Magick Brother & Mystic Sister – TAROT part 1
Sound Effect Records
2024
Thierry Folcher
Magick Brother & Mystic Sister – TAROT part 1
La belle surprise psychédélique du moment s’appelle Magick Brother & Mystic Sister et nous arrive tout droit de Barcelone. De façon totalement assumée, leur nom fait référence au premier titre du premier album de Gong sorti en 1969. Plus de cinquante ans plus tard, c’est donc la paire Eva Muntada/Xavi Sandoval qui se lance, avec réussite et talent, dans la digne succession du couple Daevid Allen/Gilli Smyth. Une relève de qualité, c’est sûr, mais dans un comportement beaucoup moins allumé. Une constatation qui est loin d’être grave, car la restitution des sonorités de ces années de folie est vraiment à la hauteur des exemplaires formations planantes de l’époque. Et puis, la famille Gong originale n’a jamais trouvé d’équivalent. Comme aujourd’hui avec Magick Brother & Mystic Sister, des instants fugaces apparaissent, des gimmicks perdus refont surface, mais dans l’ensemble, cela reste du domaine du lointain et de l’hommage discret. Je suis même persuadé que nos amis espagnols ne cherchent pas à reproduire au millimètre le monde délirant (le mot est faible) de leurs glorieux aînés. L’actuel groupe Gong n’y arrive pas, c’est dire la difficulté, voire l’impossibilité de la tâche. Peu importe, car ce TAROT part 1 mérite amplement sa propre identité et l’intérêt que lui porte toute une cohorte d’ex-chevelus, trop heureux de repiquer à leurs passions d’autrefois. Le premier album éponyme de MB&MS (2020) se décrivait comme un voyage mystique capable de nous amener vers d’autres mondes et vers d’autres états de conscience. Une description réaliste pour une œuvre envoûtante et profondément accessible à tous ceux qui savent entrouvrir les portes de la méditation. Sur ce premier essai, la musique tournoyait dans un registre très « canterburien » où les voix, la flûte et les rythmes lancinants se mariaient dans une danse hypnotique, certes bien connue, mais toujours aussi enivrante.
De son côté, TAROT part 1 reprend en partie les mêmes éléments musicaux, mais avec une identité plus marquée, grâce à son concept basé sur l’aspect divinatoire des cartes de tarot. Les titres de l’album reprennent onze des vingt-deux arcanes majeurs, représentatifs de nos parcours de vie et de nos expériences fondatrices. De ce fait, la publication d’un TAROT part 2 est clairement annoncée afin de compléter cette étrange liste de morceaux, qu’il ne faut pas hésiter à prendre avec du recul. Ici l’important, c’est la musique et les sensations qu’elle procure sans qu’il ne soit question d’une quelconque initiation ou d’un délicat trip de voyance. Ce n’est que de cette façon que le public participera volontiers à cette farandole magnifique et à ces envolées cosmiques, propices au décollage immédiat. Lorsque j’ai écouté TAROT part 1 pour la première fois, j’ai dû faire face à deux impressions assez contradictoires. La première, positive, m’a conforté dans l’idée que de nombreuses écoutes seraient nécessaires pour ne rien louper de ce disque riche en qualité et en trouvailles (ici, on est loin du vite avalé, vite oublié). La deuxième, plutôt embêtante, c’est qu’à tout moment le décrochage est possible, peut-être par manque de concentration ou à cause de la densité du projet. Ce n’est pas pour rien si le groupe a décidé de différer la sortie du second épisode pour justement permettre de bien digérer le premier. Cela dit, avec « The Fool », pas besoin de gros efforts pour être captivé. Ce premier morceau est un voyage direct vers les étoiles avec moult effets cosmiques, voix lointaines, rythmes envoûtants et basse omniprésente. La guitare de Xavi assure la marche en avant et les paroles en anglais ne demandent que peu de réflexion.
On n’est pas loin du démarrage idéal avec une qualité d’écriture qui exonère toute forme de jam à rallonge et qui met en avant une solide mélodie pleine de justesse. Sur ce disque, les plages sont courtes et se dirigent toujours vers l’essentiel, sans remplissage ni répétition. Les trois minutes de « The Magician », par exemple, sont l’occasion de passer en revue une belle panoplie de jolies séquences parfaitement orchestrées. Les claviers (mellotron en tête) d’Eva, les percussions d’Alejandro Carmona, la guitare et la basse de Xavi sont d’une finesse remarquable sur ce second titre qui nous met réellement en appétit. Et ce n’est que le début d’un long périple qui viendra titiller les souvenirs des plus anciens et séduire tous les amateurs de musiques sortant des sentiers battus. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que malgré certaines attaches évidentes, la musique de MB&MS fait preuve d’originalité et de vent nouveau. À aucun moment, je n’ai eu l’impression de compenser certaines absences ou de vivre une sorte de revival nostalgique. Alors, compte tenu de tout cela, pourquoi craindre le risque de déconcentration ? Tout simplement, parce que cette musique nous balance des ondes de relaxation totalement immaîtrisables. Le passage dans le monde de la rêverie est inévitable et peut vite faire perdre le fil d’une écoute attentive. C’est pour cela qu’il faut revenir encore et encore sur chaque titre pour en retirer ce qu’il y a de meilleur. C’est à ce prix que l’on pourra se délecter de l’intro floydienne de « The Fool », du semblant de « Thunderstruck » au début de « The Magician », de la magie celtique de « The High Priestess », du ciné jazz canterburien de « The Emperor », du sitar inspiré de Tony Jagwar sur « The Hierophant », de la douce romance de « The Lover » ou encore de la « vraie » flûte de Maya Fernández sur « The Chariot » et « The Justice ». Pour moi, ce dernier titre est l’un des plus intéressants de l’album, peut-être parce qu’il est un peu plus long et surtout, parce qu’il nous secoue joliment grâce à un savoir-faire évident. TAROT part 1 se termine en beauté avec « The Wheel Of Fortune », une chanson au balancement appuyé et aux percussions finales pleines de classe et légèreté. Vivement la suite !
Lorsque vous lirez cette chronique, il y a de grandes chances que TAROT part 2 soit déjà publié. Malgré quelques prudentes réserves, je suis intimement persuadé que les deux disques seront indissociables et que l’analyse de l’un pourra servir à l’autre. Au-delà des onze futurs titres que je n’ai pas encore écoutés, il y a une démarche qui doit pouvoir s’appliquer à l’ensemble du projet. Alors bien sûr, j’aurais pu attendre que l’intégralité de TAROT part 1 & 2 soit sortie pour vous en parler, mais j’avais tellement hâte de vous brancher sur le sujet que l’impatience est passée avant la raison. Je ne regrette rien, car prendre autant de plaisir avec TAROT part 1 tout en sachant qu’un TAROT part 2 vous guette au coin du bois, fait partie de ces belles attentes discographiques que l’on a tous connues un jour ou l’autre.
https://magicbrothermysticsister.bandcamp.com/album/magick-brother-mystic-sister-2