Neil Young & Crazy Horse – World Record
Reprise Records
2022
Fred Natuzzi
Neil Young & Crazy Horse – World Record
Neil Young est omniprésent depuis un bon moment dans les sorties d’albums. À coups de live issus de ses archives, de coffrets notamment pour célébrer les 50 ans du mythique Harvest, ou d’albums perdus (Toast, Hitchhiker, Homegrown), Neil Young ne semble pas vouloir appuyer sur la pédale de frein. Preuve en est ce nouvel opus enregistré avec Crazy Horse juste un an après la sortie de Barn. World Record est un disque à la fois urgent et à la cool. Composé, écrit et joué en très peu de temps, World Record est un témoignage sur l’état du monde. Un disque sur l’environnement, mais sans politique qui a été inspiré à son auteur lors de balades avec ses chiens. Des mélodies sont venues subitement à lui, à raison d’une par jour. Alors qu’il contemplait des arbres morts à côtés d’autres vivants, alors qu’il sentait une certaine vibration dans le sol, alors qu’il levait les yeux vers le ciel, il se prenait à siffloter un air. Au bout du deuxième jour, Neil a voulu se souvenir des deux mélodies qui lui sont venues et il les a enregistrées sur un vieux téléphone. Après avoir saisi huit ou neuf mélodies, il a commencé à écrire les paroles et toutes avec ces points communs que sont la Terre, l’environnement et le climat. Ni une ni deux, Neil a convoqué Crazy Horse et s’est rendu dans les studios de Rick Rubin pour enregistrer les morceaux. Crazy Horse n’avait jamais écouté quoi que ce soit en rapport avec la musique qu’ils allaient enregistrer. Seul Neil Young savait vers quelle direction aller. C’est la première fois dans la carrière du loner qu’il écrit comme cela et en conséquence, cela donne un album qui ressemble très souvent à une jam session. Neil ne joue de la guitare que sur trois titres. Pour les autres, il est au piano ou au pump organ. Un peu déstabilisant ? Pas vraiment, en fait. À la première écoute, on tient là un album qui ne ressemble pas aux autres, mais qui ne diffère pas trop non plus du son récent de Neil et de son groupe fétiche. Contradictoire ? Oui, absolument, comme Neil lui-même d’ailleurs. Il promeut la protection de l’environnement, mais cela n’empêche pas de chanter son amour pour les voitures anciennes !
Il est à noter que l’album est divisé en deux. Un premier CD de 30 minutes avec neuf chansons et un second avec deux morceaux, dont un de 15 minutes. Pourquoi cette séparation ? Peut-être à cause du thème de « Chevrolet » qui n’est pas le plus écolo des titres ! « Love Earth » ouvre l’opus et délivre un message tout simple contenu dans l’intitulé de la chanson. C’est sympathique sans plus. On a l’impression de revenir à l’époque Tonight’s The Night avec le piano blues de « Overhead », un morceau qui a de l’allant. Retour de la guitare abrasive de Neil Young sur « I Walk With You (Earth Ringtone) ». La mélodie en rappelle une autre de Neil, et le tout avance curieusement avec un Crazy Horse bizarrement en retard. Seule la guitare de Neil reste magistrale. Pourquoi il ne travaille pas plus les chansons, on se le demande. Et cette fin en eau de boudin interroge, sans doute, la take 1 du morceau. « This Old Planet (Changing Days) » nous ramène à une période Harvest Moon avec un joli piano et un accordéon limite improvisé. Une chanson attachante, mais qui aurait dû être plus construite. « The World (Is In Trouble Now) » au pump organ irritant montre un retour aux morceaux très moyens des derniers albums. La voix de Neil se montre quand même assez en forme, mais c’est une piètre consolation.
Dès que la guitare s’annonce sur « Break The Chain », on ne peut qu’être ravi. Alors que la rythmique se met en place, on tient là un bon blues rock à gros son qui s’arrête assez rapidement et c’est un peu dommage. « The Long Day Before » propose une sorte de valse menée au pump organ puis retour de l’harmonica sur « Walkin’ On The Road (To The Future) », au message de paix habituel chez Neil, on ne se refait pas ! Un morceau presque folk avec une guitare acoustique trop en fond sonore au profit d’un pump organ qui marque donc la différence avec les autres opus de Neil. On termine le premier cd avec un « The Wonder Won’t Wait » foutraque, un gros fourre-tout d’instruments où on a vraiment l’impression que l’improvisation règne en maître. Le deuxième CD propose la pièce de résistance de 15 minutes, « Chevrolet », absolument maîtrisée celle-ci. Et l’on y retrouve avec un plaisir non dissimulé le son Crazy Horse et un Neil en grande forme sur sa guitare électrique. Peut-être le meilleur morceau de Neil Young depuis très longtemps. Magistral. Petite reprise rapide de « This Old Planet » quasi chuchotée comme une berceuse et le disque est terminé.
World Record est un disque à part dans la discographie du Canadien. Le retour du pump organ et du piano, mais aussi cette pièce magique qu’est « Chevrolet » en font un opus attachant et singulier, même s’il est inégal. Pour Neil, c’est aussi un album inattendu, mis en forme très rapidement et sans trop le réfléchir. Peut-être qu’avec des arrangements plus travaillés, le disque aurait été meilleur, mais en tout cas, il a le mérite de proposer des choses un peu plus intéressantes que dans les dernières livraisons.