de tabloïds, et se rapproche pour moi un peu plus de l’héritage de Killing Joke.
C&O : Steven Wilson lui-même a été très impressionné par ta technique vocale et dit que tu as été une influence pour un titre de « The Raven That Refused To Sing ». Il me semble d’ailleurs que tu es remercié dans les crédits. Serais-tu tenté d’apparaître dans un album de rock progressif ? Tu joues d’ailleurs sur scène des reprises de Zappa et de Pink Floyd.
NH : J’ai été flatté lorsque Steve m’a demandé de chanter sur « Pindrop ». J’ai grandi avec des gens comme Zappa et Pink Floyd, mais ce sont des musiciens qui viennent d’un temps où les maisons de disque leur donnaient plus de liberté et les encourageaient à développer leur musique aussi loin qu’ils le voulaient.
C&O : Aura-t-on la chance de te voir jouer à Paris ou ailleurs en France ?
NH : J’ai joué plusieurs fois à Rochefort en Accords et c’est un de mes festivals préférés. J’adorerais revenir à Paris dans un futur proche.
C&O : J’ai un rêve : acheter un album par Roy & Nick Harper ! As-tu déjà pensé à faire un album père/fils ?
NH : Nous avons travaillé ensemble sur beaucoup d’albums mais nous n’avons jamais véritablement écrit ensemble. Il y a encore de l’espoir, Roy est maintenant plus ou moins à la retraite !
C&O : Si l’on voulait te connaître un peu mieux, quels titres devrait-on écouter en priorité ? As-tu une chanson préférée ?
NH : Je suis trop tri-polaire pour avoir un avis durable et la musique est un sujet trop subjectif pour pouvoir prédire quelle chanson pourra émouvoir le public. Et rien ne peut se résumer par une émotion, un solo de guitare ou des mots. Cela étant dit, ma fille suggère des titres comme « The Verse Time Forgot », « Field Of The Cloth Of Gold » ou « Watching The Stars » comme bons points de départ !
C&O : Un grand merci Nick pour ta disponibilité et ta gentillesse !
Propos recueillis par Fred Natuzzi
Discographie :
1994 – Light at the End of the Kennel (Sangraal EP)
1995 – Seed (Sangraal)
1998 – Smithereens (Quixotic)
1999 – Instrumental (Sangraal EP)
2000 – Harperspace (Quixotic)
2002 – Double Life (Quixotic – Double album live)
2004 – Blood Songs (Sangraal)
2005 – Treasure Island (Sangraal)
2007 – Miracles for Beginners (Sangraal)
2010 – The Last Guitar (Sangraal)
2013 – Riven (Sangraal)
2014 – Nix (Sangraal)