Mercury Tree — Spidermilk
Autoproduction
2020
Pascal Bouquillard
Mercury Tree – Spidermilk
D’abord, permets-moi de partager avec toi, en guise de préambule à la chronique de cet ovni de la musique populaire, une délicieuse expérience vécue pas plus tard qu’hier. Vivant dans l’un des états les plus conservateurs du pays (US) où tomber malade te ruine, je me déplace parfois en petite décapotable (avec un cache-nez pour pas attraper froid), entouré de pickup trucks et de jeeps à grosses roues qui transpirent, sans aucune élégance, les derniers titres country et autres « ricaineries » traditionnelles, entrecoupés le plus souvent de pubs vantant le prochain médicament censé te soulager de ta déprime chronique. Je déambule donc au volant de ladite décapotable partageant ma concentration entre la route et la prochaine de mes chroniques afin d’éviter les fous du volant tout en dégustant la musique de ces fous de la musique que sont Ben Spees et ses Mercury Tree. Il m’a fallu plusieurs feux rouges pour réaliser l’effet que produisait cette musique venue d’ailleurs sur les autochtones médusés qui me contemplaient comme si « ma b… avait un goût » (Si tu as vu « Le Bonheur Est Dans Le Pré », tu dois te souvenir de cette expression hautement champêtre, savoureusement utilisée par un Eddy Mitchell en grande forme, sinon, tu devras le voir pour compléter !). A partir de cet instant, je n’allais plus de chez moi à la piscine mais je promenais une déclaration politique ambulante : celle qui faisait de moi un vrai hooligan, un hors-la-culture ! C’était vraiment bon, merci Mercury Tree ! Ce groupe a vraiment quelque chose de véritablement extraterrestre, Un peu comme l’a été King Crimson, période Adrien Belew, dans le paysage musical des années 80 ; y’a des chansons et puis y’a… l’instrumentation : et là, c’est un beau bordel !
Les gars font dans le « prog microtonal ». C’est nouveau, ça vient de sortir ! Ah au début elle est un peu froide ! Mais après elle est méchamment bonne ! « Mais c’est quoi microtonal ? » me demandes-tu si à propos. Bin, c’est quand le chemin entre deux notes n’est pas comme d’habitude. Dans ce cas, tu peux jouer des notes qui ne sont pas autorisées par l’académie des notes (ch’te l’dis, rien que des hooligans). Alors évidemment ça crée des tensions (en gros, ce que nous, occidentaux besogneux, appelons dédaigneusement des fausses notes). Je dis les occidentaux, parce que la musique traditionnelle balinaise ou moyen-orientale ou indienne, bref extra-occidentale (sic) en utilise déjà sans vergogne (les barbares). Même les Grecs antiques (chez qui nous allons souvent nous faire voir parce que, décidément, ces bougres de grecs ont tout essayé !) utilisaient des modes microtonaux. D’ailleurs, même chez nous, ce n’est vraiment qu’à partir du XIXème siècle que la stricte égalité entre les notes (le tempérament) s’est imposée, annihilant du même coup, toute différence entre les tonalités en ne laissant que deux modes : le mode majeur et le mode mineur. Et v’la-t’y pas que nos rockers des bacs à disques viennent secouer le cocotier de la musicologie, pour voir ce qui va en tomber. Mercury Tree le secoue depuis 2007 mais c’est la première fois qu’il le secoue aussi fort : Spidermilk leur dernier bébé a pris deux ans de leur vie et le groupe le désigne comme leur premier album (d’une discographie qui en compte huit) intégralement composé avec des instruments accordés aux microtons de 17 notes par octave.
Oui mon cher lecteur, d’habitude y’en a 12 et re-oui, Schoenberg, ce bon vieil Arnold, avait déjà révolutionné le vocabulaire musical en imposant le dodécaphonisme à la musique savante, c’est à dire l’utilisation égalitaire des 12 demi-tons, au lieu des 7 notes hiérarchisées des gammes majeures et mineures. Bon je schématise, ne va pas chercher la petite bête ! Bin là, Ben Spees à la guitare, aux claviers et au chant, Connor Reilly à la batterie, Oliver Campbell à la basse et Igliashon Jones à la guitare également, nous en proposent 17, c’est l’inflation mon vieux ! Tout augmente ! Leur galette non identifiée comporte onze titres que je ne te décrirai pas davantage, tant cette musique, comme la musique en générale d’ailleurs, se doit d’être vécue. Cependant, à présent que nous nous connaissons mieux, je peux quand même te citer ceux qui m’ont accroché de prime abord et m’ont permis de poursuivre ma douce acclimatation : « Vestments », « Disremembered », « Superposition Of Silhouettes » (qui me fait penser à du Mr. So & So sous influence, mais tu t’en fous parce que tu ne connais pas Mr. So & So) et « Kept Man » sont surprenants mais rassurants, parce que de facture pop et avant-gardiste à la fois. Les instrumentaux, éparpillés dans chaque titre, me font littéralement mourir de rire ! (Oui, tu ne le sais sans doute pas mais c’est l’effet que la bonne musique produit sur mes zygomatiques.)
Autant te dire que trois minutes après que Damon de Jack O’ The Clock m’ait parlé de sa collaboration avec Ben Spees, j’écoutais les albums de Mercury Tree sur Bandcamp et 10 minutes plus tard, j’achetais toute la discographie. Quand on peut conjuguer bonnes œuvres et boulimie musicale, faut pas hésiter ! (Ne le dis pas à ma femme, elle va me disputer !) Pour le moment je me suis consacré à Spidermilk pour pouvoir te délivrer une chronique en express mais attends-toi à de nouvelles aventures de Mercury Tree en forme « papier virtuel » sur Clair & Obscur, dans un très proche avenir (et, j’espère pour eux, ailleurs aussi, parce que bon, toi tu lis Clair & Obscur mais ton voisin, j’en suis moins sûr…).
PS : depuis, j’ai jeté une oreille furtive mais attentive à quelques-uns des autres albums (Countenace, Freeze In Phantom Form, Permutations) qui montrent un vrai talent de composition et d’interprétation mais qui sont bien plus traditionnels et en tout cas moins étourdissants. C’est peut être aussi un accès moins extrême à leur musique. Là, c’est à toi de voir.
https://themercurytree.bandcamp.com/
https://www.facebook.com/mercurytree/