Lucy In Blue – In Flight
Karisma Records
2019
Thierry Folcher
Lucy In Blue – In Flight
Si les Pink Floyd avaient pu se transporter cinquante ans dans le futur, peut-être qu’ils s’appelleraient Lucy In Blue. Une chose est sûre, ils ne referaient pas Atom Heart Mother ou Obscured By Clouds de la même façon et ça ressemblerait sans doute à In Flight. Tout cela pour vous dire qu’à l’exception du titre « Sense » sur leur premier album, ce jeune groupe islandais ne s’acharne pas à reproduire le Floyd des années 60/70 mais s’inspire plutôt du même état d’esprit et de la même perception artistique pour créer leur propre univers musical. Vous ne risquez donc pas de retrouver ici une énième contre-façon vintage sans intérêt. A cela, il suffit d’incorporer quelques boucles énergiques chères à Robert Fripp dans une marmite made in Reykjavík et vous aurez alors l’essentiel de la palette Lucy In Blue. C’est sans conteste ce curieux mélange culturel qui accroche d’emblée et fait de In Flight un album hors du commun. Le groupe possède incontestablement cette marque de fabrique caractéristique des artistes de cette petite île de l’Atlantique nord qui a vu surgir Björk, Òlafur Arnalds et surtout Sigur Rós. L’aventure commence en 2016 avec la sortie du premier album éponyme fortement imprégné d’éléments floydiens multi-époques, mais aussi de petites touches de Yes, d’Anekdoten et même de Queen. Un album fort bien interprété et accrocheur, mais qui manquait d’unité et de personnalité par moments. Des petits défauts qu’In Flight a su gommer et permettre ainsi au groupe d’offrir une approche beaucoup plus intéressante et originale. L’influence des géants des seventies n’est plus autant marquée et LIB peut désormais se présenter sous sa propre identité. Autre pas en avant, la signature chez le label ultra-progressif Karisma (Airbag, Magic Pie, Wobbler entre autres) qui les présente (c’est un peu normal pour un label) comme l’étoile montante de la scène islandaise.
Lucy in Blue est un quatuor composé d’Arnaldur Ingi Jónsson aux claviers et chant, Kolbeinn Þórsson à la batterie, Matthias Hlifar Mogensen à la basse et chant et Steinþór Bjarni Gislason à la guitare et chant. Quatre jeunes Islandais dont la fougue et une certaine insouciance nous amènent à retrouver cet état d’esprit qui animait la bande à Waters et Gilmour avant The Dark Side Of The Moon. On reconnaît cette même façon de proposer une musique innovante, pensée de bout en bout et en complet décalage avec les standards actuels. Une mise en danger qui plaisait beaucoup à l’époque où le psychédélisme laissait la porte ouverte à toutes sortes de délires créatifs. Pour l’instant le visuel reste sobre, les pochettes se ressemblent et mis à part le logo du groupe en motif volontairement rétro, elles n’indiquent aucune piste à suivre. On sent bien que l’essentiel n’est pas là. Les quatre garçons, plongés tout jeunes dans la musique, se sont naturellement réunis autour de la même passion pour le monde psychédélique et créèrent en 2013 Lucy In Blue. Un nom qui fait référence à une amie sud-africaine (Lucy) et à son café dans un emballage bleu. Par ailleurs, si vous leur demandez d’où vient leur inspiration ils vous répondront avec amusement : « d’earth, wind and fire », ce qui bien sûr ne nous renvoie pas à la formation funky disco, mais plutôt aux trois éléments naturels bien présents en Islande. In Flight sorti il y a quelques mois à été enregistré en 2017 par Bassi Ólafsson dans la petite ville de Hveragerði. Le travail de production, bien que soigné, manque légèrement de modernisme et nous réexpédie vers ces années où la technologie balbutiait encore et nous offrait des enregistrements pas toujours maîtrisés mais ô combien jouissifs. Alors, soit vous êtes nostalgique d’une époque où tout était à construire ou soit adepte d’un son actuel de haute qualité et du coup, In Flight ne sera pas perçu de la même façon. Pour ma part, je ne me suis même pas posé la question car cette interprétation « à l’ancienne » me convient parfaitement.
Et si on revenait d’un peu plus près au contenu d’In Flight maintenant. Dés les premières notes de « Alight PT.1 », c’est le tempo caractéristique de « Shine On You Crazy Diamond » qui ouvre les débats. Mais ce ne sera qu’un feu de paille, une petite allusion en forme d’hommage au géant britannique. Car la grande différence entre les deux groupes, en plus de la notoriété, c’est que Pink Floyd prenait son temps et développait de longs climats avant de lâcher les chevaux, alors que de son côté LIB travaille plus dans l’urgence et va à l’essentiel. Ce premier titre, très court, est construit autour de jolies nappes de claviers enveloppant un chant choral candide mais réussi. La bascule sur « Alight PT.2 » va surprendre, avec des cymbales virevoltantes et une basse bien mise en avant. Puis le morceau va s’orienter vers un jazz-rock fougueux avant de terminer sur des notes progressives grâce à la guitare inspirée de l’ami Gislason. Un bon début énergique et totalement décomplexé. Le très beau « Respire » qui suit va quant à lui nous amener sur les terres du roi écarlate, l’autre source d’inspiration de Lucy In Blue et d’une façon générale, la couleur principale d’In Flight. Sur ce titre de presque huit minutes c’est la voix douce de Matthias qui est à l’honneur avant qu’un break au piano ne fasse la transition avec une deuxième partie dominée par un fulgurant solo de guitare. « Matricide » pour sa part est construit un peu à la manière des compositions alambiquées de Gentle Giant. On est ici dans du progressif classique, de haut niveau et parfaitement réalisé. Puis sans rupture, on se dirige tout droit vers la petite merveille instrumentale « Núverandi » et son solo de clavier tout simple mais diablement efficace. Ces jeunes gens sont de sacrés mélodistes et c’est certainement cet aspect qui permet à l’album d’attirer aussi rapidement.
« Tempest », l’autre instrumental porte bien son nom. On assiste ici à une folle chevauchée et à un beau combat entre des boucles de guitare « Frippiennes », un mellotron nostalgique et un orgue épileptique. Lucy In Blue a fait reposer les voix car le morceau suivant « In Flight » aura ainsi toute notre attention. Une perle de prés de dix minutes qui va atteindre des sommets. Le joli thème en arpèges du début va seconder le chant sur une première partie très planante et suivre quasiment toute la chanson. Ensuite sur le long passage instrumental c’est une succession de flashs anciens qui vont surgir pour le plus grand bonheur des fans de rock progressif symphonique. La transition avec « On Ground » n’est pas marquée, si bien que tout s’enchaîne pour ne faire qu’un seul et long morceau en tous points réussi.
Voilà résumé ce très attachant In Flight. J’ai retrouvé grâce à Lucy In Blue tout le charme de ces années folles où la scène musicale se fabriquait, grâce à de jeunes artistes pleins d’idées et de talent. Des artistes qui pour la plupart d’entre-eux sont devenus aujourd’hui des références incontournables. On sent nos quatre jeunes Islandais encore un peu verts mais l’avenir leur appartient. A eux de faire les bons choix et de prouver que leur musique peut intéresser le plus grand nombre. J’attends donc avec impatience la suite de leurs aventures et des réponses à ces attentes.