Lutharö – Hiraeth
Auto-production
2021
Lucas Biela
Lutharö – Hiraeth
Découverts grâce à la chaîne youtube Headbanger channel, Lutharö sont une vraie machine à tubes…thrash ! En effet, aux assauts rythmiques typiques du thrash répondent des refrains dignes des plus grands morceaux rock FM. Et ce n’est pas un cas isolé sur Hiraeth, c’est bien tout l’opus qui présente cette dichotomie (ça n’est pas dans mes habitudes d’utiliser des mots savants, mais celui-là je l’aime bien). Plutôt rare dans le thrash, on trouve plus souvent cette formule dans le death, notamment depuis que Carcass ont propulsé vers l’avant le melodeath avec leur album Heartwork . Mais en tendant l’oreille aux vocaux de la jeune Krista Shipperbottom, on entend un chant dual. Et ce chant, pourquoi je l’appelle dual ? Ben, tout simplement parce que cette voix claire qui apporte une dimension féerique à la musique se transforme en vociférations, certes plus proches du metalcore que du death, mais qui nous dirigent malgré tout davantage vers les mondes les plus effroyables de Jérôme Bosch que vers ceux plus légers de Sandro Botticelli.
Mais d’où nous vient donc cette entité chimérique ? Originaires du Canada, Lutharö sont relativement nouveaux sur la scène metal. Trois EPs se sont succédés depuis 2015 avant que notre création hybride n’accouche d’un premier album cette année. Sur les premiers EPs, la belle nous gratifiait déjà de son chant dual. Cependant, les aspérités du versant clair de la voix et les riffs galopants étaient très typés heavy/thrash 80’s. On peut en effet faire un parallèle entre la musique d’alors et celle du premier groupe de thrash US entièrement féminin, Meanstreak (un unique album sorti en 1988). Ce dernier groupe est aujourd’hui surtout connu pour la présence en son sein des femmes de trois membres de Dream Theater. Mais ne nous dispersons pas. De même que le chant clair de notre canadienne respirait le heavy 80’s à ses débuts, son pendant guttural était alors dans les tons death/thrash des pionniers du metal extrême. Sur ce dernier plan, il n’est pas usurpé de la comparer à la pionnière allemande du growl, Sabina Classen (Holy Moses). Mais déjà à l’époque, notre créature canadienne mi-ange mi-démon présentait une grande maturité dans son écriture.
Une révolution s’est néanmoins opérée avec le premier album de Lutharö. Mais avant d’en dévoiler les contours, présentons le groupe dans sa composition actuelle. Le chant y est assuré par la toujours versatile Krista Shipperbottom. A la batterie, l’on retrouve le nouveau venu Duval Gabraiel, impressionnant de précision et de créativité. A la basse a été reconduit Chris Pacey. Enfin, aux guitares, le fidèle duo des débuts (John Raposo et Victor Bucur) continue à faire des étincelles. Maintenant, voyons ce qui contribue à révolutionner la musique de notre quintet. D’une part la production est devenue bien plus moderne, offrant une qualité d’écoute supérieure. D’autre part, de nombreux éléments permettent également de donner un coup de jeune à la musique de nos Canadiens. Ainsi, les voix se sont orientées vers des styles plus présents actuellement : le metalcore de Jinjer dans la rage et le rock alternatif de Paramore dans la douceur. Outre la voix, c’est également sur le plan musical, loin de ressembler à l’un ou l’autre des groupes mentionnés avant, que notre formation s’est évertuée à faire évoluer sa formule thrash. Cela passe d’abord par une plus grande diversification du langage musical. Ainsi, des blast beats font leur apparition de-ci de-là. De même, des trémolos côtoient maintenant les riffs galopants. On pourra noter également que des éléments plus sombres viennent apporter un contraste, comme le mur de guitares lugubres sur « In Silence We Reign » ou les cuivres celtic frostiens émaillant tout l’album. Tout comme les cuivres, les cordes s’immiscent un peu partout, et en particulier sur « Phantom », « Hopeless Abandonment » ou « Lost In A Soul ». Elles permettent d’offrir une dimension à la fois dramatique et romanesque à l’ensemble. En outre, le jeu de batterie est plus varié et les changements de rythme apportent à la fois une coloration et une plus grande respiration à la musique. J’ai déjà mentionné les blast beats, mais, en terme de contraste, comme sur « Worship Your Path » par exemple, on pourra également apprécier la complémentarité entre l’urgence du rouleau compresseur et la subtilité du jeu de cymbales accompagnant le solo de guitare dans la deuxième moitié du morceau. Ailleurs, sur « Lost In A Soul », c’est à un vrai festival de rythmes que nous invite Duval, variations indispensables pour ne pas lasser l’auditeur pendant les sept minutes du morceau.
Mais le changement majeur est opéré sur le plan mélodique. Une certaine majestie se dégage des refrains accrocheurs. Des guitares tantôt alarmées (les belles boucles plaintives sur « What Sleeps In Your Mind »), tantôt pensives (les tendres nappes évanescentes sur « Hopeless Abandonment »), viennent même appuyer la couronne mélodique sur la tête de Krista. Tous les nouveaux éléments évoqués (« To Kill Or To Cave » faisant néanmoins exception car il retient encore cette nostalgie 80’s), associés à une complicité évidente entre les cinq fantastiques, contribuent à faire de Hiraeth un album captivant, vers lequel on ne se lasse pas de retourner. Et à propos de nostalgie et de retour, on notera que l’hiraeth, nom d’origine galloise, c’est le mal du pays. Lutharo ont su rafraîchir leur formule avec leur premier album, offrant par là-même une bonne tranche de metal pleine de dynamisme et d’émotions, qui devrait les faire entrer dans la cour des grands.