Lustmord & Karin Park – Alter

Alter
Lustmord & Karin Park
Pelagic Records
2021
Jéré Mignon

Lustmord & Karin Park – Alter

Lustmord & Karin Park Alter

Qu’est ce que la rencontre entre la matière noire, chose inexplicable, inexpliquée et indémontrable, avec des interactions de voix ayant plus trait au spirituel ? Vaste question… Épineuse, douloureuse, simplement difficile… Qu’est qu’une voix au fait ? Un outil ? Un médium de communication fascinant ? Une simple émanation ayant trait au sacré ? Cette vibration des cordes vocales sortant des sons, phonèmes, pouvant échapper à toutes caractérisations, si ce n’est un voyage. Confronter le « papa » du dark ambient, Brian Williams, avec la voix de Karin Park (chanteuse au sein du groupe Årabrot), ça équivaut à un grincement de dents au milieu d’un trou noir avant qu’en sorte une mélodie fantomatique… Un étirement maximaliste et biologique du corps autant qu’une plongée dans une bulle dans un ralenti exacerbé. La matière se disperse, la réalité s’effondre, le temps se tord et se dissout. Les corps, eux, sont en suspension latente et les tremblements infinis de l’univers se confondent avec le battement d’un cœur. Alter joue constamment dans cet entre-deux, cette frontière de stases, d’effondrements, aspirations, respirations, silences remplis et espaces vides… Ce qu’on cherche, ce sont les liens, les particules et atomes pouvant s’assembler et qui, par hasard ou simple concordance, s’entremêlent dans des fresques, semblables à des gravures de Gustave Doré, s’inscrivant dans les compressions d’hydrogène ou autre matière encore inconnue de l’univers.

Lustmord & Karin Park Alter Band 1

Brian Williams avait déjà tâté le terrain avec l’aride The Word As Power en 2013, avec notamment les participations vocales (sans paroles) de Jarboe (ex-Swans) et James Meynard Keenan (chanteur de Tool), quand l’anglais ne se perd pas dans des mix interminables et pour ainsi dire inutiles en ressortant la même recette. Les mêmes drones, les mêmes déflagrations et autres mutismes dans un ordre tout aussi improbable, eschatologiques que vaguement millimétrés. C’est que le Monsieur s’est forgé une statue en granite à son effigie en s’enfermant dans son style opaque et déductif (Dark Matter en étant la meilleure illustration). Les sons restent identiques, les progressions sans surprises et le déroulement quasi autarcique. Quelle lueur peut tirer dorénavant le travail du gallois Brian vers cet ailleurs maintenant que son esprit navigue dans l’obscurité ? On pensera fatalement à Dead Can Dance… La voix de Karin Park apportant, et important, certaines similitudes à celle de Lisa Gerrard : sentiment de spiritualité à drainer les sentiments les plus amers et haptiques, souvenirs les plus douloureux, au milieu d’un champ de blé alors que Williams nous aspire dans le néant, le vide et la déformation de l’espace-temps…

Lustmord & Karin Park Alter Band 2

Cette complémentarité dans l’opposition, cette adéquation fortuite, limite ludique, se révèlent être des entrechocs émotionnels aussi forts et puissants que la rencontre minimaliste de deux atomes dans le vide sidéral. En résulte des instants d’harmonies et de communications au sein d’une horloge hydraulique où intentions et ressentis prennent le pas sur la forme, voire le fond… Alter parle de modifications. Celui du corps et de l’esprit, d’un film sans images. Cet instant où l’anatomie échappe à l’attraction, symbiose d’un magnétisme et d’une sagesse consciente. L’instant où on décide ce qu’on sera au travers du passé, du présent ou du futur dans ce moment suspendu…

https://www.lustmord.com/

 

Un commentaire

  • Jean-Michel

    Même fan de dark ambient, j’ai toujours trouvé que Lustmord se complait un peu trop dans les drones statiques sans évolution notable au fil de l’album, un peu comme Eliane Radigue dans sa Trilogie de la Mort, et bien d’autres. Malgré la voix, celui-ci n’y fait pas vraiment exception. Dark Matter était déjà typique de ce vide spatial sans vie ni événement : comme l’est l’espace profond, en somme. Alors que Lustmord a déjà fait par le passé autre chose de plus événementiel et presque « agité », plus vivant, en tout cas. Par exemple Purifying Fire qui, bien que sorti comme compilation, est aussi à mon sens l’un de ses très bons albums. Sans oublier, bien sûr, le monumental Heresy (véritable archétype historique du dark ambient), Carbon/Core, ou encore Zoetrope. Lustmord a-t-il quelque peu usé ou épuisé son propre concept, après ces excellents albums-phares du dark ambient, un genre auquel il a contribué de façon majeure, pour ne pas dire qu’il en serait même l’inventeur ?

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