Moonback Stage – Echo Process
Autoproduction
2025
Palabras De Oro
Moonback Stage – Echo Process
Décidément, ce début d’année m’amène à m’intéresser prioritairement aux touche-à-tout et à m’ouvrir sur des genres musicaux presque inédits pour moi. Après la techno de Walter Astral, ce sont mes voisins tourangeaux de Moonback Stage qui ont frappé à la porte de mes esgourdes afin d’en étendre leur spectre auditif avec des schémas vocaux régulièrement empruntés au trip hop.
En 2017, le groupe est né sur les fonds baptismaux du rap, mais le quatuor de lycéens/étudiants est également fan de rocks (volontairement mis au pluriel, car il m’ont confié qu’ils n’aimaient pas tous le même rock, lire leur interview ci-après). Alors, leurs débuts les conduisirent à sortir l’EP de rap metal Waxy. Leur classement hâtif dans la catégorie des clones de Rage Against The Machine ne les satisfaisant pas, sous l’impulsion de leur guitariste chanteur Clarant, c’est un second EP sous influence jazzy qui voit le jour en 2023 : Jinxed. Arrive alors Echo Process, leur premier LP qui représente l’aboutissement du mixage de leurs influences avec une maturité de composition et de production.
Les soubresauts juvéniles de ce groupe en devenir pendant sept longues années de construction sont désormais canalisés, au point que ça n’est plus le rap qui en est la colonne vertébrale (tant mieux, sinon ça n’aurait pas intéressé votre serviteur), bien que pratiquement la moitié des textes soit plus parlée que chantée. Le groupe se revendique plutôt de la culture psyché australienne comme celle incarnée par Psychedelic Porn Crumpets ou Slift. Ce qui frappe à l’écoute d’Echo Process, ce sont la versatilité des compositions et des styles, la qualité de la production et le talent des musiciens. Clarant et Basile se complètent pour assurer les parties de chant et de guitare, Pedro se charge de la quatre cordes tandis que Nathan percute les fûts et les cymbales. Les sept titres qui composent la galette représentent une palette assez large du savoir-faire et des goûts de chacun des musiciens de Moonback Stage. Ainsi, « Timber » lâche les chevaux sur un rythme très syncopé digne d’un schéma prog. Le chant est bourré de delay et de reverb, comme sur tout l’album. J’avoue que cette surabondance d’effets vocaux n’est pas ce que je préfère chez nos Ligériens. Le son est de qualité avec une certaine rondeur que les riffs psychés ne cherchent pas à défoncer par outrance d’agressivité à grands coups d’harmoniques artificiels. Celui de la caisse claire est d’une profondeur et d’une résonance bien charpentées (j’ai du mal avec les caisses claires, comment dire… très claires et aigues !) Cette belle entrée en matière est suivie par l’époustouflant « Fuzz L’Éclair » qui frise les huit minutes au compteur. Son rythme à couper le souffle relève des plus belles pages écrites par Hawkwind dans le genre space rock. Un pont instrumental furieux lance une seconde partie qui semble puiser aussi ses inspirations dans les heures de gloire 70’s sur une rythmique rappelant « The Pilgrim » de Wishbone Ash avec quelques schémas qui pourraient faire penser également aux Doors. Le travail des deux gratteux témoigne d’une hallucinante complémentarité. À vrai dire, le combo m’a confié que ses influences 70’s le sont par procuration, au travers de groupes revival plus actuels. Ils n’ont jamais entendu parler des formations précités. Sic ! Alors qu’on croit avoir tout compris de Moonback Stage, « Echo Process », lesté comme un sherpa lancé à l’assaut de l’Everest, déclencherait une avalanche avec sa basse tellurique et sa batterie sylvestre (on pense à un bucheron canadien armé de sa hache, en train d’abattre un tronc récalcitrant). Son final à la guitare prend des accents de stoner. Le clip de ce single est le résultat des premières expériences de Clarant derrière la caméra. Ensuite, la courte et mystérieuse ballade « Doppler » donne une touche mélancolique à l’opus, une pause salutaire avant de remettre le couvert avec comme invitée, la « Dolores » d’OSS 117. Ce titre est construit sur un pattern de batterie déclenché spontanément par Nathan lors d’une répèt. Il met en évidence les velléités alternatives de Moonback Stage, nous amenant vers un final caméléon inattendu : un passage mid tempo puissant et psychédélique jouissif. Bien que l’album comporte deux titres en français, l’ensemble des textes est écrit dans la langue de Paul McCartney (c’est tellement convenu de dire « de Shakespeare » !) principalement par Basile, prof d’anglais (ça aide). Les coups et les cris introduisant « Chien Méchant » ne sont pas à destination d’un animal (on vous rassure, aucun animal n’a été blessé pendant l’enregistrement de cet album), mais de ces gros machos lourdauds qui harcèlent la gente féminine dans la rue. Il en résulte une rythmique bancale, encore une fois apparentée au prog, qui s’assagit pour proposer une chanson somme toute pop et dansante. Curieusement, elle n’est pas retenue en tant que single par le groupe, démontrant par là-même qu’il ne cultive pas forcément des valeurs commerciales. Parce que, outre « Echo Process », c’est l’ultime « Space Sympathiser » qui est choisi. Il est vrai que son rythme hybride mi punk/mi Space rock/mi TGV (je sais, ça fait trois moitiés… et alors !) renverse tout sur son passage. Une façon de confirmer que tous « les rocks » qui sont dans la nature peuvent trouver leur place dans l’arsenal musical déployé par Moonback Stage. Cerise sur un spot publicitaire pour une compagnie d’assurances (j’en ai marre d’écrire « sur le gâteau »), la production d‘Echo Process de l’expérimenté Christophe Hogommat est exceptionnelle de clarté et de rondeur.
Une fois encore, je me laisse séduire par l’éclectisme d’un groupe. Il faut dire que je serais bien incapable d’écrire une chronique sur un énième album d’un combo comme AC/DC, semblable à tous les précédents. Moonback Stage est sous influence australienne, mais pas de ces Aussies là. C’est cette démarche qui m’a conquis, car plutôt que de se cantonner dans les schémas d’un leader despotique, les Tourangeaux s’ingénient à fondre dans un même creuset tous les goûts et influences qu’ils ressentent. C’est sans doute la meilleure façon pour sans cesse surprendre un auditoire et ne jamais se sentir lassés dans le cadre d’une collaboration déjà ancienne de huit ans, malgré le jeune âge de ses zikos.
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Interview réalisée le 19/02/2025
C’est dans le bar « Le Tourangeau » que m’ont donné rendez-vous les… Tourangeaux Basile, Pedro et Nathan (Clarant n’étant pas disponible). Étant Tourangeau également, ça s’imposait !
PdO : Bonjour à tous les trois et merci de m’accorder un peu de votre précieux temps. On va rentrer directement dans le vif du sujet : d’où vient ce nom de groupe un peu sibyllin Moonback Stage ?
MS : C’est, à la base, une private joke familiale de Basile autour du mot « moon » qui n’est pas racontable à tout le monde (sourire gêné), mais surtout, une trouvaille improvisée de la part de Brice, qui, à l’époque, s’occupait des studios du Temps Machine (devenu programmateur du Bateau Ivre depuis). Nous étions dans son bureau en train de nous inscrire sur le planning des studios lorsque nous avons dû trouver le nom du groupe (nécessaire pour s’identifier). Nous cogitions autour de « moon » et, pressé, il nous affubla instantanément de Moonback Stage (NDLR : les coulisses de la lune). Nous l’avons conservé, faute de meilleure inspiration.
PdO : Vous vous êtes formés en 2017 et votre premier LP ne survient que huit ans plus tard : c’est long non ?
MS : Deux d’entre nous étaient au lycée et les deux autres en fac. Après notre rencontre, nous manquions d’un local de répétition (nous n’avions pas de local adéquat pour pouvoir répéter car la salle de musique du lycée était souvent indisponible et surtout pas adaptée avec des meubles qui tremblent, des cours à côté etc.) et d’un back ground musical commun. Notre première répétition fut improvisée dans le local de musique du lycée que nous avions investi de façon intrusive et non autorisée lors d’une opération portes ouvertes. Heureusement, l’administration du lycée, n’en a jamais rien su (rires). Quand on a compris qu’on voulait faire de la musique ensemble, Clarant et Nathan ont demandé la permission de répéter au lycée à leur proviseur de l’époque qui a rapidement accepté. Ensuite, il y a eu la Covid et c’est seulement quand Le Temps Machine nous a octroyé un créneau de répétition dans ses locaux que nous avons véritablement commencé à construire quelque chose ensemble. Nous avons sorti l’EP Waxy en 2020 puis l’EP Jinxed en 2023. Avec le recul, nous considérons que ces EP ne sont pas bons. Nous étions très peu expérimentés et conseillés pour Waxy, trop orienté RATM, car c’était surtout le rap qui nous rassemblait musicalement. Nous aimions aussi le rock, mais des formes de rock très différentes que nous ne parvenions pas à mettre en commun. C’était surtout Clarant et Basile qui amenaient les compos. Jinxed fût meilleur, mais pas encore au niveau de ce qu’on voulait. En effet, on manquait de préparation avant d’aller en studio et on ne savait pas vraiment ce qu’on cherchait en termes de mixage de chaque instrument, de sons spécifiques, etc. Clarant a impulsé un côté jazzy associé à une orientation plus rock. Ensuite, nous avons travaillé différemment pour Echo Process. Nous sommes partis de jams où chacun apportait ses goûts et ses influences et nous nous sommes mieux entourés. Christophe Hogommat a fait un énorme travail de production (surtout pour le son), tout en suggestions très professionnelles et de façon collective avec nous. Thibault Chaumont a agi de même pour le mastering. C’est donc un travail bien plus abouti que représente Echo Process, autant en matière de qualité, mais aussi d’inspiration et d’éclectisme.
PdO : Quels thèmes traitent les textes de l’album ? Y a-t-il un concept général ?
MS : Les textes sont très importants pour nous. Ils sont principalement l’œuvre de Basile, prof. d’anglais de son état. C’est pourquoi nous chantons dans cette langue. Echo Process n’est pas un album concept même s’il raconte des histoires de vie, parfois personnelles. Par exemple, « Timber » développe une certaine prise de conscience devant les dérives écologiques humaines. « Fuzz L’Éclair » et « Dolores » racontent respectivement les incertitudes d’une fille et d’un garçon devant les choix de vie à réaliser, comment ils parviennent à surmonter une timidité naturelle pour arriver à une maturité adulte. « Chien Méchant » critique les machos qui se croient tout permis envers les filles en pleine rue. Nous avons une amie qui en a souffert récemment. Ce sont des histoires qui se propagent et peuvent se réverbérer pour revenir vers les acteurs de celles-ci, d’où le titre de l’album Echo Process.
PdO : Quelle expérience avez-vous en live ?
MS : Nous avons principalement écumé les scènes locales avec quelques rares incursions à Paris. Nous adorons être sur scène et espérons que Echo Process nous ouvrira plus de portes pour nous exprimer. La release party de l’album aura lieu le 10 mai au Temps Machine, l’endroit qui nous a réussi et nous a permis de nous lancer depuis qu’on nous a donné notre chance là-bas.
PdO : Comment envisagez-vous l’avenir de Moonback Stage ?
MS : Nous allons recruter un cinquième membre, un musicien multi-instruments capable de nous apporter des sonorités electro et de gérer manuellement les samplers, car nous ne voulons pas être à la merci de ceux-ci ou de boucles automatisées en live qui formateraient trop nos prestations scéniques. Ce musicien jouerait aussi de la guitare pour grossir notre son ou remplacer un de nos deux guitaristes chanteurs, le rendant plus libre en live, n’ayant plus qu’à gérer son chant. Il chanterait également pour qu’inversement, il puisse prendre le lead vocal, pendant que les deux guitaristes se consacreraient exclusivement à leurs instruments. Nous sommes attachés à ce que tout ce qui figure sur nos albums puisse être reproduit en concert : une forme d’authenticité en quelque sorte.
PdO : Merci pour cette interview très sympa et surtout à Pedro pour avoir gentiment payé la tournée. J’ai toujours eu un faible pour les bassistes, eux qui ne sont pas dans la lumière, mais sont toujours indispensables quand c’est nécessaire (rires).