Marillion – An Hour Before It’s Dark
E.A.R Music
2022
Fred Natuzzi
Marillion – An Hour Before It’s Dark
Marillion a finalement trouvé son créneau. Il en aura fallu du temps pour que le groupe stabilise sa production. Il est vrai qu’il était réjouissant que chaque album avec Steve Hogarth soit différent, au risque de perdre (ou de gagner) des fidèles. C’était même une certaine marque de fabrique. Et puis, progressivement (sans jeu de mots), Marillion s’est forgé une nouvelle identité. Presque malgré lui et sans qu’on y prenne garde. Parce que si on y regarde de plus près, Marillion fait aujourd’hui ce qu’il faisait déjà, mais par petites touches en 2004 avec Marbles, puis différemment avec Somewhere Else en 2007. Seulement, son rock atmosphérique a pris de l’ampleur et les jams à la base des morceaux sont plus construites et reliées entre elles par leur producteur et mixeur Michael Hunter, réel sixième membre du combo britannique. Aussi, ce nouvel opus, An Hour Before It’s Dark, rappelle par moments Happiness Is The Road (2008), Sounds That Can’t Be Made (2012) et surtout (en tout cas à la première écoute) F.E.A.R (2016). Une évolution logique donc, qui aboutit aujourd’hui à un album qui ne pourra être jugé qu’au regard des années, finalement comme toute livraison Marillionesque. Ici, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée affectueuse pour notre regretté Philippe Vallin, fondateur de Clair & Obscur. C’est notre passion commune pour Marillion qui a renforcé nos liens d’amitié (en plus de plein de choses). Je me demande ce qu’il aurait pensé de cet opus et me reviennent en mémoire les moments partagés en concert, les débats passionnés, nos tentatives d’argumenter pour convaincre nos amis que H était LE chanteur ultime (!)… Que de chemin parcouru en parallèle d’un groupe qui survit aux modes depuis plus de 40 ans, et qui est toujours là, dans nos vies.
An Hour Before It’s Dark n’est pas sans évoquer l’actualité du moment, j’ai nommé la Covid. Steve Hogarth ne souhaitait pas en parler mais, forcément, son écriture a laissé l’encre de ses émotions remplir les pages musicales de ses comparses en fonction de la vie actuelle. Alors cela donne des paroles un peu « faciles » parfois (pour un parolier d’exception comme H), mais humanistes et on ne pourra pas lui en vouloir. La fin de l’album s’en ressent par contre et là où l’on reproche à un Neal Morse des finals larmoyants ou trop lyriques par moments, on pourra le faire aussi pour Marillion avec la partie « Angels On Earth » de « Care ». J’y reviendrai. L’ensemble est proche de F.E.A.R pour certaines de ses atmosphères, mais il s’en éloigne quand même avec plus de dynamisme musical et un chant qui prend un peu plus ses distances avec une certaine narration qui pouvait un peu rebuter les non anglophones sur l’opus précédent. La musique, du coup, est plus aérée. Tellement que le cd a été découpé en dix-huit pistes pour sept morceaux (en fait six) et un remix (dispensable, voire inutile). On se demande bien pourquoi tant certaines parties auraient pu rester soudées, car dans la même veine ou atmosphère. Un seul morceau de quinze minutes, les autres oscillent entre six et dix minutes, avec un titre de… quarante secondes. Là aussi, pourquoi ne pas l’avoir assimilé au morceau qui le suit, « Murder Machines », puisque son titre « Only A Kiss » y est cité ? Bizarre que se posent autant de questions sur la construction de ces titres !
Le contenu musical d’An Hour Before It’s Dark nous rassure sur la santé du quintet d’Aylesbury, ils sont tous très en forme. On retrouve le son de batterie typique d’Ian Mosley, les arrangements rock de basse de Pete Trewavas, les soli et les atmosphères chères aux guitares de Steve Rothery, les paysages sonores des claviers de Mark Kelly ainsi que beaucoup de piano et le chant remarquablement impliqué de Steve Hogarth. « Be Hard On Yourself » ouvre la marche et ma première impression, je dois le dire, a été trompeuse. Je pensais à une resucée de l’album F.EA.R. Le feeling de cet album est là, mais le morceau ouvre sur d’autres choses avec une certaine tension et surtout, il décolle beaucoup plus rapidement. C’est là la clé de la progression pour cet album : insuffler plus de dynamique pour faire monter l’émotion et lier davantage les paroles et la musique. H chante comme jamais. On sent chez lui une ferveur renouvelée accompagnée par une inspiration des quatre autres musiciens sans failles. Le chœur d’ouverture, la tension de la basse, le piano dynamique puis l’entrée de la batterie avec H, puis les touches de guitares montrent un travail de construction impressionnant. Tout cela est confirmé par le développement de la chanson qui passe par différentes humeurs.
On n’avait pas entendu le groupe avec une telle énergie depuis longtemps (peut-être « Power » sur Sounds That Can’t Be Made ?) sur « Reprogram The Gene » et un H au top de sa forme ainsi qu’ une guitare très inspirée de Steve Rothery. Les trois sections s’imbriquent bien et c’est un bonheur. « Murder Machines » bénéficie d’une construction en empilement fabuleuse d’efficacité. Mark Kelly a aussi été très en veine avec tous ses nouveaux sons qu’il parsème tout au long de l’album. Un titre dans la lignée d’un « You’re Gone » sur Marbles. « The Crow And The Nightingale » est un hommage à Leonard Cohen où l’on retrouve le Marillion atmosphérique et le H introspectif. Le quatuor à cordes In Praise Of Folly ainsi que le chœur Choir Noir complètent élégamment ce morceau. La magie Marillion fonctionne à plein régime ici, avec un superbe solo de Steve Rothery. Puis, le moment se suspend avec « Sierra Leone », aérien et contemplatif. Un titre magnifiquement construit, qui ne manque pas de relief non plus ! Enfin, le gros morceau, « Care » est intéressant à bien des égards. Déjà l’intro de batterie minimaliste est plutôt rare chez Ian Mosley, les sons électro de Mark Kelly distillent une atmosphère nouvelle, la basse groove chez Pete Trewavas, Steve Rothery nous gratifie de suite de quelques fioritures dont il a le secret avant une grande intervention électrique et le chant de H semble assez inédit (et m’a rappelé Michael Sadler de Saga !). Cette première partie a donc tout d’un futur classique du groupe. La suite est un peu plus classique avec, encore une fois, un splendide solo de Rothery, avant la dernière partie qui, là, va peut-être au-delà de ce qu’on pouvait attendre : un Marillion grandiloquent qui rend hommage aux « anges » sur terre, c’est-à-dire le personnel hospitalier. Alors c’est beau, oui, mais c’est un peu dégoulinant de bons sentiments. Marillion joue sur la corde sensible…
An Hour Before It’s Dark prouve que Marillion en a encore sous la semelle. L’album n’est pas parfait, mais a le mérite de jouer up tempo, là où F.E.AR pêchait peut-être un peu trop. De nouvelles sonorités de claviers, des guitares au son plus percutant, un H impliqué et émotionnel, une basse en constante inventivité, et une batterie qui ne refait pas les mêmes plans, voilà la preuve que Marillion peut encore nous étonner et évoluer, tout en gardant une identité forte. Un combo qui résiste à l’épreuve des années et qui, conscient du fait qu’il ne sait pas combien de temps il lui reste, cherche à sortir le meilleur à chaque fois. Sur l’édition collector, ne passez-pas à côté du dvd, très instructif et sous-titré (en Anglais et en Espagnol) qui fait le point sur la création de l’album et les velléités de tous les membres du groupe.
Bonjour Fred,
Je fais rarement de commentaire, mais puisque je me décide aujourd’hui, j’en profite pour remercier toute l’équipe de Clair & Obscur pour son boulot. Je vous consulte tous les jours et fait de belles découvertes grâce à vous!
Concernant ta critique, qui pour l’essentiel est très positive, je voulais donner un simple et modeste avis sur tes observations « négatives »:
– sur le séquençage des titres: de mon point de vue, ces divisions sont à propos. Peut-être pas dans le sens de la musique mais en prenant en compte les textes. Pour prendre l’exemple d’Only a Kiss, c’est ce qui se passe avant, avant de se rendre compte des conséquences de ce simple baiser.
– sur la comparaison de Murder Machines à You’re Gone, je m’élève sur le principe 🙂 . You’re Gone est un morceau que je n’aime pas dans la disco de Marillion . Trop « opportuniste » et assez barbant. J’aurais plutôt fait un rapprochement avec Power de STCBM .
– enfin et surtout sur le côté « dégoulinant de bons sentiments », je conteste (bah oui quoi, je suis français après tout) le terme de dégoulinant. Tu prends le final de Care, à mon sens, en faisant abstraction de ce qui lui précède et qui concerne notamment la fin de vie. D’une manière un peu globale, tu remarqueras que dans les avis de décès des personnes qui quittent ce monde du fait d’une maladie, les personnels médicaux et hospitalier sont très souvent chaleureusement remerciés. Et puis, n’est-ce pas un peu salutaire d’avoir de temps à autre, l’expression pure du « bon sentiment », sans qu’un réflexe de cynisme social nous enjoigne à qualifier ces émotions immédiates, et je n’en doute pas, sincères , de dégoulinantes? C’était me semble t-il le propos d’une autre chanson de Marillion.. Beautiful? (« People laughing behind their hands
While the fragile and the sensitive are given no chance… » )
Bon voilà, c’était histoire de participer et de prendre encore une fois l’occasion de montrer que votre excellent travail est très apprécié!
Bonne journée.
Salut Olivier,
Tout d’abord, un grand merci de nous suivre aussi assidument, cela fait très plaisir ! Merci également pour ton commentaire et le temps que tu as pris pour le faire 😉
La segmentation des morceaux prend en compte les textes oui. Pour Only A Kiss, je ne vois pas pourquoi c’est un morceau à part entière, surtout à 40 secondes ! Le groupe ne parle d’ailleurs que de 6 morceaux et non 7. Ton argument est bon, mais il s’appliquerait en fait à tous les autres segments des autres morceaux !
Pour le final de « Care », je savais qu’il y aurait des réactions ! Je ne fais pas abstraction des segments précédents, au contraire, l’aboutissement de ce morceau est pour moi trop appuyé, tant dans les paroles que musicalement. Tu es tombé dans le piège de la corde sensible, même si comme toi, je pense que Marillion est sincère. Mais du coup ton argument interdirait à quiconque de critiquer ce passage car il remercie le personnel hospitalier.
H ne voulait pas parler de la pandémie, il l’a fait quand même. Comme il le dit dans le documentaire, il n’a pas pu faire autrement. Cela donne donc quelques effusions sentimentales comme on le sent capable de faire et ce n’est pas une critique. Mais pour moi, ce final est troooooop larmoyant musicalement. C’est mon ressenti 😉
Ce qui ne m’empêchera pas d’aller les voir en octobre au Zénith !
A bientôt !
Salut Fred,
Merci d’avoir répondu 🙂 . Je me range à tes arguments sur Only a Kiss. Nous mettrons cette piste « isolée » sur le compte de la licence artistique !
Sur le final de « Care », ta réponse est intéressante et démontre, s’il en était besoin , tout l’intérêt des critiques (constructives). Là ou ton ressenti sur le final, est troooooooop larmoyant, le mien (de ressenti) est plutôt un moment « réconfortant » après le passage un peu plus dur émotionnellement, qui le précède. Tu me répondras que le réconfort n’empêche pas de larmoyer…. mouais , c’est pas faux . En fait, oui je crois que je suis tombé le piège de la corde sensible! lol . Mais bon, dans le contexte global, ce n’est forcément désagréable de se faire éclabousser par le bon sentiment dégoulino-hyper-larmoyant 🙂
A bientôt !
Bonjour a vous, c’est toujours un plaisir de vous lire,un grand merci pour votre travail, concernant marillion tu as bien résumé l’ensemble du travail sur cet album, j’aime cet album avec ses défauts et ses qualités, et avec toutes ces années, ils tienne bien la route…longue vie a ce groupe….
Merci Tony !
Amis de Marillion, bonjour !
Permettez que je donne un petit avis contradictoire après ces quelques échanges plus dans le laudatif qu’autre chose.
Perso, je trouve le nouveau disque de Marillion trop appliqué , pas loin d’être emphatique pour ne pas dire prétentieux et sans réel caractère, ce qui est regrettable car les thèmes développés dans cette oeuvre s’y prêtaient.
Marillion, c’est devenu peu à peu faussement sombre, plutôt studieux, se recyclant aussi et donc souvent ennuyeux. Tant à faire, je préfère encore l’époque où les gars avec Fish faisaient du néo-prog pas loin de la copie, certes, mais avec l’expression de quelque chose de vivant.
Bonne journée.