Paul Draper – Spooky Action
Kscope
2017
Paul Draper – Spooky Action
Le Liverpuldien d’origine Paul Draper déboule avec son premier album solo, Spooky Action, sorti chez Kscope, un des labels qui comptent dans le Landerneau des musiques alternatives. Souvenons-nous : Paul Draper fut quand même le chanteur du groupe Mansun, le combo de Britpop qui avait tiré son nom du titre d’une chanson de The Verve. Si la carrière de Mansun s’est étalée de 1995 à 2003, elle n’en a pas moins été fulgurante avec, notamment, un Attack Of The Grey Lantern (1997), premier album sur lequel pouvaient se mêler des inspirations venant tant de la Britpop que du rock alternatif ou progressif. Depuis lors, Draper, après avoir subi une chimiothérapie positive, s’est engagé dans différents projets dont le plus remarquable est le duo The Anchoress avec la chanteuse Cathering AD (ce croisement incongru entre Kate Bush et Chrissie Hynde).
Dès 2013 pourtant, Draper envisageait déjà de travailler sur son album de démos, Spooky Action At A Distance. Et c’est sans doute la collaboration avec Cathering AD qui a fini de le stimuler, au travers de l’EP de The Anchoress, One For Sorrow (2014), et de l’album largement acclamé (et il le mérite), Confessions Of A Romance Novelist (2016), puis de ses deux EP solos, EP One et EP Two, réalisés également en 2016. C’est maintenant un disque complet et abouti que nous propose Paul Draper. Bien entendu, le temps et les évènements ont fait leur œuvre et Spooky Action (le titre final a été raccourci) n’est pas tout à fait du même acabit que les albums de Mansun et c’est heureux, tout bien réfléchi. Oh, il reste des éléments de Britpop, mais l’évolution est notable, que ce soit dans les compositions ou concernant la voix de Draper.
Les compositions d’abord. Si Mansun était aux dires de Draper « la version Bripop des Sex Pistols », cette dimension existe encore, avec un rapprochement un peu plus évident avec The Stranglers (« Grey House »). Pour le reste, les constructions et les ambiances chères aux années 80 sont omniprésentes, dans leur mélange de pop, d’electro et de basses imposantes (le tubesque « Things People Want », « Who’s Wearing The Trousers » et ses allures de Depeche Mode). Mais c’est surtout la voix de Draper qui a changé, devenue plus profonde et plus basse par moments, rappelant d’autres chanteurs de la new wave (« Feeling My Heart Run Slow »). Et puis le propos aussi. Spooky Action est un album cathartique, mélange de colère sourde et de furieuse envie de vivre (comme sur le fabuleux « Jealousy Is A Powerful Emotion »). Draper règle sans doute des comptes personnels mais aussi musicaux avec son passé (« Friends Make The Worst Enemies », « You Don’t Really Know Someone, Till You Fall Out With Them »).
Musicalement, l’album est bien produit (la section rythmique notamment), empli de ces équilibres brillants (claviers et voix) qui laissent percer de-ci de-là quelques imperfections subtiles qui rendent la chose vivante (sur les guitares parfois), comme si Draper voulait laisser des écorchures apparentes et audibles, des bribes de sérieux non professionnel. Entre danse et désespoir en mode mineur, Spooky Action pourrait tout aussi bien occuper les accrocs des dancefloors qu’exploser les neurones de neurasthéniques invétérés.
Paul Draper étale sur les onze titres de Spooky Action un savoureux mélange de passions tristes spinozistes et de joyeuses affections deleuziennes. L’album se déguste comme une sucrerie avec des pointes d’amertume aux parfums forgés à l’expérience unique d’un être blessé en pleine cicatrisation. Cette joie/chagrin transpire par tous les pores de cette « action effrayante » (Spooky Action), une mélancolie qui se fait joie, une musique entraînante, les pieds dans la fange, une lueur d’espoir…
Henri Vaugrand