Neneh Cherry – Blank Project

Blank Project
Neneh Cherry
2014
Small Town Supersound

Neneh Cherry – Blank Project

J’ai beau chercher : retourner dans tous les sens la gêne et dans différentes positions plus ou moins acrobatiques dignes du morpion sauteur, il est impossible de se cacher. Simplement que Neneh Cherry semble apparaitre en chair et en forme(s), nature(lle), à chaque fois que « The Blank Project » se dégage des enceintes pour arriver aux tympans. Elle se matérialise. On en devine la petite incurvation de son visage sur l’épaule, ses cheveux suivant la cadence rythmique black/soul de sa nuque, la lumière sur son front. Après, des conneries, sur cet album, j’en ai lu des tas, des petites, des grosses, des grasses, trop. Ah ! La presse « grand public », ses cohortes de critiques spongieux sortis des abysses de la culture molle installée… Délice de gourmet, avec une mention spéciale au Figaro (surprise ?), même pas foutu de lire convenablement le dossier de presse. Aussi, vous apprendrez que Neneh est batteuse (!!) : dans ce cas, pensez à changer la caisse du chat parce que ça refoule sec. Avec la démagogie, l’inculture et l’attitude bien-pensante mélangées à un tel niveau, on frise le psychédélisme champignon. Il était dès lors d’usage, voire de bon ton, d’écarteler le nouvel effort de la suédoise (après seize ans d’absence) sur la place publique en mangeant du pop-corn au son des glaives de gladiateurs huilés. Et voilà qu’on se passe le mot.

Mais après tout, qu’est-ce qu’on reproche vraiment à « Blank Project » ? Son minimalisme « arty » ? Dans le rayon, on dira que ce n’est pas du blockbuster pété de flouze avec ses passages ampoulés et obligés à grand renfort d’effets spéciaux baveux. « Blank Project » est resserré, épuré, carré et squelettique dans sa démarche, à tel point qu’il en devient autonome, à l’abri d’un quelconque moule. Un film d’auteur en somme. Enregistré en cinq jours, avec deux musiciens, pas de fioritures, ni de retouches et encore moins de formatage, une voix à nu sur un nuage de coton électronique brouillé. La production de Kieran Hebden, loin d’être un kidnapping de la chanteuse et de ses émotions, laisse, au contraire, Neneh sautiller de nuage en nuage dans de petits bons élégants et groovy, d’où cette impression d’apesanteur frémissante qui fait lever les pieds du plancher gravitationnel. Spontanéité, quelque-part un héritage de son retour vocal jazz effectué, je rappelle, en 2012 avec The Thing.

Les instrumentations tissent de fragiles structures feutrées, littéralement hantées et bouillonnantes. Neneh, elle, les suit, malicieuse, les rend touchantes et les contaminent. Il reste bien, ici et là, des maladresses, ce qui rend l’album, pour ma part, d’autant plus attachant et frais…  Neneh Cherry ne triche pas alors ne va pas te camoufler dans tes croyances mords moi le nœud et ton raisonnement de sophiste frustré. La plus grande qualité de « Blank Project » c’est sa sincérité mélodique, son invitation à partager des rêves beaux, tristes, éveillés, ces minutes sensuelles de déambulation vocales à te rendre timide en mordillant tes lèvres soudain plus enfantines. Neneh Cherry, c’est un peu une maman que tu voudrais avoir, douce, qui passe la main sur ton visage, te décoiffe, te fait esquisser un sourire en coin, te permet un rire. Élémentaire, ça ne ment pas, t’as l’envie subite de la cajoler, de lui caresser les cheveux, d’envier sa liberté, sa prise de risque et tu ne voudrais pas que ça s’arrête. Non, trop tôt. Encore un peu.

Raconte-moi une autre histoire que je puisse entendre ta voix fondante s’il te plait. T’es un peu étourdi sur la fin, prêt à remettre ça. Oui : là, maintenant, je te parle directement parce que j’en ai ras la boule de vouloir faire ça dans la convenance et les règles. C’est le rayon de soleil dans mon salon, le sucre dans mon café, l’organique et le numérique au même croisement, la beauté, simple, trop éphémère  et qu’on désespère de partager. C’est l’album qu’on désire défendre, ardemment, c’est le disque qu’on veut montrer, fébrilement. Neneh ne triche pas, je ne triche pas. Et le résultat est ce qui est arrivé de mieux à la pop depuis 10 ans.  À écouter par beau temps en sortant les plantes sur le balcon en sifflotant.

Jérémy Urbain (9/10)

http://nenehcherry.com/

 

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