Mika Vainio – Last Live
Cave 12 / Mego
2021
Jéré Mignon
Mika Vainio – Last Live
Le 12 avril 2017, l’un des pionniers de la musique électronique disparaissait de notre dimension à l’âge de 53 ans. Décédé en Normandie à Trouville-Sur-Mer, mais né en Finlande, Mika Vainio était l’un des derniers expérimentateurs (actuels) d’une musique empirique et sans concessions. Je veux dire par là, qui possède une présence, une force, un désir inarrêtable d’aller d’avantage dans cet ailleurs où seulement les plus courageux osent s’aventurer… Car aventureux, le taciturne et prolifique Mika l’était. Il le disait lui-même, sa musique préférée était le son continu d’une fréquence à 50 hz… Quoi de mieux pour définir un des piliers de la techno, de la noise music et de l’electronica toujours avec cette pointe pince-sans-rire. Car le bonhomme était radical, un expérimentateur chevronné, une vraie tête de mule, même dans son art.
D’abord batteur dans les années 80 dans divers collectifs bruitistes et industriels, c’est la découverte du dub jamaïcain et de l’acid house qui forgea pour de bon sa patte ainsi que sa vocation. Il fut organisateur de rave parties, fonda son propre label Säkhö tout en sortant ses premières œuvres sous le pseudonyme Ø. Mais c’est la rencontre avec Ilpo Väisänen donnant naissance à Pan Sonic (anciennement Panasonic avant que la marque les menace de poursuites judiciaires) qui permettra au musicien (ou plasticien ?) de percer la dernière frontière. Culte, véritable électron libre à l’avant-garde électronique, Pan Sonic c’était des recherches acousmatiques aussi extrêmes que minimales, des infra-basses qui oscillaient et grondaient sans cesse dans un espace décharné, quasi squelettique, des rythmiques perçant les murs et un style quasi indéfinissable. Ahurissant de puissance froide où ce trouble d’inconnu cognitif provenait aussi du fait qu’alors Vainio et Väisänen travaillaient sur des instruments faits maison par leur ingénieur Jari Lehtinen (on pensera, entre autres, au «John Holmes», un tube infrasonique de 6 mètres de long ou à ce synthé analogique conçu à partir d’une machine à écrire). S’étant dissout en 2009, les deux musiciens optèrent pour une carrière solo. Mika Vainio en profita pour creuser, littéralement, son style et son esthétique quasi glaciale et efflanquée. C’est bien simple, ce qu’on ressent durant une écoute ce sont les nerfs à vif, une peau disparue, un processus de délitement et d’épuration pour chercher au plus près des particules. Par son minimalisme parfois effrayant, Vainio semblait retenir une forme d’onde tel un entomologiste besogneux. Chercher l’unique dans le fourmillement… Forcer l’auditeur à se pencher sur ce qu’il ne conçoit pas.
Alors Last Live ? Comment peut on l’appréhender ? Je crois que le meilleur terme serait témoignage. En effet, c’était à la Cave 12, à Genève et c’était le dernier concert donné par le finlandais deux mois avant sa mort… C’est comme contempler un instantané pris sur le vif, retenir les derniers instants (ou souvenirs) d’un personnage coupé du monde semblant sonder son propre rythme cardiaque dans une fission nucléaire. Et en cela Last Live apparaît comme la dernière pierre qu’on aurait poser sur une tombe. Une certaine manière de fermer une parenthèse et de clore une histoire texturale. On y retrouvera ces drones étirés languissants, ces rythmiques épurées, quasi cadavériques, ces cut-ups improvisés et abrupts, des fois mélangées, parfois isolées. C’est une gifle, une raillerie, un gant jeté à la gueule tel un ultime défi. On ne plane pas ici. C’est un chaos organisé, une canonnade. Mika Vainio était seul, consciemment même, perdu dans son univers dont il était le seul détenteur des clés…
Comme pour clore ce chapitre, de grands noms des musiques aventureuses ont en effet participé à sa mise en forme : Carl Michael Von Hausswolff (papa de Anna oui, oui) a mixé et édité le concert, Stephen O’Malley (patron de Sunn O)))) s’est chargé du pré-mastering, Denis Blackham a fourni le master final. Alors que le russe Coh ou que l’ancien comparse Ilpo Väisänen déposaient un dernier hommage à Mika à leur manière, Last Live ressemble en tout point à une commémoration, une dernière haie d’honneur non pas pour les ondes déshumanisées que le bonhomme a produit mais pour l’être humain qu’il était…