Public Service Broadcasting – The Last Flight

The Last Flight
Public Service Broadcasting
So Recordings
2024
Thierry Folcher

Public Service Broadcasting – The Last Flight

Public Service Broadcasting The Last Flight

Aujourd’hui, j’aimerais vous parler d’un phénomène. De quelque chose d’indéfinissable qui n’est ni rock, ni prog, ni pop, ni electro, ni musique de film, mais un peu tout ça à la fois. Cette attraction se nomme Public Service Broadcasting (ou PSB) et peut se targuer d’être complètement à part dans le paysage musical actuel. En revanche, il faut savoir que ce groupe londonien peut tout aussi bien attirer qu’irriter. Un avertissement destiné à ceux qui découvriraient pour la première fois leurs mélanges d’éléments musicaux avec des échantillonnages en tous genres (le plus souvent parlés). Des collages sonores habilement fabriqués pour être au plus près de l’intrigue et mieux comprendre les thèmes abordés. Certains trouveront cela lourd et pénible alors que d’autres se laisseront vite emporter par un concept cinématographique très captivant. L’actualité de PSB coïncide avec la sortie de The Night Flight, la version remixée de The Last Flight, leur cinquième album studio publié l’année dernière. Les titres remixés sont certes intéressants, mais ils n’étaient pas le meilleur choix pour faire connaissance avec cette formation. Ce sont donc les versions originales qui seront abordées ici, tout en sachant que les morceaux revisités seront accessibles à tous ceux qui voudraient prolonger le voyage en compagnie d’Amelia Earhart. Toutefois, avant de continuer avec l’histoire tragique de cette pionnière de l’aviation américaine, je pense qu’il est nécessaire d’en savoir un peu plus sur cette troupe singulière capable de remplir les plus belles salles de concert. Public Service Broadcasting est né en 2010 sous la houlette de J. Willgoose Esquire, un multi-instrumentiste et producteur de talent auquel sont venus se greffer Wrigglesworth à la batterie et JF Abraham comme autre multi-instrumentiste. Le trio étant aujourd’hui complété par Mr B pour tout ce qui touche aux parties visuelles de la scène. Quatre albums ont précédé The Last Flight avec des thèmes précis comme l’ascension de l’Everest (Inform-Educate-Entertain en 2013), la conquête spatiale (The Race Of Space en 2015), l’industrie minière (Every Valley en 2017) et la culture berlinoise (Bright Magic en 2021). De quoi satisfaire les amateurs de grandes fresques mises en musique de façon spectaculaire.

The Last Flight retourne donc en 1937, vers ce moment d’Histoire qui a occupé (et occupe encore) les esprits par son aspect tragico-romantique proche du destin des passagers du Titanic (le découvreur de l’épave du transatlantique a même, un temps, relevé le défi de retrouver celle de l’avion échouée dans le Pacifique). Amelia Earhart est une héroïne des temps modernes, féministe avant l’heure et tête brulée prête à battre, au risque de sa vie, tous les records des vols féminins de l’époque. Une aubaine pour l’équipe de J. Willgoose Esquire, largement capable de sublimer par la musique n’importe quelle situation grandiose ou désespérée. Le décor de cette aventure s’installe doucement grâce à l’atmosphère recueillie de « I Was Always Dreaming », un titre auquel les propos d’Amelia donnent une belle indication sur sa personnalité. Elle parle de ce dernier grand vol à accomplir et de ses rêves qui n’ont pas de limites. Des songeries qui se traduisent en musique par un empilage de claviers aériens et l’omniprésence d’une inquiétante respiration caverneuse. La coupure avec le monde réel est instantanée et le décollage intervient juste après avec les premiers tours d’hélice de « Towards The Dawn ». La simulation musicale est précise et les propos captés donnent froid dans le dos. Avaries en tous genres et changement de cap risqué. Tout cela est véridique. Sur ce second titre, la ténacité de l’aviatrice se matérialise par une folle rythmique et des vocaux puissants qui font penser à Arcade Fire. Le tout agrémenté d’une guitare (J. Willgoose Esquire), tout droit sortie de Twin Peaks. Les cordes résonnent avec force et forment vite un leitmotiv entêtant (c’est encore plus vrai sur la version remixée). On est ici dans un puzzle sonore qui installe petit à petit ses pièces pour nous dévoiler des images d’une netteté incroyable. On a du mal à croire qu’un tel patchwork puisse fonctionner, et pourtant, c’est le cas.

Public Service Broadcasting The Last Flight Band 1

Le savoir-faire de PSB n’est plus à démontrer. La démesure ne lui fait pas peur et l’aspect pharaonique d’un enregistrement comme celui de The Last Flight est largement à sa portée. Il faut savoir que plus de quarante personnes ont participé à ce disque et que les machines n’ont pas eu le monopole. Orchestre à cordes, cuivres (JF Abraham), véritables percussions (Wrigglesworth) et un nombre considérable de vocalistes se sont succédé tout au long des neuf titres de l’album. Sur « The Fun Of It », c’est Andreya Casablanca qui pousse la chansonnette et nous propulse avec légèreté dans le monde d’une pop pas trop en adéquation avec les tensions du voyage. Et même si les paroles parlent de félicité, de revanche et de plaisir de voler, pour moi c’est une première fausse note, pas bien méchante certes, mais qui décrédibilise un peu le sens premier du disque. Heureusement que « The South Atlantic » et surtout « Electra » se caleront un peu mieux dans le contexte d’une aventure risquée. Pour le premier titre, c’est Kate Stables (This Is The Kit) qui nous charme dans un registre chanté beaucoup plus convaincant. Alors, c’est vrai que la richesse des cordes amène une dramaturgie presque idéale et les percussions, quant à elles, feront vibrer un bimoteur, pour l’instant en pleine forme. Le type d’avion utilisé par Amelia s’appelle « Electra », un modèle de transport passager dont le nom épelé par EERA (Anna Lena Bruland) ressemble à une sucrerie dans le tumulte de ce morceau plein de fougue et de bruit. Par moments, on entrevoit un Kraftwerk énergique et quelques réminiscences métalliques de Bright Magic refont surface.

À présent, le voyage aborde le continent africain et son désert aussi majestueux qu’insondable. La tension est revenue, mais « Arabian Flight » n’arrive pas à transmettre les ondes d’inquiétudes perceptibles dans les propos d’Amelia. La musique est bien trop dans l’illustration et pas assez dans l’action. Encore dommage, mais « Monsoons » rétablit aussitôt la situation et le groupe, en mode post-rock bien senti, se permet d’accélérer et de transcrire en musique les premiers tourments techniques relevés par Amelia. Le calme revenu permet à « A Different Kind Of Love » d’échapper un instant aux problèmes et d’installer une atmosphère onirique propre à amener l’auditeur vers l’inconnu d’une fin tragique restée incompréhensible. « Howland » termine ce périple sur une note mélancolique, une respiration qui pousse à la réflexion et questionne sur les choix de ces conquérants de l’extrême prêts au sacrifice par témérité ou par devoir.

Public Service Broadcasting The Last Flight Band 2

L’année dernière, The Last Flight a rencontré un franc succès auprès du public. Mais pour ma part, je lui préfère l’inventivité cosmique de The Race Of Space ou les parfums de la « Berliner Schule » de Bright Magic. En fait, malgré d’indéniables qualités, ce cinquième album me donne l’impression de ne pas prendre beaucoup de risques. Et pour un groupe comme PSB, c’est presque un non-sens, une attitude contre-nature. Comme on l’a vu plus haut, certaines chansons font preuve de facilité et n’apportent pas la touche dramatique voulue par l’histoire. Qu’à cela ne tienne, en faisant cette chronique, je me suis laissé emporter sans peine par cette épopée très cinématographique et peut-être que j’en attendais trop. Je vous l’ai dit en introduction, PSB est un phénomène et entrer dans ses compositions revient à tenter une expérience unique que je vous invite à essayer sans plus attendre. Ce qu’il y a de génial, c’est que les sujets mis en musique par le groupe sont inscrits dans nos mémoires et n’attendent qu’à revivre sous une forme ou une autre. Et je peux vous assurer que la façon employée par Public Service Broadcasting est très convaincante.

https://www.publicservicebroadcasting.net/?srsltid=AfmBOoq-Az5RX85EYgwIt65M90pnJxd1mt_lDFEVCckBvmR3wsgppDcl

 

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