Magna Carta – Lord Of The Ages (oldies but goldies)
Vertigo/Repertoire Records
1973
Thierry Folcher
Magna Carta – Lord Of The Ages (oldies but goldies)
Oldies but goldies (c’est ancien, ça vaut de l’or et c’est cher à mon cœur !). Nouvelle rubrique chez Clair & Obscur inaugurée par les anglais de Magna Carta et la musique de Lord Of The Ages, leur plus belle référence sortie en 1973 et adoubée par bon nombre d’ex-chevelus, nostalgiques d’une époque miraculeuse et à tout jamais évanouie.
S’il fallait définir Magna Carta en quelques mots, je dirais tout simplement qu’il s’agit de la version folk progressif de Simon & Garfunkel. Une ressemblance vocale, mais aussi physique en ce qui concerne Glen Stuart, véritable clone de l’ami Arthur. Tous les deux se distinguent par une extraordinaire chevelure bouclée et une tessiture de voix très haute qui fait toute la différence dans l’interprétation délicate des chansons. Les quatre premiers albums de Magna Carta, de loin les plus intéressants, vont se distinguer par ces délicieuses harmonies vocales que va partager Glen avec Chris Simpson, le grand manitou de la formation. C’est en effet lui qui compose et écrit tout le matériel, et lui seul qui sera présent sur toute la discographie du groupe. Chris Simpson a longtemps côtoyé le gratin folk de l’époque, de Davey Graham à Alexis Korner en passant par la référence The Pentangle (leur bassiste Danny Thompson apparaîtra même sur deux albums de Magna Carta). L’influence de tout ce beau monde, en y ajoutant les incontournables Dylan et Beatles, vont le décider à publier en 1969 Magna Carta (Aka : Times Of Change), un premier disque plein de charme et fort bien accueilli par la critique. Colin Irwin de Melody Maker écrira même : « Magna Carta est une extraordinaire représentation de la musique folk contemporaine ». Maintenant, ces propos tenus au tout début des années 70, seront-ils suffisants pour déclencher un quelconque intérêt pour ce groupe atypique et pratiquement oublié de tous. Je prendrais en premier lieu le parti (le pari ?) de l’esthétique musicale semblable à un service de porcelaine délicatement ouvragé pour essayer de convaincre les plus sceptiques. Le brouhaha constant dans lequel on se débat aujourd’hui va prendre une dimension insupportable quand les premières notes de Lord Of The Ages vont raisonner autour de vous. Nous sommes en 1973, les cheveux sont longs, les guitares acoustiques et le public sagement assis.
De la porcelaine donc, ou de la dentelle, ou encore quelque chose de précieux et de finement ciselé. Très britannique, c’est certain et pourquoi pas dans un esprit monarchique assumé. Faut dire que rien ne dépasse, tout est millimétré et sans prise de risques. La production est particulièrement soignée et la voix claire de Chris Simpson domine les débats. C’est peut-être cette esthétique un peu trop raffinée qui finalement va laisser Magna Carta dans le cercle confidentiel des formations secondaires. Mais ne boudons pas notre plaisir, à commencer par la pochette signée Roger Dean qui va séduire à coup sûr les fans de Yes ou de Uriah Heep. Le visuel, le titre (Seigneur des âges) et le contenu épique dans le plus pur style Tolkien vont donner à Lord Of The Ages toutes les chances de réussir. Et avec un recul de presque cinquante ans (et oui !), j’ai encore du mal à comprendre pourquoi ce disque n’a pas cassé la baraque. Je parlais de raffinement, mais Barclay James Harvest et Genesis ne se privaient pas de donner par moments une certaine préciosité à leur musique. Ce qu’il a manqué à Magna Carta, c’est peut-être un côté musclé pour contrebalancer la douceur ambiante. Quand on écoute le titre « Lord Of The Ages » et qu’après la longue narration de Glen Stuart, l’atmosphère semble s’alourdir un petit peu, la rythmique aurait pu (dû ?) fendre avec intensité ce beau tissu d’arpèges et de chœurs profonds. Hélas, l’orage espéré va nous amener plutôt sur les terres des Moody Blues que celles de Black Sabbath. Le problème, c’est quand on ne sait pas faire les choses, il vaut mieux s’abstenir d’aller contre nature. Surtout que « Lord Of The Ages » est un morceau génial et fort bien construit. Le type même de ces longues pièces musicales que l’on retrouve sur l’incontournable Seasons (1970) ou sur le tout récent The Fields Of Eden (2015) et qui ne s’embarrassent pas de décibels assourdissants.
Magna Carta avait cette faculté de réunir les amateurs de formations vocales du genre The Brothers Four, The Mamas & The Papas ou The Carpenters avec les fans de folk progressif comme Anthony Phillips, The Strawbs ou même les Canadiens d’Harmonium. Des groupes qui apportaient un soin tout particulier au chant, véritable marque de fabrique de leurs compositions. Sur Lord Of The Ages, la beauté des voix est particulièrement bien mise en valeur sur le baroque « Fakland Grene » qui termine l’album. Ici les backings de Glen sont quasiment féminins dans un registre que je n’ai jamais retrouvé ailleurs. Tout comme sur « Father John », l’autre grand moment du disque sur lequel il va monter haut, très haut. La beauté à l’état pur où les voix s’assemblent, se répondent et se renforcent mutuellement. Lorsque Glen Stuart quittera définitivement le groupe en 1977, plus rien ne sera comme avant et Magna Carta va s’écrouler, ne produisant plus que quelques sorties pop sans intérêt. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que la transition manquée à la fin des années 70 va s’accomplir de façon miraculeuse en 2015 avec l’étonnant The Fields Of Eden qui semble reprendre les choses là où Lord Of The Ages les avait laissées. Une aubaine pour tous les fans qui pensaient devoir se contenter à tout jamais des premiers albums. Mais revenons en 1973 et repassons les classiques « Wish It Was » et « Two Old Friends », deux morceaux bien épaulés par la pedal steel pour l’un et par l’harmonica pour l’autre. Chansons intemporelles que l’on réécoute sans lassitude et qui sonnent comme une évidence capable de séduire à tout moment les oreilles d’un pèlerin amoureux de belles ritournelles. Je ne vous ai pas encore parlé de Stan Gordon, le troisième larron du groupe et dont la guitare se charge d’ornementer les chansons avec délicatesse et talent. Une présence discrète, mais néanmoins indispensable pour apporter à l’ensemble une délicieuse touche progressive. Sans oublier la pedal steel de Gordon Huntley se proposant quant à elle de nous faire voyager bien loin des brumes londoniennes (« Song Of Evening »).
Si vous cherchez un témoignage folk des années 70 qui ne soit pas une sempiternelle plongée dans les discographies (excellentes par ailleurs) de Neil Young, de Bob Dylan ou de Nick Drake, faites-vous plaisir avec le côté british de Magna Carta qui ne demande qu’à ressortir au grand jour. Repertoire Records, dans sa série « Classics Revisited », a pour sa part accompli un travail du tonnerre. Au-delà de l’exhumation proprement dite, il faut leur reconnaître d’extraordinaires qualités d’emballage et traitement du son. Je peux vous assurer que de véritables perles se cachent dans leur catalogue. De prochains « oldies but goldies » ? C’est fort possible.