Lost Horizons – In Quiet Moments
Bella Union
2021
Thierry Folcher
Lost Horizons – In Quiet Moments
Les gens qui me connaissent savent à quel point je suis sensible à l’encadrement visuel d’une publication discographique. Une pochette réussie accompagnera un album toute sa vie et deviendra peut-être aussi célèbre que la musique (Velvet Underground, Nirvana, King Crimson etc, etc…). C’est en déambulant chez un disquaire et en m’adonnant à cette manie de piocher au hasard ou au feeling que je suis tombé en arrêt devant une image bien différente de tout ce que l’on peut voir aujourd’hui. Entre minimalisme peu engageant et déjà-vu rassurant, il est de plus en plus rare de recevoir une décharge émotionnelle comparable à cette photo en noir et blanc qui illuminait un disque de toute sa splendeur. J’apprendrais plus tard qu’elle est l’œuvre de Jacques-Henri Lartigue, le célèbre photographe parisien, portraitiste entre autres de Picasso et de VGE. Comme quoi, y’a pas photo (eh bien si, justement), le génie finit toujours par se remarquer, à n’importe quel moment, dans n’importe quel endroit. Cette photo est d’un magnétisme impressionnant qui tenait du miracle à une époque où le numérique et les prises en rafales n’étaient même pas envisagés. Arriver à saisir cet instant en suspension avec une telle coordination de mouvements entre le personnage et l’animal relève tout simplement d’une bénédiction des dieux. Bon, après ce choc visuel, il a bien fallu que je m’intéresse aux petits futés qui ont su choisir une telle illustration pour leur album. Lost Horizons, ce nom me disait bien quelque chose mais sans plus. Il a fallu un petit rafraîchissement de mémoire et un retour en 2017 pour me rappeler de ce super groupe qui, sous la houlette de Simon Raymonde (ex Cocteau Twins) et de Richie Thomas (ex Dif-Juz), avait pondu un attachant Ojalá fort bien accueilli par la critique mais qui, semble-t-il, devait être sans lendemain.
Seulement voilà, Ojalá veut dire « espérons » ou « si Dieu le veut » en espagnol. Pas le genre de titre qui se ferme à un avenir, vous ne croyez pas ? Et donc, cet avenir s’appelle In Quiet Moments, une deuxième expérience que j’embarque aussitôt sans rien connaître du contenu. Prise de risque c’est certain, mais qui se révélera fort judicieuse. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est qu’en écoutant les premières chansons de l’album, j’ai ressenti la même impression qu’en admirant la pochette. La musique semble flotter et répandre une onde bienfaitrice assez incroyable. Les nombreuses voix féminines et masculines ont à la fois leur propre identité et une résonance commune. Magie de la production qui unifie les timbres et évite l’écueil d’une compilation bancale. In Quiet Moments, comme pour Ojalá, c’est plus d’une heure de musique mettant en scène certaines des plus belles voix actuelles. Au total, seize chansons écrites par chaque intervenant et mises en musique par le tandem Raymonde/Thomas. Tous ceux qui ont encore en mémoire la pop atmosphérique des Cocteau Twins ne pourront manquer de faire le rapprochement avec la façon dont la voix éthérée d’Elizabeth Fraser était mise en valeur. Sur In Quiet Moments, les tonalités graves sont absentes même chez la gent masculine, pourtant dignement représentée. Je pense notamment à Ural Thomas (82 ans) qui nous fait fondre littéralement sur le morceau/titre « In Quiet Moments ». Une félicité telle que je ne peux m’empêcher de vous joindre la vidéo en fin de chronique. A noter, que toutes les chansons ont un support visuel qu’il faut prendre le temps de visionner, tellement c’est bien fait.
Tout comme pour le dernier Fleet Foxes, la publication de In Quiet Moments s’est faite en deux temps. Huit premières chansons en version numérique à l’automne 2020 et la totalité, tous formats, en début d’année 2021. Une stratégie que Simon Raymonde, cofondateur du label Bella Union, a semble-t-il voulu pour toucher le maximum de gens et installer son projet sur la durée. Cela dit, l’ensemble est cohérent et ne souffre d’aucun déséquilibre. On déguste les plages les unes après les autres avec le sentiment de partir à chaque fois à la découverte d’un nouvel artiste, d’une nouvelle tonalité, d’une nouvelle sensation. Premier choc d’entrée avec le groupe Penelope Isles qui nous sert un très aérien « Halcyon » bien mis en valeur par les voix diaphanes de Jack et Lily Wolter. Mariage évident pour ces pensionnaires de Bella Union qui trouvent ici une exemplaire mise en valeur de leur pop psychédélique. Puis, c’est au tour de Nubiya Brandon de passer sa voix au mégaphone pour nous envoyer un « I Woke Up With An Open Heart » très charnel et plein de cuivres tonitruants. Deux premiers titres assez éloignés l’un de l’autre mais solidaires d’une musique ultra-professionnelle et infiniment bien produite. Le ton est donné et comme je vous le disais, on vivra cet album à la manière d’un recueil de nouvelles, toutes différentes mais joliment unies dans un ensemble cohérent. Le voyage va nous faire réentendre des artistes, pour la plupart déjà présents sur Ojalá et tout heureux de se retrouver ici, dans un contexte beaucoup plus serein et sans les pistes expérimentales du précédant épisode.
A commencer par la voix frêle et sensible de Tim Smith sur « Grey Tower » ou par les psalmodies lounge de Gemma Dunleavy sur « Linger ». Ce denier titre est porteur du groove caractéristique des œuvres de Claude Challe qu’il faudra bien, un jour, reconnaître à leur juste valeur. Le problème, c’est que si je vous dis que Lost Horizons fait du Buddha-Bar, cela risque d’en gêner certains. Alors, je ne vous le dis pas car ce n’est pas le cas, même si un doux parfum de rose orientale enrobe quelques instants précieux du disque. Ensuite Dana Margolin va accélérer la cadence sur le très Velvetien « One For Regret » suivi de près par la jeune suédoise Kavi Kwai et son « Every Beat That Passed » plein de charme et de trouvailles vocales. Après le tristounet « Nobody Knows My Name » servi par un Cameron Neal fidèle à sa réputation de « sad singer », c’est le monument « Cordelia » qui du haut de ses sept minutes de lévitation va clore la première partie de In Quiet Moments. Morceau symbole sur lequel John Grant (The Czars) offre sa voix à cette très belle composition de Simon Raymonde. C’est donc Ural Thomas qui relance brillamment une deuxième partie tout aussi passionnante. Vont se succéder le jeune écossais C.Duncan (« Circle ») et la talentueuse Ren Harvieu sur un splendide « Unravelling In Slow Motion » que n’aurait pas renié K.D. Lang (étrange mimétisme). Puis c’est au tour de la bien nommée Laura Groves qui aurait bien mérité d’avoir un « o » supplémentaire à son nom tellement son « Blue Soul » est porteur de langueur moite et sensuelle. Magnifique, on ne voit pas le temps passer et on ne veut pas quitter tout ce beau monde que la paire Raymonde/Thomas excelle à accompagner et à mettre en musique. Il reste la jolie valse éthérée de Rosie Blair sur « Flutter » et la prestation légèrement décevante de Marissa Nadler sur un « Marie » qui ne décolle pas vraiment pour nous amener dans les limbes avec KookieLou (aka Lily Wolter) et son enchanteur « Heart Of A Hummingbird ». Enfin, « the last but not the least », la délicieuse Karen Peris (The Innocence Mission) nous assène un rêveur « This Is The Weather », porte drapeau d’une « dream pop » largement présente sur ce disque.
Je ne pense pas prendre beaucoup de risque en rameutant les foules autour de cet album magique et superbement bien fait. A coup sûr, les fans nostalgiques des Cocteau Twins y trouverons leur compte, mais pas seulement. Cette musique est universelle, à la mode et hors mode avec l’attrait incomparable des mélanges de talents qui finissent par s’imbriquer les uns dans les autres pour ne faire plus qu’un. Le projet Lost Horizons commence à faire parler de lui et Clair & Obscur ne pouvait l’ignorer. La scène indie pop est d’une richesse telle, que de la voir ici compilée est une sacrée aubaine. Pour finir, j’aimerais revenir un instant sur cette pochette troublante. La petite histoire raconte que Jacques-Henri Lartigue a pris cette photo dans les années 30 sur une plage quasi déserte d’Antibes. Il était à la recherche d’un sujet à photographier quand soudain, son attention fut accaparée par cette baigneuse accompagnée de son chien. Bientôt, il allait les figer pour l’éternité sans se douter qu’un jour, elle circulerait entre les mains d’amateurs de musique. A propos de ce cliché, Lartigue aurait parlé de magie et je crois que, presque cent ans plus tard, celle-ci opère toujours.
https://losthorizonsband.bandcamp.com/album/in-quiet-moments